Tous les épisodes :
Coppi et Bianchi, le mariage éternel (1/6)
Gimondi, puissant comme Salvarani (2/6)
« M » comme Merckx et Molteni (3/6)
Mercatone Uno, avec Pantani sinon rien (4/6)
Saeco amène Cipollini jusqu’au trône (5/6)
Cunego, prince sans couronne chez Lampre (6/6)
Arrivé comme un prince, reparti comme un roi, Mario Cipollini a été pendant six années l’âme de l’équipe Saeco. Avec son excentricité et sa belle gueule, il a fait évoluer les mentalités du peloton en même temps qu’il a révolutionné le sprint mondial. Mais il aura dû attendre de quitter l’équipe transalpine pour décrocher deux de ses plus beaux succès, comme un paradoxe.
Le sprint dans une autre dimension
Avant lui, ça n’existait pas. Une expression qui dans de nombreux domaines, pourrait résumer Mario Cipollini, sur le vélo et en dehors. Il lui fallait alors un projet à la hauteur de sa personnalité et de son potentiel médiatique. L’équipe Saeco, née sur les cendres de Mercatone Uno (pas l’équipe de Pantani, une autre) en 1996, lui a offert tout ce dont il pouvait rêver. Giorgio Furlan pour les classiques et Francesco Casagrande pour les grands tours sont à l’époque des co-leaders plus qu’acceptables, mais l’équipe est faite pour « Cipo », déjà vainqueur de douze étapes sur le Giro et quatre sur le Tour. Le bonhomme, 28 ans, sait qu’il ne peut pas se débrouiller tout seul dans les sprints. Alors Antonio Salutini, le manager de Saeco, décide de lui mettre à disposition le meilleur train qui n’a jamais existé. Aucun sprinteur n’a jamais bénéficié d’un tel traitement.
Mario Scirea, Giuseppe Calcaterra, Gian Matteo Fagnini, Eros Poli, ils sont tous là, dès la première année, pour œuvrer auprès de Cipollini. Sur le Tour 1996, c’est une armada qui est déployée autour du sprinteur transalpin. Les huit coureurs qui portent avec lui le maillot Saeco sur les routes du mois de juillet sont là pour l’aider à empiler les bouquets. Le « treno rosso » se met en place petit à petit. Une seule victoire cette année-là, mais le Giro, quelques mois plus tôt, avait été prolifique, avec quatre bouquets. Surtout, ce n’est qu’un tour de chauffe pour Saeco. Cipollini n’atteint jamais la dixième étape du Tour, mais c’est toujours suffisant pour ramener deux succès, en 1997 et 1998, avant l’apothéose de 1999, où il s’impose quatre jours de suite en première semaine avant de tirer le rideau juste avant les Alpes.
« Seule mon équipe MG-GB de 1993 était capable de m’emmener les sprints aussi puissamment », explique alors Supermario. Chez Saeco, c’est tout pour Cipollini. « Mario est différent, explique Claudio Corti, son directeur sportif à l’époque, dans Le Monde. Il faut donc le traiter différemment. » Un mécanicien confirme : « C’est la star. » Un personnage, donc, sur le vélo comme en dehors. « Cipo » ne se contente pas seulement de gagner. Révolutionner le sprint mondial n’est pas assez. Sa belle gueule, sa dégaine d’acteur, le prédisposent forcément à davantage. Le Toscan joue de son image, fait fructifier la marque Cipollini en même temps que sa carrière. On l’appelle Supermario pour ses victoires, mais aussi Il Bello, Il Magnifico ou Le Roi Lion pour son style.
Question d’image
« Cipo » est tout à la fois, play-boy, attraction du peloton, rockstar. On parle de lui partout, tout le temps, jusque dans les médias généralistes ou étrangers qui, d’habitude, ne s’attardent pas sur le cyclisme. On scrute la moindre de ses apparitions, le public et les journalistes se massent chaque année un peu plus autour du bus de Saeco, espérant à chaque fois être témoins d’un instant spécial. L’Italien est un bon client pour tout le monde. Il fascine par ses tenues excentriques, une combinaison tout en muscles par-ci, un cuissard en bannière étoilée par-là, avec lequel il décrochera d’ailleurs le maillot jaune sur le Tour 1997. Le lendemain, surprise : Cipollini avait tout prévu, il apparaît avec un cuissard, des socquettes, des gants et un vélo aux couleurs de son tout nouveau maillot.
L’organisation infligera une amende à l’équipe Saeco pour son originalité. Une autre époque. Deux décennies plus tard, la plupart des coureurs ont adopté le style « Cipo » lorsqu’ils ont la chance de porter un maillot distinctif. L’Italien, lui, restera comme un incompris. « Footballeur, j’aurais moins souffert, obtenu une plus grande reconnaissance et un meilleur salaire », affirme-t-il au milieu de ses meilleures années, conscient qu’il dénote au sein du peloton. Sur le Giro 1997, déjà, il avait remporté la dernière étape à Milan avant de continuer tout droit après la ligne d’arrivée, pour rejoindre le bus de Saeco et prendre une douche. Il en était ressorti parfumé et vêtu d’un costume blanc avant de rejoindre le podium et de récupérer son bouquet. Un an plus tard, au moment de dépasser Fausto Coppi au nombre de victoires d’étapes sur la course rose, il était monté sur le podium avec un maillot de l’Inter Milan, floqué du nom de l’attaquant brésilien Ronaldo.
Saeco, dans cette période où les folies se succédaient, a su ne pas restreindre son champion. L’image de Cipollini était aussi celle de son sponsor, bien heureux de se voir associé à la nouveauté. Tout, pourtant, n’a pas toujours été rose entre le roi des sprinteurs et ses employeurs. Sur le Tour 99, l’Italien, au sommet de son art à 32 ans, sort la sulfateuse : « J’ai gagné l’étape la plus rapide du Tour de France ? Tant mieux, parce qu’on s’en souviendra longtemps et parce que cela me permet d’attirer l’attention d’un nouveau sponsor comme DHL ou une compagnie ferroviaire. J’en ai bien besoin, car actuellement je suis au chômage. » Les négociations pour une prolongation avec Saeco sont au point mort, « Cipo » met la pression – et il obtiendra un nouveau contrat. Son charisme lui permet ce genre de sorties qu’aucun autre, dans le peloton d’alors, n’aurait ne serait-ce qu’imaginé.
Saeco dans le rang, pas Cipo
C’est tout le paradoxe Cipollini. Capable de surclasser la concurrence sur le Tour, puis de dire tout le mal qu’il pense de l’épreuve. « Je n’aime pas l’ambiance du Tour de France, on se croirait à l’université, assène-t-il. Je préfère le Giro (…). Au Tour, je dois arriver à 100 % pour vaincre immédiatement et, après une dizaine de jours, je suis fatigué psychologiquement. » Ses abandons à répétition avant la montagne lui vaudront le désamour du public français et l’agacement d’ASO, qui à partir de 2000, fait en sorte que la star italienne ne soit plus au départ de l’épreuve, refusant notamment d’inviter Saeco – puis ses autres formations. Cette même année 2000, privé de Tour, Cipollini se rend sur la Vuelta, où il sera exclu par sa propre équipe après avoir frappé Francisco Javier Cerezo, coureur de Vitalicio Seguros, au départ de la cinquième étape.
Fin 2001, après deux années sans Tour de France, Mario Cipollini et Saeco décident de se séparer. L’équipe italienne pense avoir tiré le meilleur de son champion, désormais âgé de 34 ans. Le temps est venu de miser sur les grands tours, pense-t-on en interne, avec Gilberto Simoni, récent vainqueur du Giro, Danilo Di Luca et le tout jeune Damiano Cunego. Après avoir été la première équipe à se construire à ce point autour d’un sprinteur, et avant de disparaître à la fin de la saison 2004, Saeco rentre dans le rang et devient une équipe « normale ». La rockstar Cipollini a fait ses valises pour Acqua & Sapone et s’apprête à réaliser une saison de haute volée, couronnée d’une victoire sur Milan-Sanremo, après de multiples tentatives, et d’un maillot arc-en-ciel décroché à Zolder. Le Roi Lion n’était pas tout à fait mort.
Né le 22 mars 1967 (53 ans).
Coureur professionnel de 1989 à 2005, puis 2008.
Chez Saeco de 1996 à 2001.
Principales victoires avec Saeco :
9 étapes du Tour de France
22 étapes du Tour d’Italie
Classement par points du Tour d’Italie (1997)
Championnat d’Italie (1996)
Tren Rojo c’est de l’espagnol. Pour l’italien on dira “treno Rosso”
Excellente idée de rappeler la carrière d’une vraie star qui a précédé Sagan dans le genre avec un look rock’n’roll jouissif dans un monde cycliste qui parait de plus en plus composé d’une majorité de gentils garçons à la communication professionnelle terne et policée du style ” j ‘ai gagné grâce à mon équipe ” ou ” j’ai été battu par plus fort que moi”…
Exactement, je me suis fait la même réflexion sur la parallèle Cipo/Sagan, même si je dirais que le Slovaque jouit d’une image un peu plus sympathique que l’Italien. Là aussi, une petite idée de série sur les “bad boys” ou les “rockstars” du cyclisme? Pour la période récente on peut penser à Ricardo Rico, à Wiggins ou au Cavendish pré-assagissement.
On note l’idée, on travaille actuellement sur plusieurs autres séries à vous proposer dans les semaines à venir.
Bel article, dommage que cette série touche déjà à sa fin. Je vois que vous prévoyez un dernier article sur la Lampre de Cunego. Pourquoi ne pas faire aussi la Liquigas de Basso/Nibali/Sagan?
Et sinon j’ai bien ri au parallèle Tour de France / université, je ne vois pas bien le rapport mais la citation vaut son pesant d’or pur !
Je pense que ça doit être pour le côté sérieux de l’évènement (mais pas sûr qu’il soit lui même allé à l’université pour dire ça ! )
La Liquigas ça ne correspond pas vraiment au thème de ces articles. Là on est sur des équipes qui misaient quasiment tout sur un coureur, des coureurs qui sont identifié à une équipe et vice versa. Ce n’est pas le cas de la Liquigas qui a toujours eu plusieurs leader. Elle n’a jamais été tourné vers un seul coureur.
Saeco non plus. Saeco pendant les années Cipo c’était aussi Casagrande, Gotti puis Dufaux et Savoldelli. Sur chaque G.T il y avait aussi un leader d’envergure pour le général.
Saeco restera dans l’histoire du cyclisme comme l’équipe qui a innové la stratégie du train. Je me souviendrais de Calcaterra, Fagnini, Mazzoleni
Bien sûr, Saeco avait d’autres leaders que Cipo, notamment pour le général, on le note brièvement dans l’article. Mais sur certains Tours, c’était tout pour Cipo. Surtout, l’équipe reste très fortement associée à Cipo dans l’esprit de toute le monde. C’était le fil conducteur de la série. Pour Liquigas, on s’en serait fortement éloigné, car l’équipe est associée à de nombreux coureurs, Basso, Nibali, Sagan voire même Pellizotti.
Une equipe quasi mythique et des maillots d´un rouge eclatant qu´on croise tjs de temps à autres sur les routes .
Pour rebondir sur le retour sur investissement évoqué par La jonchère, il semble que les machines Saeco ainsi que Cannondale connurent un succes retentissant .On peut penser que l´iimage véhiculée par cette equipe participa brillament à cette reussite.
Pour le CAAD 3 de l´epoque; quel cadre !
Cippolini était un as de la communication à l’instar d’un Sagan de nos jours. Je me souviens de ses tenues excentriques qui lui valurent bien des amendes de la part de l’UCI