Du premier Tour de France remporté par Lance Armstrong, en 1999, jusqu’à ses aveux à la télévision en 2013, ils sont nombreux à avoir participé à la chute de l’Américain. Qu’ils soient journalistes, anciens coéquipiers ou agents fédéraux, ils ont fait de la seconde carrière de Lance Armstrong, après son cancer, une bataille permanente. Le Texan s’est défendu tant qu’il a pu, jusqu’à être trop acculé pour pouvoir continuer. Cette semaine, alors qu’ESPN diffuse un documentaire en deux parties où Lance Armstrong promet cette fois de dire toute la vérité, la Chronique du Vélo vous propose de revenir sur les principaux épisodes et acteurs dans la chute de celui qu’on a longtemps appelé « le Boss ».

Tous les épisodes :
Le système Armstrong, plus vraiment confidentiel (1/4)
Le septième Tour, la retraite et « le mensonge » (2/4)
Landis et Hamilton, lieutenants trop bavards (3/4)
Tygart envoie Armstrong chez Oprah (4/4)

Alors qu’il a mis un terme à sa carrière depuis tout juste un mois, Lance Armstrong voit sortir, en août 2005, d’incroyables révélations dans le journal L’Equipe. Documents à l’appui, le journaliste Damien Ressiot prouve que six des échantillons de l’Américain étaient positifs à l’EPO lors du Tour de France 1999.

La « preuve irréfutable »

Lorsqu’il monte sur le podium des Champs-Elysées, le 24 juillet 2005, Lance Armstrong sait qu’il apparaît pour la dernière fois vêtu du maillot jaune. Il a prévu depuis le printemps qu’il s’en irait à l’issue du Tour, où il s’impose pour la septième fois consécutive. Micro à la main, il prononce alors quelques mots, devant les regards ébahis de Jan Ullrich et Ivan Basso à ses côtés. « Je veux dire à ceux qui ne croient pas au cyclisme, aux cyniques et aux sceptiques : je suis désolé pour vous. Désolé que vous ne puissiez pas rêver grand et ne croyiez pas aux miracles. » Dans son coin, en solitaire, Damien Ressiot fait partie des sceptiques, et des sceptiques qui comptent bien prouver qu’ils ont raison. Il lui faudra neuf mois pour arriver à ses fins.

Le journaliste de L’Equipe démarre son enquête en octobre 2004. Armstrong n’a encore gagné « que » six Tours de France et L. A. Confidentiel, sorti quelques mois plus tôt, n’a pas fait tomber l’Américain. Il faut donc quelque chose de très gros pour espérer provoquer un séisme dans le milieu du cyclisme. Damien Ressiot a une piste. Il a eu vent que le laboratoire de Châtenay-Malabry, en région parisienne, travaille sur une nouvelle méthode de détection de l’EPO. Pour s’assurer du bien-fondé de leurs recherches, les scientifiques décident de reprendre les échantillons des Tours 1998 et 1999 où ils sont quasi certains de trouver de l’EPO. Au regard des quinze jours en jaune de Lance Armstrong sur le Tour 1999, une partie non-négligeable des échantillons devrait lui appartenir.

« Après avoir fait cette hypothèse, il faut que je l’avère, explique Damien Ressiot à la Chronique du Vélo. C’est le plus gros du travail. Il faut mettre face à face les deux pièces du puzzle. » D’un côté, il y a les échantillons positifs à l’EPO trouvés par le laboratoire de Châtenay-Malabry, où ne figurent que des numéros, pour assurer l’anonymat. Puis il y a les procès-verbaux de l’époque, où sont associés à ces numéros le nom du coureur contrôlé. Le travail est long et fastidieux. « J’ai ramé très longtemps mais j’avais une idée en tête, un scénario, avec comme seul objectif d’arriver à collecter une preuve irréfutable », explique Ressiot.

Le piège tendu au clan Armstrong

Au printemps, le journaliste a ce qu’il faut. Problème, certaines de ses preuves, notamment un procès-verbal crucial, ne proviennent que d’une seule source. « Il fallait absolument éviter que la source puisse être identifiée », détaille Damien Ressiot. Alors il continue son travail d’enquête jusqu’à obtenir le même procès-verbal d’une autre source. « Jusqu’au bout, j’ai cru que je n’allais pas pouvoir sortir l’affaire », reconnaît-il. Le 23 août 2005 sera finalement le bon jour. « Le mensonge Armstrong » barre la Une du journal L’Equipe. Six des échantillons de l’Américain sur le Tour de France 1999 sont positifs à l’EPO. Le doute n’est plus permis. Armstrong imaginait que sa retraite lui donnerait un peu d’air, mais quatre semaines après ses adieux, il fait face aux plus grosses révélations jamais sorties à son sujet.

La réaction de l’Américain à cette secousse inédite est pourtant assez légère. « Je peux seulement croire que ces échantillons ne sont pas les miens, ou qu’ils ont été manipulés », dit-il. Il n’ira pas plus loin, n’intentera aucune action en justice, comme il l’avait fait un an plus tôt lors de la sortie de L. A. Confidentiel. « Je m’attendais à un déluge de feu, mais non », reconnaît Ressiot. En fait, le clan Armstrong, habitué à berner la presse et les suiveurs, s’est fait avoir. Au début de l’enquête du journaliste, l’avocat de l’Américain, Armstrong lui-même, Hein Verbruggen, président de l’UCI et Johan Bruyneel, manager d’Armstrong, avaient tous donné leur accord pour que Damien Ressiot puisse consulter les procès-verbaux dont il avait besoin. Le journaliste avait alors fait croire qu’il voulait vérifier que le Texan ne déclarait pas, lors des contrôles, certains médicaments en lien avec son ancien cancer. Un subterfuge astucieux. « Celui qui jusqu’au bout a été très suspicieux, c’est Bruyneel, et il avait raison », se rappelle Ressiot.

Le parking de L’Equipe envahi

Reste que l’affaire, à l’international, fait beaucoup de bruit. « Les jours qui ont suivi ont été incroyables, explique le journaliste. Il y avait CNN et toutes les chaînes de télé américaines sur le parking de L’Equipe, mais aussi des médias indiens ou chinois. » Lui, pas vraiment à l’aise, se met en retrait et laisse ses rédacteurs en chef assurer le service après-vente. Puis très vite, il doit faire face aux réactions de l’UCI ou de certains collègues journalistes, parfois plus véhéments que Lance Armstrong lui-même. « Il y a une grosse colère de ma part quand j’apprends qu’on me soupçonne d’avoir attendu la fin de carrière d’Armstrong pour révéler l’affaire », souligne Ressiot.

S’il a patienté, c’était uniquement pour protéger certaines de ses sources. Il aurait aimé sortir les révélations avant ou pendant le Tour – « ça aurait été cataclysmique », dit-il – mais il se félicite d’avoir fait éclater la vérité, la seule chose qui comptait à ses yeux. « La frustration, ça aurait été si je n’avais pas pu sortir l’affaire, s’il m’avait manqué ce procès-verbal venant d’une deuxième source », assure-t-il. Qu’importe donc les conséquences, comme ce rapport d’un avocat néerlandais diligenté par Hein Verbruggen en personne pour discréditer l’enquête et affirmer que tout était faux. Dick Pound, président de l’Agence mondiale antidopage à l’époque, était alors monté au créneau pour s’opposer à l’UCI et à ce rapport fallacieux.

Il faudra attendre cinq années supplémentaires, pourtant, pour que débute la lente chute de Lance Armstrong. Comme L. A. Confidentiel, l’enquête de Damien Ressiot fait l’effet d’une bombe sur le moment, mais ne suffit pas pour faire tomber le système Armstrong, trop puissant, trop haut placé. « On en riait presque, c’était un cumul de mandats, dit aujourd’hui Pierre Ballester, co-auteur de L. A. Confidentiel. Soit vous vous énervez, soit vous en rigolez. » Le mythe du Texan, plus fragilisé que jamais, tenait encore debout.

CHRONOLOGIE DES RÉVÉLATIONS À L’ENCONTRE DE LANCE ARMSTRONG

Juillet 1999 : Révélation par Le Monde d’un contrôle positif d’Armstrong à un corticoïde pendant le Tour de France. L’Américain le justifiera avec une ordonnance antidatée pour une crème contre les hémorroïdes.

2001 : David Walsh révèle avant le départ du Tour dans le Sunday Times les relations entre Lance Armstrong et le Docteur Michele Ferrari.

Juin 2004 : Publication de L. A. Confidentiel par Pierre Ballester et David Walsh.

Août 2005 : Publication dans L’Equipe d’une enquête de Damien Ressiot où sont révélés six échantillons positifs de l’Américain lors du Tour 1999.

Juin 2006 : Témoignages de Frankie et Betsy Andreu face à la justice, puis dans L. A. Officiel (en octobre 2006), deuxième ouvrage de Pierre Ballester et David Walsh.

Mai & juillet 2010 : Témoignages de Floyd Landis dans le Wall Street Journal incriminant Lance Armstrong.

Mai 2011 : Témoignage de Tyler Hamilton dans l’émission 60 Minutes de CBS, incriminant Lance Armstrong. Hamilton publiera ensuite en septembre 2012 son livre The Secret Race, encore plus détaillé.

2012 : Témoignages auprès de l’USADA de nombreux anciens coéquipiers de Lance Armstrong parmi lesquels George Hincapie, Levi Leipheimer, Christian Vandevelde, David Zabriskie, Tom Danielson ou Michael Barry.

Octobre 2012 : Décision de l’UCI de retirer ses sept Tours de France à Lance Armstrong et de le radier à vie après transmission du rapport de l’USADA.

Janvier 2013 : Aveux de Lance Armstrong à la télévision dans une interview accordée à Oprah Winfrey.

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