Voilà neuf jours que Geraint Thomas parade en jaune. Vainqueur des deux arrivées au sommet dans les Alpes et intouchable sur les deux premiers opus pyrénéens, le Gallois semble filer presque tranquillement vers son premier Tour de France. Un climat d’évidence qui contraste avec une approche parfois déconcertante, entre langue de bois, (fausse) modestie et profonde incertitude.

24 heures pour une balle de match

Avec l’Aspin, le Tourmalet et l’Aubisque par le Soulor, le dernier gros repas qui s’offre à Geraint Thomas dans ce Tour est copieux. Mais quand on a avalé l’ascension de l’Alpe d’Huez puis celle l’étape du col du Portet -censés être de sacrés plats de résistance – comme de vulgaires apéritifs, il n’y a pas de raison de caler sur le dessert. Nicolas Portal, habitué à voir ses ouailles engloutir à peu près tout ce qui se présente, est optimiste : « Geraint possède une marge confortable sur Dumoulin. C’est à lui d’essayer de lui reprendre du temps avant le chrono », dit-il. Alors, Tour déjà gagné ? Thomas Voeckler, consultant pour France Télévisions, n’est pas très inquiet pour le Britannique. « De par ses déclarations, on le voit, il reste très prudent, ce n’est pas maintenant qu’il va se déconcentrer, assure-t-il. D’autant plus que son équipe sait tout à fait gérer ce genre de situation, ce n’est pas la première fois qu’ils sont à trois jours de gagner le Tour de France. »

Les mots de Thomas – Geraint, pas Voeckler -, d’ailleurs, valent le détour. Après le refrain lancinant sommant les journalistes d’identifier Froome comme le seul leader, puis la volonté affichée de ne céder pour rien au monde la tunique jaune, « G » se sentait hier soir « en bonne position » pour remporter la course. Un brin d’ironie qui interpelle. L’excès de prudence masquerait-il un manque d’assurance, alors que l’intéressé connaît parfaitement les rouages d’un Tour remporté pour avoir si souvent accompagné “Froomey” ? « Il faut continuer à vivre la course au jour le jour. Je vais continuer à faire toutes les petites choses qui m’ont permis d’être là », réaffirmait-il, comme un sage élève qui récite sa leçon. De loin « le plus fort du Tour » selon Tom Dumoulin, Thomas n’est pas sur la même pente que Simon Yates au mois de mai, qui avait littéralement explosé en quarante-huit heures. « Une étape comme hier, c’est bizarre mais pour un coureur comme Thomas ça n’a pas été si difficile, il courrait en gestion, analyse Voeckler. Honnêtement, Yates n’avait pas la même structure d’équipe et le même entourage. Être en position de gagner un grand tour, il faut être en position de l’assumer. Sky l’est. »

Une banalité qui n’en est pas

Ce n’est pas dans les habitudes de Sky, en effet, de lâcher un maillot de leader. Mais pour Thomas, le test réussi mercredi n’efface pas encore, chez certaines, les doutes sur sa capacité à tenir en dernière semaine. « Il n’a jamais gagné un grand tour, en fait, c’est pour ça qu’on ne sait pas trop », estime Cédric Vasseur, manager de Cofidis. Et si Thomas ne savait pas vraiment, lui non plus ? En conférence de presse, à la question de savoir si Froome allait désormais se mettre à son service, le maillot jaune répondait : “J’imagine que oui.” Côté langue de bois, le garçon a tout appris comme il fallait. Mais chez Sky, c’est comme s’il avait les clés du camion sans le permis. Entendre son directeur sportif Nicolas Portal parler d’une « simple journée sans » concernant Froome sur l’étape du col du Portet n’a pas dû le rassurer autant qu’il en aurait besoin.

Le garçon lui-même dit s’attendre « au pire des scénarios” et annonce se préparer “à rester ultra vigilant, dans les roues ». Une stratégie défensive logique mais qui traduit aussi la modestie de Thomas, un garçon qui élève rarement la voix, exception faite à un dernier hiver agité où il a beaucoup parlé, et beaucoup de Froome. « Le Tour n’est pas fini avant samedi soir », prévient malgré tout Cédric Vasseur. Oui, certes, mais quand même. Déjà, si les écarts ne bougent pas, tout sera vraiment proche d’être plié samedi matin, avant le chrono. Et surtout, si Froome et Thomas inversaient leurs positions, on se poserait aujourd’hui beaucoup moins de questions. Franchement optimiste, Voeckler, d’ailleurs, ne voit « qu’une chute, ou un incident mécanique » pour priver le Britannique d’un premier sacre parisien. Mister “G” n’a plus que quelques heures à attendre. Même s’il nous fera croire, sans doute, que rien ne sera joué avant les Champs-Elysées.

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