Exception qui confirme la tendance générale, Nairo Quintana a réalisé un beau baroud d’honneur dans le col du Portet. Toutefois, le top 5 du classement général reste monopolisé par quatre rouleurs-grimpeurs, et ce avant même d’avoir disputé le moindre contre-la-montre individuel. Explications d’un rapport de force pas prêt de s’inverser.

Un ratio poids-puissance optimisé

Converti aux nouvelles technologies et à d’autres approches empruntant à des registres bien plus larges que le seul art du cyclisme, notre sport fait la part belle au développement brut des watts. Et les technologies actuelles, SRM en tête, sont une aubaine pour les rouleurs les plus méticuleux qui réussissent ainsi à tirer leur épingle du jeu dans les cols les plus difficiles. « Maintenant, avec le système de calcul de watts, ils arrivent à vraiment optimiser leurs performances et à monter des cols relativement vite, dit Bernard Thévenet. De fait, ils arrivent à aller quasiment aussi vite que les grimpeurs ». À défaut d’en faire partie, des coureurs comme Dan Martin ont déjà adopté le langage de leurs concurrents. Exténué au sommet du Portet, l’Irlandais, deuxième de l’étape, estimait avoir réalisé « un contre-la-montre du pied jusqu’au sommet ».

Signe de l’hégémonie culturelle rampante de ces coursiers d’un genre nouveau ? Pas totalement quand on se rappelle les cinq victoires d’Indurain dans les années 1990, même si « c’est encore plus pointu et serré qu’auparavant », de l’aveu de Vincent Lavenu, qui n’a eu d’autres choix mercredi que de constater la défaillance de Romain Bardet, pur grimpeur par excellence. Mais plus qu’une question de datas et de SRM, le manager d’AG2R la Mondiale parle de la capacité à s’adapter. « On voit qu’aujourd’hui ce sont les rouleurs qui s’adaptent à la montagne. Ils arrivent à rivaliser avec les meilleurs grimpeurs, mais les grimpeurs n’arrivent pas à rivaliser avec les rouleurs dans les chronos. » Le constat est on ne peut plus clair, voire cinglant. Malgré un profil extrêmement vallonné samedi dans le Pays-Basque, Quintana, Landa et Bardet devraient encore reculer un petit peu par rapport aux épouvantails de la discipline Thomas, Dumoulin, Froome et Roglic.

Des tracés énergivores

Pourtant, ce Tour 2018 est loin de certains standards où l’on dépassait les 60 kilomètres chronométrés. Depuis 2012, la part faite aux chronos tend même à diminuer. Sans sacrer, encore, les grimpeurs. « La première semaine du Tour est tellement difficile pour les purs grimpeurs qu’il arrivent dans la montagne déjà fatigués, analyse Philippe Mauduit. Ils perdent en explosivité. Quand ils entrent dans la montagne, ils peinent à faire des différences. » Que faire alors pour rééquilibrer la balance ? « Peut-être qu’il faut faire des courses plus dures, sourit Vincent Lavenu. On voit que sur le Giro, on a des parcours très, très durs, et malgré ça Dumoulin arrive à passer. » Mauduit suggère lui qu’il faudrait partir en montagne dès les premiers jours : « Les grimpeurs feraient la différence tout de suite et on verrait si les rouleurs seraient capable de combler l’écart dans la plaine. »

Un cas de figure qu’on aperçoit régulièrement en Italie ou en Espagne, où il demeure fréquent d’avoir une première arrivée au sommet, sèche ou roulante, au bout de la troisième ou quatrième étape. À défaut de créer des écarts, la présence du contre-la-montre à mi-parcours incite aussi les grimpeurs à se lâcher un petit peu plus tôt, au lieu de présumer de leurs forces en vue d’un chrono final, avec les erreurs de jugement que cela implique. Le scénario du Tour 2017, achevé à Marseille, était des plus frustrants. Alors, le Tour doit-il aller encore plus loin dans l’inventivité ? « Il faut aussi se mettre à la place des organisateurs, c’est vraiment difficile de trouver un parcours qui plaît à tout le monde », met en garde Mauduit après avoir congratulé Dan Martin au sommet du Portet. Même s’ils ont parfois des idées géniales comme on a pu le voir aujourd’hui (hier), c’est difficile de créer un tracé avec du spectacle de la première à la dernière étape. » Après tout, l’ascension de la Planche des Belles Filles très tôt l’an dernier n’a pas fait d’immenses dégâts.

Et si tout cela était devenu normal ?

Incriminer le parcours pour défendre les spécialistes des hautes cimes peut aussi avoir un effet boomerang. « Quand on regarde le parcours du Giro ou de la Vuelta cette année, on effectue des milliers de kilomètres de transfert », souligne Philippe Mauduit. Pas sûr qu’on y gagnerait forcément au change. L’explication est donc peut-être ailleurs. Vincent Lavenu, lui, donne pour de bon le point aux coureurs qui arrivent à perdre avec aisance leur masse graisseuse pour sublimer une masse musculaire impressionnante. « La transformation des rouleurs est plus facile pour obtenir des résultats. Pour résumer, il est plus facile de transformer un rouleur en bon grimpeur que l’inverse, c’est une réalité. » Et les purs grimpeurs, s’ils n’ont plus raflé la mise sur le Tour depuis Sastre en 2008, ne sont pas si loin d’une barre qui s’élève année après année.

Bardet et Quintana, qui comptent à eux deux cinq podiums sur la Grande Boucle depuis 2013, n’ont sûrement pas prévu de prendre leur retraite à la fin de l’année. Derrière, la relève devrait encore s’affirmer. « Bernal, quand on voit ce qu’il est capable de faire aujourd’hui (hier), le boulot effectué à vingt ans… Le prochain grand grimpeur et beau vainqueur, ce sera peut-être lui », affirme Vincent Lavenu. Et puis, rien que sur l’étape du Portet, « c’est un pur grimpeur qui gagne, quand même ! », s’exclame Bernard Thévenet. Si le cycle des rouleurs-grimpeurs semble bel et bien en position triomphante, et induit par conséquent un redistribution des cartes à l’entraînement, certains obstacles semblent chroniques. À leurs adversaires de les surmonter, pour remonter sur la plus haute marche du podium.

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