On attendait beaucoup de cette étape vers le col du Portet. C’était décevant. Très décevant, même. Mais à l’arrivée, on a quelques réponses : Geraint Thomas va remporter le Tour de France et Chris Froome va devoir se battre pour un podium que Romain Bardet a définitivement perdu. On ne l’aurait pas prédit il y a trois semaines.

Un seul patron

On se serait cru dans la première étape de montagne du Tour de France, avec des favoris qui s’observent sans vouloir se découvrir trop tôt. Puis on s’est souvenu que non, on était bien à quatre jours de l’arrivée à Paris, sinon Nairo Quintana n’aurait jamais attaqué à dix kilomètres du sommet. Un petit pied de nez à tous ceux qui lui tombent dessus régulièrement – on plaide en partie coupables – parce qu’aujourd’hui les Movistar ont fait leur course. Alejandro Valverde à l’avant, pour donner ensuite un coup de main précieux au Colombien finalement vainqueur de l’étape, il n’y a rien à dire. On pourra regretter qu’il ait attendu le milieu de la troisième semaine pour se découvrir, mais lui au moins a fini par le faire. Il a été le seul avec les Lotto-NL de Kruijswijjk et surtout Roglic, toujours quatrième mais désormais sur les talons de Chris Froome.

Pourtant, aussi cruel que ce soit, à l’heure de regarder le classement général, on remarque à peine la présence massive des Movistar et des Lotto-NL dans les dix premiers. Notre œil, en fait, est surtout attiré par un chiffre. Deux minutes. Enfin presque, une minute et cinquante-neuf secondes pour être exact. C’est l’avance de Geraint Thomas sur son premier poursuivant, qui n’est plus Chris Froome, et ça change tout. Définitivement, la hiérarchie, chez Sky, s’est éclaircie. Le quadruple vainqueur du Tour n’a « pas les jambes » d’après ses mots, alors que « G a montré que le boss du Tour, le patron, c’était lui », dixit son directeur sportif Nicolas Portal. Les dés sont jetés. L’équipe britannique, après Wiggins et Froome, s’apprête à remporter la Grande Boucle avec un troisième coureur différent, chose inédite en si peu de temps – l’actuelle Movistar l’a fait avec Delgado en 1988, Indurain de 1991 à 1995 et Pereiro en 2006.

Froome s’incline

Est-ce une passation de pouvoir, entre « Froomey » et « G » ? Probablement pas vraiment, parce que le second est presque aussi âgé que le premier – ils ont un an d’écart – et s’inscrit bien moins dans la durée qu’un Bernal, par exemple. En revanche, c’est un tournant dans la carrière de Froome, qui six ans après avoir humilié « Wiggo » sur les pentes de Peyragudes pour prendre le pouvoir chez Sky se retrouve forcé de céder le leadership au moins partiellement, dans une étape, encore une fois, qui passait par la station pyrénéenne. Parce que l’histoire se répète toujours au moins un peu. En revanche, Froome peut se satisfaire de ne pas avoir eu à subir le sort qu’il avait infligé à celui qui endossait avant lui le costume de leader. Cette fois, et peut-être parce qu’elle est très éphémère, l’inversion des rôles s’est faite en douceur.

Thomas n’a attaqué que dans les tout derniers mètres, pour reprendre cinq secondes à Dumoulin et Roglic, alors qu’il aurait sans doute pu plier le Tour quelques kilomètres plus tôt. Si Froome n’avait pas tiré la langue, un peu plus bas, on imagine qu’il aurait pris moins de précaution. Mais celle-ci était peut-être nécessaire. « G mérite d’être en jaune, j’espère qu’il le restera jusqu’à Paris », glissait Froome au moment de rentrer à son bus, comme un adoubement, ou au moins l’assurance d’un pacte de non-agression. Le Britannique a repoussé ce moment, mais il s’est désormais fait une raison. Il rentrera peut-être dans l’histoire plus tard avec un cinquième Tour de France, mais sans doute jamais avec un doublé Giro-Tour. Un simple report, peut-être. Comme Bardet, qui devra revenir pour mettre à mal l’équipe Sky. Ennuyeuse, cette étape l’a donc été pendant longtemps, et il y a beaucoup de raisons d’être frustré, ce soir. Mais au moins, maintenant, on sait.

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