Seulement huitième du classement général au matin de l’étape reine du Tour de France, Nairo Quintana est à des années-lumières du coureur tranchant et dominateur que l’on avait entrevu sur le Giro, la Vuelt ainsi que sur ses premières participations à la Grande Boucle. Sommé de réagir dans les Pyrénées, l’ancien maillot blanc porte sur lui le fardeau d’une équipe Movistar perdue.

Distancé à la régulière

Les défaillances des vainqueurs de grands tours sont souvent rares, et se comptent sur les doigts de la main. Vainqueur de deux épreuves de trois semaines, et deux fois second derrière l’intouchable Christopher Froome, Nairo Quintana termine généralement avec les meilleurs, ou tout seul devant. Problème, sur les routes françaises, cela fait bien trois ans que le garçon déçoit de plus en plus. Incapable de tenter quoi que ce soit en 2016, cramé après son Giro en 2017, 2018 est pour le moment synonyme d’un nouvel échec. Lâché au sommet de la première arrivée en altitude à la Rosière, il ne s’est dressé qu’une fois sur ses pédales, au pied de l’Alpe d’Huez. Un effort qu’il payera, terminant à une anonyme neuvième place, bien loin de son ascension canon de 2015.

« Jusqu’à maintenant, il n’a pas réussi à s’exprimer, relève de manière gênée José Luis Arrieta, directeur sportif de l’équipe espagnole. C’est pour ça que nous avons l’espoir d’être d’être au top demain (aujourd’hui), parce que sur une étape comme celle-ci, s’il est à 100 %, il peut faire des écarts. » Pour distancer les sept coureurs qui le précèdent, c’est bien sur sa giclette qu’on devrait compter. Mais là encore, elle semble avoir petit à petit disparu, et Quintana semble redescendu au niveau des bons grimpeurs-suiveurs, sans plus. Bernard Thévenet parle de quelqu’un qui a « absolument besoin de redorer son blason », alors que Michael Rasmussen constate que « sa progression s’est visiblement arrêtée. Tous les autres lui sont passés devant. »

Une préparation qui pose question

Pourtant, il y a un gros mois, sur le Tour de Suisse, Quintana avait remporté en patron la septième étape s’achevant à Arosa, ce que ne manque pas de relever un autre grimpeur retraité, Chris Anker Sörensen : «  Nous avions vu Quintana en Suisse comme nous ne l’avions plus aperçu depuis un long moment. » Qu’a t-il bien pu se passer entre temps, pour que la mécanique se déraille ? « En Catalogne et au Pays-Basque, il était aussi au niveau », complète Arrieta. Si les tensions de l’intersaison avec son nouvel équipier Mikel Landa se sont estompées à première vue, le flou entretenu par la structure d’Unzue ne l’a certainement pas glissé dans les meilleures conditions. Sur le plan comptable, c’est même le Basque qui s’est affirmé comme le leader naturel de son équipe, pointant à la sixième place, une minute devant le Colombien.

Déjà questionné sur le sujet, Thévenet glissait avoir l’impression que Quintana « n’a pas fait une bonne préparation pour le Tour ». Physiquement pas au niveau, Nairo ? « Perdre du poids n’est pas le seul problème. Probablement que Quintana manque de quelque chose d’autre…, estime Rasmussen. Il n’a pas l’air d’être assez fort, et à moins qu’un miracle se soit produit lors de la journée de repos, je ne le vois pas sur le podium à Paris. Ce n’est pas quelque chose qui va changer en une nuit. Vous êtes bon ou vous ne l’êtes pas, et de loin, Quintana n’est pas au niveau. » L’ancien grimpeur de Rabobank, double maillot à pois sur le Tour, parle même de Bernal comme du probable meilleur grimpeur du peloton actuel, qui n’aurait simplement pas encore eu la chance de le montrer.

Sörensen est un petit peu moins dur, soulignant qu’à son sens, « le poids de Quintana n’est pas un problème ». Quant à son long passage en Colombie pour préparer exclusivement le Tour, décrié chez certains, le Danois y voit un point positif pour aborder la plus grande course de l’année. « Passer plus de temps en Colombie fait partie des solutions. Aujourd’hui, il est quand même meilleur que durant ces dernières années. Je pense qu’il avait besoin de passer du temps là-bas, de s’entraîner beaucoup et de ne pas courir trop de courses », dit-il. Arrieta confirme qu’il s’agissait d’un plan bien établi : « Cette année il a fait exprès de se préparer davantage en Colombie pour arriver sur le Tour avec moins de jours de course. […] Pour le moment ça n’a pas été concluant, mais on continue d’y croire pour les Pyrénées. »

Un appétit diminué

Si l’aspect physique ne serait pas au centre de ses soucis, peut-être s’agirait-il d’une défaillance mentale ? En rose sur le dernier contre-la-montre du Giro 2017, Quintana avait perdu sa deuxième couronne italienne au pire des moments face à Tom Dumoulin. Un choc psychologique très dur, qui a laissé des séquelles sur son moral de compétiteur. Comme tétanisé par l’enjeu, le Sud-américain prend encore moins de risques qu’à ses débuts. Dans sa recherche d’explications, Chris Anker Sörensen sèche un peu. Puis développe. « Pour ma part, certaines années j’étais en très bonne forme, et je faisais donc exactement la même chose l’année suivante. Sauf que la forme n’était plus la même. […] Il y a aussi une part de chance, comme ne pas être malade », précise t-il.

Pour autant, tout ne semble pas perdu. « Les choses prennent du temps, souligne Sörensen. Il peut très bien être de retour l’année prochaine ou sur la Vuelta, s’il s’y rend. Il peut très bien redevenir le meilleur grimpeur du peloton. » « Je suis certain qu’il voudrait être bien mieux qu’il n’est maintenant, jure Rasmussen. Movistar doit obligatoirement se poser les bonnes questions sur ce qu’il s’est passé, parce qu’il était très bon en Suisse. » Le verdict définitif, après une nouvelle perte de temps à Mende, sera prononcé au sommet du Col du Portet. « C’est demain qu’on verra si son organisme est à 100 %, s’il est capable de se donner à 100 % », conclut Arrieta. Les supporters colombiens, massés en nombre le long de la route, sont en tout cas tout aussi nombreux qu’au départ du Tour. Eux y croient encore.

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