Un maillot jaune maculé de boue, dans une descente rendue dramatiquement dangereuse par l’orage qui s’abattait sur les Pyrénées, et un abandon, finalement. L’image de Luis Ocaña, obligé de quitter le Tour en 1971 dans la descente du col de Menté, que les coureurs emprunteront ce mardi entre Carcassonne et Bagnères-de-Luchon, reste comme l’un des épisodes les plus tristes de l’épreuve.

Un rêve touché du doigt

A 26 ans, Luis Ocaña pense enfin venir à bout de son grand rival, Eddy Merckx. A six jours de l’arrivée à Paris, l’Espagnol est maillot jaune avec plus de sept minutes d’avance sur le Belge. Il est en train de réussir son pari, celui de battre le « Cannibale » sur les routes du Tour. Trois jours plus tôt, vers Orcières-Merlette, il a réalisé l’un des plus grands exploits de l’histoire, reléguant Merckx au rôle de faire-valoir, à presque neuf minutes. Mais Ocaña est orgueilleux. Il ne veut rien laisser au grand Eddy. A Marseille, il s’est fait piéger et a concédé près de deux minutes. Pour l’arrivée dans les Pyrénées et l’étape qui va jusqu’à Luchon, il ne compte pas céder un seul mètre au Belge. Dans la descente du col de Menté et malgré l’orage qui sévit, il suit donc Merckx coûte que coûte, sans penser aux risques qu’il prend, alors qu’il pourrait se contenter de gérer son avance.

Quelques minutes plus tard, ce que l’ensemble des observateurs redoutait finit par arriver. Dans un virage, la roue arrière de Merckx dérape, le Belge part à la faute et Ocaña, dans son sillage, file lui aussi dans le ravin. Merckx se relève et repart illico, l’Espagnol tente d’en faire autant, mais se retrouve percuté par Joop Zoetemelk qui sort de la route à son tour. Le leader est sonné, à terre, son maillot jaune encore un peu plus maculé de boue. Il ne pourra pas repartir. Transporté en hélicoptère jusqu’à l’hôpital de Saint-Gaudens, il perd un Tour qui, pensait-on, ne pouvait plus lui échapper. Il ne souffre d’aucune fracture mais de plusieurs contusions. Depuis son lit d’hôpital, il prendra la peine de répondre à quelques journalistes. « J’ai voulu reprendre le vélo mais je me suis effondré, racontera-t-il sous le regard de sa femme, venue à ses côtés. Je n’ai pas vu les coureurs m’arriver dessus, j’ai juste senti les coups. »

Un Tour, quand même, puis une triste fin

Le lendemain matin, le journal L’Equipe titre « Le Tour foudroyé ». Eddy Merckx, nouveau leader de l’épreuve, refuse de porter le maillot jaune et pense même à se retirer. Son entourage l’en dissuadera et le Belge, à Paris, remportera son troisième Tour de France. « J’aurais préféré terminer deuxième après avoir livré bataille tous les jours », dira-t-il des années plus tard à L’Equipe. En vérité, il aurait surtout voulu gagner à la pédale. Il devra se contenter de cette victoire-là, dans une fin de Tour morose, qui voit les épopées de Fuente ou Van Impe dans les étapes de montagne reléguées au second plan. Il n’est question que de l’épisode du col de Menté, où le Tour s’est joué alors que l’on assistait à l’une des plus belles batailles de l’histoire. Quelques jours après l’abandon de l’Espagnol, Eddy Merckx ira lui rendre visite chez lui à Mont-de-Marsan, où Ocaña vivait depuis son arrivée en France, en 1957. Entre les deux, le respect durera toujours.

L’Espagnol, qui se voyait menuisier dans sa jeunesse, avait certes appelé son chien Merckx, pour le plaisir de le voir obéir à ses ordres quand il l’appelait. Mais il vouait une grande admiration au « Cannibale ». Deux ans plus tard, il remportera à son tour la Grande Boucle, mais lors d’une édition privée de la présence du Belge, indésirable après quatre victoires consécutives. Sans concurrence, Ocaña s’impose avec plus d’un quart d’heure d’avance sur Bernard Thévenet. Sa retraite interviendra à la fin de la saison 1977. Une mort à petit feu pour lui, qui confie alors qu’il ne revivra jamais les émotions qu’il a pu connaître sur un vélo. En 1994, il est touché par une hépatite puis un cancer du foie. Alors qu’il ne lui reste plus longtemps à vivre, il se suicide chez lui, à Mont-de-Marsan, à 48 ans. La mort d’un seigneur, car comme l’écrivait Antoine Blondin en son temps : « C’était un géant, c’était un seigneur, c’était le soleil. »

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.