Et si le Tour de France le plus montagneux du XXIe siècle ne sacrait pas un pur grimpeur ? Aux côtés de Tom Dumoulin, la Jumbo-Visma mise surtout sur les fulgurances de Primož Roglič, qui ne possède pas les prédispositions d’Egan Bernal ou Thibaut Pinot pour les grands cols, ni le physique du néerlandais, davantage taillé pour l’effort solitaire. Mais pourtant, le vainqueur du dernier Grand Tour qui s’est déroulé en 2019 paraît au-dessus du lot dans pratiquement tous les domaines. Va t-il alors s’emparer pour de bon du statut de numéro un du peloton ?

Ce qu’il a appris et qui va le faire gagner

Une expérience bienvenue sur trois semaines

Quatre ans après avoir disputé son premier Giro, Rogla n’en est plus à son premier coup d’essai. Vainqueur d’un long contre-la-montre vallonné et pluvieux au bout de neuf jours de découverte des routes italiennes, Roglič s’était ensuite fait remarquer sur les Grandes Boucles 2017 et 2018, remportant à chaque fois une victoire d’étape. D’abord à Serre-Chevalier, en domptant le Galibier sans rivaliser pour le général, puis à Laruns, au terme d’une solide montée en puissance l’ayant vu mourir au pied du podium pour quelques secondes sur les Champs-Elysées. Troisième de son second Tour d’Italie et lauréat de sa seule Vuelta, le champion de Slovénie peut mêler ses remarquables talents d’adaptabilité avec une expérience nécessaire, qui l’avait condamné dans les Dolomites en mai 2019. Plus question, donc, de se satisfaire d’une victoire d’étape ou d’une place d’honneur, tant la phase d’apprentissage est révolue. Plutôt esseulé il y a un an face aux Movistar de Carapaz et Landa, Roglič n’a aucune raison de douter de ce qui l’entoure, et n’hésitera pas à prendre la course à son compte.

Une confiance en lui inébranlable

Les défaites de Roglič depuis deux ans se comptent sur le doigt d’une main. Victorieux de l’UAE Tour en janvier 2019, le bonhomme était tout simplement imbattable jusqu’à ce que Richard Carapaz le fasse vaciller de son piédestal dans l’étape de Courmayeur. « Seulement » troisième à Vérone, le Slovène avait repris sa marche en avant en dominant de la tête et des épaules le Tour d’Espagne, et gagné coup sur coup le Tour d’Émilie et les Trois Vallées Varésines. Vaincu aux championnats du monde du chrono, puis septième au Tour de Lombardie, Roglič ne compte donc que quatre défaites si l’on rajoute le modeste Chrono des Nations, conclu à la troisième position. Et depuis le 21 juin, ses standards ont encore grimpé d’un cran. Sacré champion national, il s’est adjugé le Tour de l’Ain en donnant une leçon à Egan Bernal dans les pentes du Grand Colombier, et semblait promis à une victoire sur le Dauphiné avant d’abandonner lors de la dernière étape, sans éclipser sa démonstration dans le dernier kilomètre du Col de Porte. Une régularité incroyable, qui n’est pas sans rappeler les prestations d’un certain Christopher Froome lors de ses plus belles années à quelques jours du grand départ du Tour. Avec Roglič, les contre-performances sont donc rarissimes.

L’habitude de jouer sur plusieurs tableaux

Si son coéquipier Tom Dumoulin risque d’être fragilisé par la concentration des individualités dans leur formation en cas d’écarts resserrés, Roglič ne s’en est jamais plaint, et pour cause, puisque le coureur de 29 ans a quasiment toujours été sur plusieurs stratégies. Couvert par sa hiérarchie qui lui a donné les moyens pour se construire un profil de vainqueur du Tour en puissance alors qu’il venait du saut à ski, sa quatrième place lors du Tour 2018 découla d’une partie de chassé-croisé avec son partenaire Steven Kruijswijk. Quand l’un attaquait, l’autre collait les roues des concurrents, et vice-versa. Les situations inverses se sont même plutôt mal finies pour lui, puisqu’au Giro de l’an passé, le manque de soutien dont il fut l’objet accentua considérablement le débours dû à ses petites défaillances, alors qu’un collectif plus ample l’aurait maintenu en vie plus longtemps. Plus besoin, donc, de courir derrière tous les lièvres, et de répondre à l’ensemble des attaques qui promettent d’être particulièrement insistantes dès la première semaine de course. Rarement pris de court, il détient le jump nécessaire pour éteindre toutes les contre-offensives possibles, et faire parler sa vélocité dans les moments décisifs. Si son corps lui permet.

Ce qu’il n’a pas encore appris et qui peut le faire perdre

Savoir partir à point

S’il y avait une citation des fables de la Fontaine que l’on pouvait réutiliser dans l’imaginaire cycliste, nous répondrions instantanément que « rien ne sert de courir, mais qu’il faut partir à point ». Dis sèchement, le proverbe est assez sévère concernant Primoz Roglič, qui remporta tout de même une Vuelta l’an dernier après avoir appris de ses erreurs du début de saison. Mais comme le Tour de France est incomparable aux autres épreuves du calendrier, on ne peut s’empêcher de douter, et de se demander si ce Roglič n’est pas au sommet de son art trop tôt. Capable d’assommer encore plus violemment les favoris s’il avait démarré avant la flamme rouge dans le Col de Porte, son accélération dans les derniers mètres fait furieusement penser à celles du dernier Tour de Romandie, où il avait remporté trois des six étapes en plus du classement général, avant de serrer le frein au bout de quinze jours dans le Giro. Révélé sur les courses World Tour d’une semaine, personne ne peut lui reprocher de faire le spectacle ni d’honorer des épreuves souvent réduites aux batailles pour les bonifications. Mais en vue d’un Tour qui ne connaîtra aucun temps mort, un coup de bambou à mi-course sera absolument irrattrapable.

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