Lassé d’avoir accumulé les pépins durant ses deux dernières années de contrat chez Sunweb, Tom Dumoulin se verrait bien rappeler que la nouvelle dimension des Jumbo-Visma s’est principalement construite autour de sa venue. Premier néerlandais à remporter un grand tour depuis Joop Zoetemelk en 1980, le Papillon de Maastricht semble monter en puissance et n’a jamais été aussi interrogé sur ses intentions depuis les abandons en cascade survenus au Dauphiné, entraînant avec eux son encombrant coéquipier, Primož Roglič.

Ce qu’il a appris et qui va le faire gagner

Le plus patient d’entre tous

Face à une jeune garde ébouriffante, Tom Dumoulin continue d’assumer son identité, avant tout celle d’un rouleur qui aime coiffer ses adversaires au poteau. Patient en compétition comme en dehors, le Batave n’a pas eu la précocité d’Egan Bernal, vainqueur de son premier Tour de France pour sa seconde participation, ni l’insolence de Geraint Thomas, couronné l’unique année où il détenait le leadership chez Sky. Progressivement converti aux courses de trois semaines, Dumoulin est passé tout près d’une victoire retentissante sur une Vuelta, avant de convertir l’essai sur le Giro, puis de signer une année 2018 exceptionnelle avec deux secondes places en Italie et en France. Trop entamé après un mois de mai difficile pour viser la victoire en juillet, l’ancien champion du monde du contre-la-montre a retenu la leçon. Bien malgré lui, sa grande fraîcheur résultant d’une saison 2019 quasi blanche lui apportera un grand bol d’air passé la deuxième semaine, quand les sommets alpestres finiront de hiérarchiser le peloton. Même en étant lâché, Dumoulin est un métronome d’une rare régularité, peu friable émotionnellement. Revenu en forme sur le Tour de l’Ain, son absence de victoires depuis le Tour de France 2018 le rend encore plus affamé. S’ils l’oublient, ses concurrents s’exposeront à un redoutable retour de bâton.

Les forts pourcentages ne l’effraient plus

Un coureur de la trempe de Dumoulin devrait logiquement être moins à l’aise sur les cols pentus et les arrivées sèches que les purs grimpeurs, ou des puncheurs tels Julian Alaphilippe, affectionnent particulièrement. Mais ce coursier longiligne, élégant sur sa machine, n’a jamais capitulé dans ce genre de moment, loin s’en faut. Victorieux au sommet de la Cumbre del Sol sur la Vuelta 2015, devant Chris Froome et Joaquim Rodriguez, Dumoulin avait également levé les bras en haut du sanctuaire d’Oropa, dans le Piémont, et terminé troisième en haut du Blockhaus, sans concéder grand-chose sur Nairo Quintana. Et c’est là tout le paradoxe d’un coureur qui s’était fait remarquer en décrochant, en baroudeur, une victoire d’étape sur le Tour 2015 au sommet d’Andorre Arcalis, un long col régulier. Peu importe les déclivités, Dumoulin excelle dans la façon de calquer son effort par rapport à lui-même et personne d’autre. Les passages redoutables du col de la Lusette, en première semaine, et du col de Marie-Blanque, pourraient même lui donner quelques idées derrière la tête si Roglič s’avère toujours souffrant. Quant au col de la Loze et ses rampes à plus de 20 %, son final en ligne droite constitue un avantage non négligeable pour un homme qui rêve de se sublimer dans la Planche des Belles Filles, à vingt-quatre heures de Paris.

Il les a déjà tous battu

On aurait tendance à ne plus s’en souvenir, mais dans un passé proche, Tom Dumoulin a déjà damé le pion à ses rivaux sur les courses d’une et de trois semaines. Outre son Giro victorieux de 2017, qui l’avait vu prendre le meilleur sur Nairo Quintana et Thibaut Pinot, la nouvelle star de Jumbo-Visma avait confirmé sa supériorité sur le Français lors de l’édition 2018 du Tour d’Italie, et outrepassé le tempo d’Egan Bernal lorsque le Colombien emmenait Froome et Thomas dans les cols du Tour cette même année. Son alter-ego slovène, Primoz Roglic, avait aussi disputé le général de la Grande Boucle, et s’était battu avec Dumoulin jusqu’au bout pour les places sur le podium, en vain. Quant aux Buchmann, Landa, Lopez, Yates et autres outsiders, tous ont subi sa loi sur des courses World Tour sans jamais contrecarrer sa main-mise sur le déroulé des épreuves. Psychologiquement, par son palmarès et son expérience, le jeune trentenaire possède déjà l’ascendant, et si le staff de sa formation doit faire un choix en cours de route, son pedigree offrira davantage de certitudes qu’un Roglič, victorieux sans grande difficulté d’une Vuelta, mais capable de s’effondrer vis-à-vis de Richard Carapaz sur un Giro présumé imperdable.

Ce qu’il n’a pas encore appris et qui peut le faire perdre

Avoir une équipe qui a le choix

En quête de changement d’air après avoir passé huit saisons chez Iwan Spekenbrink, Dumoulin avait annoncé la couleur en rejoignant Jumbo-Visma. Pourtant loin de faire des heureux en annonçant ses intentions, le garçon souhaitait se décharger mentalement des responsabilités sans doute trop lourdes qui pesaient sur ses épaules dans la gestion d’une course de trois semaines, après avoir disputé une série de grands tours chez Sunweb avec pour seuls accompagnants Sam Oomen ou Simon Geschke dès que la route s’élevait, quand les autres armadas du peloton disposaient de deux voire trois équipiers dans les dernières montées. Cependant, habitué à ne se soucier que de lui, Dumoulin n’a jamais été en position de devoir partager une stratégie avec un coéquipier aussi fort, voire supérieur sur ce qu’on a vu de son récent état de forme. Quelques petits signes de nervosité ont déjà marqué l’attention, comme ses nombreux appels du pied à définir une hiérarchie claire d’entrée de jeu, alors que ses directeurs sportifs attendront la vérité de la route. La Jumbo-Visma a beau avoir roulé sur la majeure partie du Dauphiné, c’est bien la première fois qu’elle se retrouve dans une telle position de force, qui peut vite se transformer en faiblesse. La loyauté de Dumoulin, elle, n’a jamais encore pu être prouvée. Pour s’imposer, il devra forcément éteindre ses coéquipiers, en force ou en douceur.

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