Vétéran de cette édition, Franco Pellizotti est passé par toutes les émotions sur la Grande Boucle. De retour en France après neuf ans d’absence, ce frais quadragénaire goûte pour la quatrième fois aux frissons du mois de juillet. Un meneur d’hommes, sur qui repose la bonne marche collective de l’équipe Bahrain-Merida.

Revenu de l’ombre à la lumière

Coureur incontournable de la génération transalpine passée par Liquigas, Pellizotti n’a peut-être pas eu l’opportunité de signer de plus grands résultats au moment de ses meilleures années. Après la conquête initiale du maillot à pois sur le Tour 2009, son exercice le plus abouti, l’enfant de Latisana est rapidement descendu aux enfers, en raison d’anomalies sur son passeport biologique. Son cas était quelque peu particulier. D’abord, le CONI – le comité olympique italien – l’a acquitté, mais le TAS l’a condamné par la suite. « J’ai l’impression qu’il n’a pas eu de chance dans le déroulement de la procédure, dit Gianni Savio, manager général d’une formation Androni qui s’est empressée de le repêcher à son retour de suspension, au printemps 2012. À peine deux mois après avoir commencé avec nous, il remportait le championnat d’Italie. »

Pellizotti restera quatre saisons en Continental Pro, flirtant avec le top 10 du général sur le Giro, avant de connaître un retour sur le World Tour. À 38 ans, il est démarché par la nouvelle formation Bahrain-Merida pour épauler Vincenzo Nibali sur trois semaines. Derrière les tractations se dévoile en réalité une communauté reprenant les piliers de la maison verte. « Quand nous courions ensemble, j’ai pu apprendre énormément de choses à ses côtés. Alors, quand on lui a proposé de venir dans l’équipe Bahrain, on était sûrs que l’on pourrait profiter d’un gars bien », raconte Gorazd Stangelj, son directeur sportif et ex-coéquipier sous la bannière d’Amadio. Le Croate Vladimir Miholjevic s’est lui aussi reconverti au sein d’un encadrement qui respire l’atmosphère du bassin adriatique.

Dans cette disposition, celui qui avait inscrit son nom au palmarès des vainqueurs d’étapes au sommet des réputés Plan de Corones et Blockhaus semble avoir une jambe de chaque côté de la barrière qui sépare les coureurs du staff. « Franco avait beau être le leader unique de l’équipe, il n’a jamais fait preuve du moindre autoritarisme, précise Savio. Il se servait de son charisme pour enseigner aux plus jeunes. »

De l’élève au maître

Sa deuxième carrière désormais bien entamée, le “Dauphin de Bibione” apparaît pleinement épanoui dans son costume d’ange gardien de Vincenzo Nibali. En apparence dépourvu de regrets vis-à-vis de ses erreurs passées, le garçon à croqué sa deuxième chance à pleine dent. Dans l’aire de départ de la dixième étape, nichée le long du lac d’Annecy, ses souvenirs s’expriment en premier. « Je suis extrêmement heureux de pouvoir retourner sur le Tour après tant d’années. J’y ai d’excellents souvenirs, tout particulièrement de l’édition 2009 avec ce maillot à pois que j’ai pu étrenner ici-même sur un contre-la-montre », dit-il autour d’un café. Savourer le temps présent, c’est le moyen idéal pour évacuer le poids de l’âge, malgré un physique encore impressionnant.

« On a vécu qu’une année ensemble, mais je peux vous dire que c’est un bon mec, avec un très haut niveau de professionnalisme, souligne Jacopo Guarnieri. Quand on le voit encore courir dans les pelotons au bout d’autant d’années, on s’aperçoit qu’il fait partie de ceux qui ont une personnalité dans le vélo. » Le son de cloche est identique chez Savio, qui le décrit comme « capable de se gérer à la perfection. » « Pour son âge, il roule très bien, et il n’y a pas beaucoup de secret, développe le manager italien. Sérieux et professionnalisme. Il interprète son métier dans le bon sens, en faisant appel aussi bien à son intuition qu’aux sentiments vécus en tant que coureur cycliste. » Stangelj va encore plus loin, et nous détaille les quatre grandes fonctions qu’il lui assigne.

D’abord, prévenir en temps réel ses sept coéquipiers à l’approche d’un pic de nervosité sur une étape. Transmettant des garanties considérables d’après les paroles du Slovène, c’est bien Pellizotti qui apporte la tranquillité et la sérénité pour laisser passer l’orage. Ou le déclencher, en imprimant son propre tempo. « C’est un maillon fondamental », conclut-il. Les automatismes sont au vert, et le doyen du 101e Tour de France reconnaît que « notre relation avec Gorazd n’a pratiquement pas changé entre la période Liquigas et aujourd’hui ».

Gregario hors-catégorie

Il est justement amusant de voir le moins âgé des deux botter en touche lorsqu’on lui dit qu’il fixe les consignes auprès de « Pelli ». Figure totémique, le patriarche délivre sa science de la course, au point d’être élevé à la même hauteur que ses superviseurs, Stangelj et Rik Verbrugghe. Ses propres réussites au service des collectifs côtoyés n’y sont pas pour rien. « Je me souviens quand Pellizotti agissait comme un capitaine d’une équipe de foot, dit Gianni Savio. Certaines fois, dans le final d’une course, on peut l’emporter ou perdre sur une bonne ou mauvaise décision prise en trois secondes. Il faut savoir faire le bon choix. Dans les derniers kilomètres du Grand Prix de Prato en septembre 2013, un petit groupe se détache, avec Pellizotti et Zilioli, mon stagiaire de l’époque. C’est Franco qui lui a dit, ‘tu attaques maintenant !’ Il a attaqué, et a gagné la course. »

Une lucidité digne de la profession de directeur sportif, qui lui tend les bras. Annoncé par les médias italiens comme prochain membre du staff de l’équipe Bahrain en 2019, l’intéressé confirme à demi-mot, indiquant ne pas avoir l’intention de continuer à courir très longtemps. Plus encore, l’envie d’imiter Gorazd Stangelj lui traverse l’esprit. « J’espère pouvoir faire aussi bien que lui », nous confie le quatrième du Tour d’Italie 2008, avec un regard qui en dit beaucoup. Frioulan de naissance et vénitien d’adoption, impossible pour lui de rougir d’une telle fin de parcours. Avec, en prime, des méthodes de préparation qui n’ont pas pris une ride. « Quand tu as trouvé le truc pour préparer une course comme le Tour, tu ne le lâches surtout pas ! »

Sa présence dans le milieu professionnel à moyen terme, ne fait plus l’ombre d’un doute. « Je l’ai revu pour la dernière fois en juin aux championnats d’Italie, et il m’a dit qu’il avait commencé les cours de formation pour obtenir la licence de directeur sportif, avoue Savio. Je suis persuadé qu’il sera excellent à ce poste ! » Pour ce qui correspond probablement à son dernier défi en tant que coureur professionnel, le gaillard ne vise rien d’autre que le maillot jaune, destiné à Nibali. Son ultime espoir, revivre le rêve de la cérémonie protocolaire sur les Champs-Elysées, que ce soit pour le classement par équipes, ou pour accompagner le Sicilien. N’y aurait-il pas plus belle sensation de revanche qu’un pareil dénouement ?

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