Déjà deux fois deuxième depuis le grand départ donné de Noirmoutier, l’Italien Sonny Colbrelli confirme sa valeur aux yeux du grand public en prenant les places d’honneur derrière le champion du monde Peter Sagan. Le sprinteur-puncheur de l’équipe Bahrain-Merida, qui aimerait le titiller davantage, possède surtout un autre objectif. Ajuster la mire pour de bon, et s’inscrire dans la catégorie des gagnants.

Le successeur de Modolo chez Bardiani

Chez les équipes transalpines de seconde division, la donne est suffisamment claire. Attirer tous les meilleurs talents de la Botte pour deux ou trois années, les mettre en valeur sur les grandes courses du pays auxquelles l’on reçoit des invitations, ou bien relancer des bons coureurs en panne d’essence, afin d’apporter une expérience supplémentaire pour la formation. Bardiani n’échappe pas à la tradition, et les frères Reverberi, patrons emblématiques de l’ancienne écurie Colnago, y sont pour beaucoup. Brescian d’origine, Colbrelli fait ses classes en respectant une trajectoire ultra classique.

Trophée De Gasperi, Grand Prix de la Libération, l’Edil Cavazzini, top 10 aux championnats du monde des moins de 23 ans à Geelong en 2010. Rapide au sprint, Colbrelli intéresse forcément, dans une nation qui collectionne les sprinteurs corrects, mais plafonnant trop rapidement. Et ce péché que partagent les Nizzolo, Modolo, Ferrari, Guardini et Bonifazio, ne l’épargne pas. Colbrelli doit attendre plus de deux ans et demi pour remporter sa première victoire chez les professionnels, une étape du Tour de Slovénie. Un mini-déclic pour une année 2014 conclue avec cinq succès, et une orgie de places d’honneur.

Une pénible montée en puissance

Sixième de Milan-Sanremo en ayant été trahi par son inexpérience dans la descente du Poggio, le garçon aura enchaîné dix-huit tops 10, victoires non comprises, en dix mois. Lauréat de la Coupe d’Italie, signe d’une régularité hors pair, Colbrelli se montre à l’aise sur des terrains très différents. Des sprints dénués de difficultés, des courses d’un jour se terminant soit par une arrivée en bosse, soit par une descente propice au regroupement, et même sur des portions carrément montagneuses. En témoigne son échappée sur la quatorzième étape de son premier Giro, en 2013, sous la neige. Seul rescapé de la fugue en compagnie de son compatriote Paolini, il entame la sèche ascension du Jafferau avec une minute d’avance sur un peloton qui explosera du fait des attaques d’un imposteur, Santambrogio, et du maillot rose, Nibali. Toutefois, gardant le moral jusqu’au bout, il parviendra à conserver une septième place sur la ligne.

Récidivant sur la Coupe d’Italie en 2015, enquillant la quasi-totalité des épreuves historiques sur deux saisons, Colbrelli remporte aussi le Tour du Limousin, mais n’arrive pas forcément à fructifier sa polyvalence au service d’un palmarès plus fourni. Troisième de l’Amstel réglant le sprint du peloton derrière le duo Gasparotto-Valgren, encore placé sur la Primavera, Colbrelli n’obtient toujours pas la grande victoire qui lui est promise, et semble stagner, malgré un corps de plus en plus affûté. Celui que Roberto Reverberi jugeait en surpoids lors de ses débuts professionnels a fait des efforts, mais bute toujours sur plus fort que lui au moment M, et semble manquer d’inspiration, ou d’anticipation. Ayant pour modèle Tom Boonen, le « Cobra » – ainsi est-il surnommé par son cercle de supporters ndlr – est très loin de la réussite insolente qui accompagnait « Tommeke » à ses débuts professionnels.

Trouver la clé

Toutefois, conforme à ses envies, Colbrelli délaisse de plus en plus les emballages massifs purs, pour se tailler un profil de classicman à la Pozzato. Enfin libéré par un staff sourcilleux à l’idée de se séparer de l’un de ses meilleurs éléments, il intègre le World Tour en janvier 2017 dans la nouvelle équipe Bahrain, aux côtés de Vincenzo Nibali, avec un statut à aller chercher. Réunissant la crème des coursiers italiens, en passant par Visconti, Gasparotto, Gasparotto, Bonifazio, Sonny a franchi le pas qui séparait la seconde division du World Tour, sans accroître de façon phénoménale son total de victoires. En progrès qualitatif, il s’est ainsi imposé sur une étape de Paris-Nice, sa première dans l’élite, et sur la Flèche Brabançonne. Mais ses défauts originaux n’ont toujours pas été gommés. Trois victoires depuis le début 2018, pour une vingtaine de tops 10. On a vu meilleur ratio.

Alors, en le voyant prendre la place de « meilleur des autres » derrière Sagan, dans les rues de la Roche-sur-Yon et de Quimper, il y a déjà de quoi sourire. Une casquette encombrante de Poulidor qui commence déjà à rappeler un certain José Joaquin Rojas, longtemps candidat au maillot vert sur le Tour 2011 resté éternellement fanny sur les Grands Tours, se contentant de l’incroyable moisson collective de la Movistar sur tous les terrains. Car dans les reliefs, Colbrelli devrait lui aussi se mettre à la planche pour favoriser son leader, Nibali, qui lui avait volé la vedette en mars. Au fond, cette histoire s’insère probablement dans la banalité des très bons sprinteurs-puncheurs, obtenant leur chance de plus en plus de fois du fait des courses fermées, mais buttant sur l’extraterrestre de la génération 1990, Peter Sagan. Marqué par une dure chute en Chine, sur le Tour du Lac Qinqhaï, le coéquipier du Squale n’ose sans doute pas frotter au maximum. Tel un Van Avermaet métamorphosé après s’être payé son scalp à Rodez, Colbrelli aurait bien besoin d’une victoire référence. Sans doute y réfléchit-il chaque matin, en sortant son inséparable machine à café de sa valise. Au risque de sacrés maux de tête.

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