Au terme d’un championnat du monde décidément pas comme les autres, le Danois Mads Pedersen a fini par écœurer un Matteo Trentin trop tremblant dans l’ultime faux-plat montant du circuit d’Harrogate, où les 197 participants se sont écroulés un par un comme de vulgaires quilles dans un bowling en plein air. Complètement inattendu, son sacre devrait bouleverser une carrière encore en devenir.

Le coup d’éclat de l’année

Pour le Scandinave de 23 ans, les dimanches se suivent et se ressemblent. Dans l’ombre médiatique à la suite de la Vuelta, des classiques canadiennes, du Tour de Grande-Bretagne ou encore des classiques italiennes, le Grand Prix d’Isbergues – rendez-vous habituel de la Coupe de France – consacrait l’ex-champion du Danemark sur route, au prix d’un sacré numéro sous la pluie, déjà. L’homme du Nord, qui semble décidément très à l’aise sous ces conditions, avait régalé dans son couloir et largué les sprinteurs, prenant date pour les championnats du Monde où il n’était à l’origine qu’un électron libre, au sein d’une sélection nationale sans leader attitré. Certes, il y avait bien Michael Valgren, très bon sixième en collant aux basques d’un Peter Sagan sans doute frustré de ne pas avoir pu s’exprimer au moment où la décision s’est effectuée, mais de Kasper Asgreen à Magnus Cort Nielsen en passant par l’incontournable Jakob Fuglsang, tous avaient leur mot à dire sur une course d’un jour sélective de 260 kilomètres.

Sa seule grande référence avant ce jour de gloire restait sa deuxième place sur le Tour des Flandres 2018, acquise au mérite derrière l’intouchable Niki Terpstra. Mais derrière, ce garçon extrêmement méconnu en France – pour l’anecdote, sa page Wikipédia ne recense pas son lieu de naissance – n’avait jamais pu confirmer dans des proportions similaires. En bon guerrier, probablement galvanisé à l’annonce des abandons successifs de Gilbert, Valverde et Bennett, il s’est d’abord lancé à la poursuite de Stefan Küng et Lawson Craddock, avant de voir revenir le duo Trentin – Van der Poel. Le Transalpin accompagné du fidèle Gianni Moscon, la collaboration n’aura jamais connu de temps morts. Si la tactique italienne fut quasi parfaite, ses coéquipiers n’auront jamais démérité en contrôlant l’avant-poste du peloton, par l’intermédiaire de Fuglsang et Valgren. Les déconvenues invraisemblables vécues par les deux ogres du groupe lui auront ouvert le boulevard nécessaire pour conquérir dans la douleur une victoire encore inimaginable dix minutes plus tôt. Mais le plus résistant a fait la différence.

Un avenir transformé

Désormais vêtu du maillot arc-en-ciel pour les douze prochains mois, le premier Danois champion du monde de l’histoire se retrouve subitement alourdi d’un impitoyable statut à assumer. Et quel fardeau pour un spécialiste des flandriennes qui n’aura réalisé que huit tops 10 sur l’ensemble de l’année 2019. Pour sa formation Trek-Segafredo, c’est plutôt une aubaine lorsqu’on connaît le manque de résultats de l’équipe américaine, plombée par le déclin de Richie Porte et dépendante d’une bonne surprise de John Degenkolb et Jasper Stuyven. L’arrivée de Vincenzo Nibali, que l’on ne présente plus, devrait décharger substantiellement Mads Pedersen d’une pression sans doute trop grande pour lui, à moins que cette affirmation au grand jour ne signe le coup d’envoi d’une seconde phase de sa carrière, dans des dimensions bien supérieures. à cette heure, nul ne sait comment l’ancien lauréat de son tour national digérera l’accomplissement d’une vie, quand bien d’autres tournent autour du pot.

Matteo Trentin, pourtant vainqueur d’étapes sur les trois Grands Tours et champion d’Europe à Glasgow, risque de gamberger un bon bout de temps avant de rebondir sous les couleurs de l’équipe CCC. Pedersen, lui, doit désormais affronter des problèmes « positifs », si on peut les appeler ainsi. L’extrême difficulté de l’épreuve suffit à légitimer un sacre qui ne peut souffrir de la moindre contestation, puisque les battus n’ont jamais subi de coup du sort éliminatoire. Peut-être plus explosif que tout le monde, Mathieu Van der Poel a connu une fringale qui témoigne d’un léger manque de maturité à cette échelle, et montré des signes d’humanité. Sans impressionner, mais sans flancher, Pedersen porte désormais la marque irisée qui devra l’inciter à se désinhiber davantage, quand ses adversaires auront tendance à le craindre. Du vétéran Valverde au plus jeune champion du monde depuis Oscar Freire en 1999, Mads Pedersen symbolise l’état d’esprit des Mondiaux, qui ne sacrent jamais quelqu’un par hasard. À lui de porter vaillamment le flambeau en 2020.

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