Pour son grand retour en terre ferme, le Giro arpente les routes calabraises, aux contrastes saisissants entre l’étroitesse des littoraux et la technicité des chemins montagnards de la Sila, pain-béni des baroudeurs. L’arrivée, jugée à Camigliatello Silano, nous replonge quarante ans en arrière. Tragiquement disparu d’un accident de moto en 2000, Bernard Becaas remportait la onzième étape de l’édition 1982, quand les tifosi de Cosence n’en avaient que pour Giuseppe « Pino » Faraca, le seul héros régional qui vaille.

Becaas, le parfait trouble-fête

Déjà au terme d’une escapade sicilienne, le peloton du Tour d’Italie 1982 allait enfin pénétrer dans une moyenne montagne plus costaude que les petits reliefs insulaires et les collines d’Ombrie et de Campanie. Au départ de Palmi, cité portuaire surplombée par le Monte Sant’Elia, ancien point de passage incontournable du Tour de la Province de Reggio de Calabre, 221 kilomètres attendaient les coureurs, dont les cent derniers en montée quasiment constante. Le trio de favoris attendu, Hinault, Moser et Saronni, laisse les échappées se faire la malle. Il faut dire que le grand soleil méridional avait donné des idées à sept fuyards, parmi lesquels six Italiens et un Français bien inspiré de se trouver parmi ces seigneurs qui pensaient partager un butin entre bons amis.

Parti en éclaireur pour anticiper une hypothétique attaque du Blaireau, l’Oloronais Bernard Becaas avait un coup à jouer, puisque le premier groupe disposait d’un quart d’heure d’avance dans la première des deux ascensions répertoriées, Villagio Mancuso. Comme pour symboliser le passage d’un monde à l’autre, de l’épicurisme côtier à la souffrance des cimes, un crachin désagréable s’abat sur la tête de course, et l’on décide de ranger les arrangements courtois au panier. Davide Cassani, jeune loup qui n’en est qu’à sa première saison professionnelle à l’âge de 21 ans, hausse le tempo, et peut compter sur Giovanni Renosto pour partager les relais. Dans les roues, Becaas s’accroche, et ce trio franchit l’ascension de seconde catégorie avec neuf minutes d’avance sur un peloton où Bernard Hinault grimace lourdement.

Isolé face aux Bianchi et aux Del Tongo, le Breton serre les dents sans jamais être véritablement lâcher. Son manager Cyrille Guimard se targua du coup parfait. Tactiquement supérieur, Becaas porte un démarrage victorieux et conserve ses trois secondes d’avance pour remporter sa seule victoire en solitaire sur un grand Tour. Seulement distancé par Saronni qui grappilla sept secondes en puncheur, Hinault encaisse son coup de moins bien et s’en ira porter l’estocade dès le lendemain, au Campitello Matese, pour ne plus jamais être revu. S’il remercia Laurent Fignon du support apporté pour remporter le second de ses trois Giro, Becaas n’était pas loin dans son estime, bien que le palmarès professionnel de ce dernier ne fut jamais à la hauteur de ses acquis chez les espoirs, où il amassa pas moins de 80 bouquets.

Faraca, l’artiste au drôle de destin

À la même époque, toute une région vibrait au rythme des coups de pédale du fougueux « Pino » Faraca, qui pouvait également lancer les grandes manœuvres armé d’un simple pinceau. Remarqué à l’école pour ses talents, il signe à l’âge de quinze ans sa première toile mettant en scène son idole de toujours, Felice Gimondi, levant les bras maillot arc-en-ciel sur les épaules. L’année suivante, il reproduit les techniques cubistes de Picasso en hommage aux victimes du tremblement de terre qui ravagea le Frioul en 1976, mais choisit de se lancer tête baissée dans le sport cycliste. Le natif de Cosence fait la fierté des locaux en devenant seulement le second coureur calabrais à prendre le départ du Giro, après Giuseppe Canale en 1959.

Attendu suite à son exceptionnelle prouesse dans la course de côte Bologne-Raticolosa en 1980, où il signe le record absolu de l’ascension, il détonne pour sa grande première sur trois semaines. Maillot blanc du Tour d’Italie 1981, Faraca termine onzième au général et reçoit un bain de foule à l’arrivée de la huitième étape dans sa ville natale. Promis à une grande carrière, qui va malheureusement être stoppée net en raison d’une grave chute sur le Tour des Appennins, l’empêchant de découvrir les Mondiaux de Prague. S’il persévère jusqu’en 1986 pour exercer son métier, le Calabrais prend sa retraite, découragé, et fonde sa propre galerie d’art dans la capitale régionale, où il vécut jusqu’à son décès des suites d’une tumeur en 2016.

Cycliste-peintre, Faraca possédait le charme si sincère du coureur populaire, aimé et respecté des siens, qui voyaient en lui le Bahamontes italien, au cœur « grand comme l’Izoard », pour citer le chanteur Gino Paoli. Engagé sous la tunique de l’équipe Passerini, implantée dans le Nord, Faraca s’insurgeait du manque d’investisseurs dans le Mezzogiorno pour attirer les jeunes pousses, contraintes de s’exiler. Demain, avant l’arrivée de l’étape, une sculpture à sa mémoire sera dévoilée, tandis qu’une avenue en son nom sera prochainement baptisée dans le centre-ville de Cosence. De Becaas à Faraca, l’imaginaire cycliste du cœur de la Calabre s’est durablement imprégné de ces anecdotes, qui n’ont rien d’une nature morte.

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