De Matera à Brindisi, les difficultés étaient marginales lors de la septième étape du Tour d’Italie. Le peloton a mis le cap sur la péninsule salentine, et plonge pour quelques jours dans l’atmosphère adriatique des anciennes « terre di confine ». Vestiges des isolats socio-culturels d’il y a six siècles, leur visite s’inscrit dans la continuité d’un Giro qui aurait dû s’élancer d’Europe de l’Est. Partie remise ?
Un balcon sur l’histoire
Tarente, San Giorgio Ionico, Grottaglie, Oria, Francavilla Fontana, Mesagne, Brindisi. Toutes ces villes n’ont pas seulement pour point commun d’assister au défilé de la caravane du Giro, elles ont un patrimoine bien spécial à véhiculer. Lorsque l’Empire Ottoman conquit entre 1389 et 1478 l’ensemble des États balkaniques indépendants, la Mer Adriatique, « mer de l’intimité » selon l’écrivain Predrag Matvejević, se chargea d’innombrables barques de réfugiés venus de Méditerranée Orientale. Parmi eux, beaucoup d’Albanais, qui reçurent la bénédiction de la nouvelle dynastie ibérique aux commandes du royaume de Naples depuis 1442. L’entrée triomphante d’Alphonse d’Aragon dans la cité parthénopéenne ne s’était pas faite dans la douceur, et tous ne comptaient pas s’y plier. Le Salento, région littorale agricole, reconnaissait toujours l’obédience du prince de Tarente, Giovanni Orsini del Balzo, ancien allié du roi déchu, René d’Anjou. Fut un temps, la maison angevine contrôla même la Provence, Naples, la Sicile, l’Albanie, les îles égéennes, et le comté de Jérusalem. Mais le Quattrocento marqua l’écroulement de leurs privilèges, tandis que les épidémies de peste et les nombreux tremblements de terre ruinèrent un modèle économique fragile, inquiet des tempêtes géopolitiques secouant l’Adriatique, permettant à ces trésors de communiquer.
Pour la royauté napolitaine, composer avec ces populations venues des terres sœurs, louées par la papauté de Pie II, revêtait un double intérêt. Combattants aguerris, capables de mettre en échec plusieurs fois les garnisons ottomanes autour de la citadelle de Krujë, les Albanais allaient se révéler d’une grande efficacité pour défaire les résistances angevines durant la guerre civile du Salento (1459-1464), où le meneur de la guérilla albanaise, Georges Castriote dit Skanderbeg, vient appuyer la reconquête du roi Ferdinand. En échange, désireux de s’intégrer dans la vie économique et sociale du pays, et de fuir la misère de leurs patries ravagées et révolutionnées par les nouveaux paradigmes ottomans, de nombreuses franchises leur furent accordées pour créer leurs propres lieux d’habitation, réhabilitant des villages disparus des suites des catastrophes naturelles, et régénérant l’économie céréalière et fruitière. Ininterrompue pendant près de soixante-dix ans, cette vague d’émigration explique de nombreux toponymes de bourgs apuliens encore bilingues, comme San Marzano Albanese, ou Casalvecchio.
Une redécouverte récente d’un phénomène plus diffus
Mais si la venue des descendants des grandes familles albanaises – Castriote et Musacchi pour ne citer qu’elles – conféra un caractère singulier à cette installation étrangère dans les Pouilles, le phénomène migratoire toucha bien l’ensemble de l’Italie centrale et méridionale. Des colonies albanaises de Mezzojuso en Sicile au regroupement sur les pentes du Mont Vulture près de Matera, on retrouve une grande proportion d’exilés dans le Gargano, autour du Monte Sant’Angelo, ou plus au Nord, dans les Marches, attirés par le dynamisme des anciennes foires trans-adriatiques, où les marchands florentins venaient à la rencontre des tisserands de Dubrovnik et des mineurs bosniens. Attardons-nous justement sur le Monte Sant’Angelo. Franchi en tête par Luis León Sánchez durant la huitième étape de l’édition 2017 s’achevant à Peschici, sa reconquête durant la guerre civile, en 1461, résulte d’une action conjointe entre Ferdinand d’Aragon et les stradiotes albanais, qui se partagèrent les retombées. En guise de récompense, Skanderbeg et les siens reçurent les droits seigneuriaux sur ce village et sa pieuse abbaye, ainsi que sur San Giovanni Rotondo, village voisin qui vit la victoire de Fausto Masnada l’an passé.
Éprouvant par la complexité des routes qui ne font que s’élever puis redescendre, le passage du Gargano se renouvellera en 2020 avec une arrivée à Vieste, siège d’une ancienne école artistique fondée par des peintres exilés qui s’y retrouvèrent, entre Albanais, Grecs et Croates. Autour de figures comme Michel de Vlorë et Georges de Šibenik, ils synthétisèrent les techniques du monde byzantin avec l’art latin, qui fit des merveilles en Dalmatie vénitienne, où la citadelle de Trogir resplendit encore. Parvenus de l’autre côté du détroit d’Otrante, qui sépare les Pouilles de la commune albanaise de Vlorë par un couloir de 80 kilomètres, ces femmes et ces hommes étaient attirés par le discours des anciens, vantant « l’Italia felix », comprendre l’Italie heureuse, qui pouvait concrétiser tous les possibles. Bel exemple de coopération culturelle, cette école, qui reçut la bienveillance du monastère des Tremiti, ne saurait être le seul cas de réussite d’une intégration à géométrie variable, ni une rareté dont il faudrait exagérer la portée. Toutefois, si Peter Sagan se risque à demander son chemin en albanais au premier passant venu, pas sûr qu’il trouve facilement une réponse, et pour cause. L’arbërëshe, la langue de cette vieille communauté, n’a en effet plus grand-chose à voir avec l’albanais moderne. Eugert Zhupa, unique coureur professionnel albanais désormais retraité, pourrait en témoigner.
Et pendant ce temps là, Démare gagne brillamment sa 3e étape du Giro et prend une avance substantielle pour ce magnifique maillot cyclamen.
Il convient de noter tout de même que le sprinter français s’affirme comme le meilleur sprinter de la saison. Il est absolument redoutable sur les sprints massifs et gagne en plus, parfois, tel un vrai coursier. J’adore !
J’espère vivement qu’il remporte ce maillot cyclamen afin de consacrer cette belle saison, pour agrandir son (déjà) beau palmarès et comme revanche de cette terrible désillusion de l’année dernière sur cette même course transalpine.
J’ai comme la fâcheuse impression que cette fois-ci, c’est un virus qui risque de venir mettre un terme prématuré à cette “revanche” : Mauro Vegni a en effet exprimé son inquiétude quand à la poursuite du Giro jusqu’à Milan le 25 octobre, les cas de contamination se multipliant de façon inquiétante en Italie… Comme ailleurs, malheureusement : pas de Paris-Roubaix cette année :(… A part ça, encore un article fort passionnant ! Merci !
Ouai dur dur pour Paris-Roubais.. Les boules quoi ..
Pour la Vuelta, je crois que Froome et ses copains doivent songer à la faire en Nouvelle Zélande ..
Simon Yates over ..
Une partie des albanaises expatriés est arrivé aussi en Calabre au XV siècle, ou ils se sont installé preè de Cirò, le village qui donne le nom au celèbre vin, premier produit d’exportation de cette terre dure et ensoleillé.
https://www.paesionline.it/diari-di-viaggio/carfizzi-pallagorio-san-nicola-dell-alto-i-tre-paesi-albanesi-della-provincia-di-crotone_1729
Trois villages aux pentes de la Sila, des endroits magnifiques pour pedaler, entre les oliviers et les vignes, sur des routes ou l’on retrouve peu de voiture et quelques fois des trupeau de vaches ou de mouton…
Il y a quelques jours Cosnefroy déplorait le changement de parcours de Paris Tours, cette classique historique était en effet la dernière, avec la classique de Hambourg, a être la chasse gardé des sprinters. Lui et Patrick lefévère considérant que le cyclisme tendait a se durcir exagérément pour satisfaire les diffuseurs. Mais il faut bien l’admettre, ces routes de vignes, pour nous spectateurs, sont un régal. En cela Paris tours s’apparente donc davantage a une semi-classique flandrienne. A ce propos dommage qu’elle se soit tenue en même temps que Gand Wevelgem car les grosses têtes d’affiche étaient en Belgique. Quelle course époustouflante!! des groupes de favoris éparpillés toute la journée, se rassemblant a 20 km pour exploser en un gigantesque feu d’artifice, WVA et VDP auront sautés sur tout ce qui bouge, Pedersen, d’un opportunisme parfait, fait un beau vainqueur.
Le Giro 2020 est résolument une incommensurable purge…
Je m’inquiète pour le devenir de Paris Tours. La classique la plus ancienne du cyclisme n’a pas été reconnue digne du World Tour qui comprend pourtant des courses bien moins prestigieuses, résultat un peloton qui ressemble de plus en plus à celui d’une simple manche de Coupe de France , à comparer avec celui de Gand wewelgem le même jour. Les fameux chemins de vigne, denaturant pour moi la personnalité d’une classique reservee aux sprinteurs ou puncheurs n’arrangent pas son cas car boudés par la majorité des grosses équipes de D1. Ces chemins sont photogéniques, ok, pourquoi pas les utiliser pour une nouvelle course? Que je sache, les italiens n’ont pas modifié Milan San Remo ni le Tour de Lombardie mais créé de toutes pièces les Strade Bianche.
Il me semble que PT avait été déclassé ,lors de la reprise en main du calendrier par ce que l’on appelait alors l’UCI pro tour, au profit d’épreuves nouvelles. Le vélo s’internationalise et il fallait faire place a des courses plus exotiques…et apportant aussi plus d’argent a l’uci.
Il faut quand même bien admettre que depuis le début des années 2010 PT n’attire plus les cadors du sprint.
La seule solution pour que la classique des feuilles mortes reste fidèle a son parcours serait qu’elle revienne en world tour, mais, ASO la proprio, l’avait déja dit, PT dans son format traditionnel ne rapporte pas assez…
(PFP est quand même assez incroyable!)
Eh oui, histoire de sous bien sûr mais c’est un peu de patrimoine qui s’estompe. J’espère que la classique des feuilles mortes ne rejoindra pas dans le cimetière des courses francaises Bordeaux Paris, les Nations, le criterium international ou encore le Bol des Monedieres…Nostalgie…
oui bordeaux paris, jamais connu mais elle avait tellement folle comme course, apparemment ils ont réessayés en 2014 dommage que ce n’est pas tenue
C’est pas Milan Turin la plus ancienne classique ?
Oui dans l’absolu, bien qu’elle ait moins d’éditions courues à ce jour que PT,Milan Turin apparut bien avant. En fait Milan Turin était considérée comme semi classique alors que PT était une classique. Cette distinction toute subjective vient de l’apparition de l’ancêtre des classements UCI après guerre, le Challenge Desgranges Colombo qui
retenait les deux grands tours , la vuelta n’étant alors qu’une course mineure,plus ce qui allaient bien plus tard etre appelés monuments: MSR, Le Tour des Flandres, PR et le Tour de Lombardie,avec en plus Paris Tours, Paris Bruxelles elle aussi bien ternie aujourd’hui, et la Fleche Wallone LBL n’arrivant qu’un peu plus tard.
Tout ça nous éloigne d’un Giro bien pâle : Bardet et Carapaz doivent regretter de ne pas avoir pu suivre leur choix initial!
Giro palichon mais Giro tout de mème à une période ou normalement tous les chasseurs de grand Tour coupent. Ne faisons pas trop la fine bouche mème si c´est regretable qu´une partie des cadors aient disparus au début. C´est déjas un exploit que l´epreuve ai lieu dans ce désastre sanitaire qui en outre ne s´arrange pas en Europe. Je trouve que dans l´etat actuel du sauve qui peut de la saison, nous devrions etre plutot content de pouvoir apprecier le relicat et la valeur du plan B qui nous est proposé..
C’est vrai, c’est un exploit d’organiser dans ces conditions et jusqu’ici les vainqueurs d’étape sont plus qu’honorables.
Trés peu d’articles sportifs sur le Giro et quasi aucune sur les classiques.
Un problème ?
Ce n’est pas la meilleure période pour nous, l’organisation est compliquée et nos disponibilités très limitées. Mais on va tenter de vite y remédier, ne vous inquiétez pas.
en tout cas grand merci à toute l’équipe!
Une bien belle étape aujourd’hui !
Grave!!! j’ai plus de qualificatif pour sagan!
Ouai.. Sympa cette nouvelle Ardennaise malgrés la malchance du leader d´Astana et les retraits de 2 equipes..
En tout cas Le maillot rose tient bien son rang pour le moment; pas d´efforts superflus et une equipe attentive. Avec le tracé qui reste loin d´etre figé et les leaders qui quittent l´epreuve; c´est peut etre lui le clou du spectacle ..