C’est le propre de ce maillot, son jaune attire l’œil et concentre l’attention. Revêtu pour la première fois par Eugène Christophe en 1919, le maillot jaune de leader est l’objet des rêves les plus fous. Le porter, même le temps d’une seule et unique étape, relève de la gloire. C’est, pour le commun des mortels, l’accomplissement d’une carrière. Lorsque Cyril Dessel se pare de jaune en 2006, il a « l’impression d’être le centre du monde ». L’espoir de porter la tunique de leader suffit à emballer la course. Cette année, si Roglic l’a longtemps repoussé, le jaune orne à présent solidement ses épaules.

Jeu du Cha(rente) et de la souris

Placée entre un début de course inhabituellement montagneux et un final effrayant, la deuxième semaine du Tour était perçue comme une pause dans cette grande bagarre pour le maillot jaune. Les écarts créés lors de la première semaine ont drastiquement réduit le nombre de prétendants crédibles au maillot jaune. Dans le même temps, les derniers jours de course, tant redoutés par la majorité du peloton, ne peuvent encore permettre d’abandonner les calculs et de se lancer corps et âmes dans cette quête. Pourtant, des Charentes à l’Auvergne, de la mer à la montagne, du pineau au saint-nectaire, le peloton a été chahuté, et le classement général avec.

Une étape du Tour trouve son rythme lorsqu’une échappée se forme. Ainsi, le chat peut jouer avec la souris et inlassablement la reprendre dans les derniers kilomètres. Alors que les prétendants pour s’échapper se comptaient sur les doigts d’une main (et encore) dans les Charentes, c’est la Groupama-FDJ qui s’est attachée jour après jour à placer un homme à l’avant. Entre envie de montrer le sponsor et de décrocher une victoire d’étape pour sauver sa course. Pour prendre l’échappée, deux écoles s’affrontent dans l’équipe française.

A l’avant sur la dixième étape entre Oléron et Ré, Stefan Küng s’est décidé à s’extirper du peloton après avoir reçu un texto de celui qui l’accompagnera toute la journée. « Je n’avais pas prévu d’aller dans l’échappée, mais Michael Schär m’a envoyé un texto [le] matin et on s’est dit qu’on devrait essayer l’échappée ensemble. » Le lendemain, c’est Mathieu Ladagnous qui l’imitait. Contrairement au Suisse, c’est en famille que le Palois avait pris la décision d’attaquer. « J’en avais parlé à mes enfants, je leur avais demandé s’ils voulaient que papa aille dans l’échappée. »

Hirschi, la précision suisse

Autre animateur du Tour, Marc Hirschi ne cesse de se montrer à son avantage sur les routes françaises. Après une étincelle au col d’Eze et une aventure solitaire flamboyante dans les Pyrénées, le Suisse a enfin été récompensé en Corrèze. Hirschi a d’abord fait preuve de patience pour rester dans le peloton lors de la traversée du Limousin mais dès que les reliefs se sont montrés plus vallonnés, l’ancien champion du monde espoir est sorti du peloton pour écœurer la concurrence, Marc Soler en tête. Encore impressionnant dans les forts pourcentages, le natif de Berne s’est ensuite attaché à creuser l’écart dans la descente. Tel un funambule sur son fil, Marc Hirschi a dévalé la pente à toute allure, suivant une trajectoire pure et sans s’interroger sur les risques pris. Ses roues parfois instables nous ont fait sursauter mais l’entêtement du coureur de Sunweb a fini par payer. Et c’est mérité.

Le risque est un sujet bien actuel dans le cyclisme et les accidents de Remco Evenepoel et de Fabio Jakobsen nous l’ont que tristement rappelé. Après la dixième étape (d’Oléron à Ré) qui a vu de nombreux coureurs aller au sol, Nicolas Roche s’est d’ailleurs livré à une réflexion : « Dans le vélo, s’il y a un danger on accélère. La descente est dangereuse, on accélère en haut de la bosse. Le tunnel est dangereux, on accélère dans le tunnel. Le virage est dangereux parce qu’il y a du vent, on accélère avant le virage. »

Sagan, déclassé mais motivé

S’ils sont des sportifs hors-norme, les 176 athlètes présents au départ sont aussi constamment à la limite, obligés de prendre des risques parfois insensés pour distancer leurs concurrents. A l’arrivée à Poitiers, c’est Peter Sagan qui a défrayé la chronique. Auteur d’un coup d’épaule appuyé sur Wout van Aert pour échapper à une perche à selfie tendue par un spectateur, le Slovaque avait auparavant profité d’un trou de souris entre les barrières et Clément Venturini pour arriver à hauteur de la première ligne de sprinteurs. Sagan a fini déclassé et les réactions de certains de ses adversaires montrent combien les coureurs sont habitués à prendre des risques parfois démesurés. Caleb Ewan, le vainqueur du jour, affirmait ainsi que « dans l’hystérie d’une étape du Tour, on ne pense pas forcément à la sécurité, on veut passer la ligne le premier. »

L’Auvergne, désillusion française

L’arrivée du peloton en Auvergne, pour l’une des étapes les dures de ce Tour de France, a ensuite réveillé les favoris. Si la France a perdu toute chance de briller au classement général avec la défaillance de Martin et l’abandon de Bardet, dont les tests passés au CHU de Clermont-Ferrand ont révélé une commotion cérébrale, l’étape a permis de confirmer la supériorité des Slovènes sur ce Tour de France. Forts d’une belle démonstration dans les pentes sévères du Pas de Peyrol, Roglic et Pogacar trônent à présent aux deux premières places du général. C’est, comme à son habitude, le plus jeune des deux qui avait lancé les hostilités mais Roglic n’a cette fois pas cherché à se cacher, assumant un tempo élevé jusqu’au sommet.

Décroché sur l’offensive de Pogacar, Egan Bernal, dont le rictus de souffrance ne faisait aucun mystère, lâche de nouvelles précieuses secondes dans sa quête d’un second maillot jaune. Alors qu’il s’était « bien senti toute la journée », le Colombien n’a rien pu faire, malgré des données sur l’étape qui « sont presque les meilleurs de [sa] carrière ». Des paroles qui rappellent celles de Romain Bardet qui, lors de la première journée de repos, affirmait participer « à la course la plus relevée de [sa] carrière, ça roule plus vite, on bat des records de montée, le niveau est ultra-haut. »

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