Aujourd’hui, les purs sprinteurs auront probablement le dernier mot au phare d’Estaca, au nord de la côte galicienne. Et sauf grosse surprise, il ne fait pratiquement aucun doute que le vainqueur ne sera pas espagnol. À l’exception des deux succès d’Alejandro Valverde, le royaume est à sec sur cette Vuelta. Ses lacunes dans le domaine de la vitesse éclatent même au grand jour.
Freire, l’exception symbolique
Question de génération ou de tradition, force est de constater que le sprint n’a jamais été l’alpha ni l’oméga des écoles de formation espagnoles à travers les décennies. Si les castillans comptabilisent 32 succès pour un total – victoires incluses – de 119 podiums finaux au palmarès d’une épreuve née en 1935, seuls deux des leurs trustent le top 10 des bouquets individuels. Tout en haut, autre époque, c’est le défunt Delio Rodriguez qui détient un record quasiment inatteignable pour l’éternité, avec 39 victoires d’étapes entre 1941 et 1947. Véritable cannibale en son pays, lumière au milieu des troubles de la Seconde Guerre Mondiale, il remportait même le classement général de l’édition 1945 avec une demi-heure d’avance. Définitivement inclassable, tandis que le classicman Domingo Perurena, neuvième du hall of fame des victoires journalières, n’en a remporté que douze. Et comme Valverde qui vient d’atteindre la dizaine, ce n’était pas un sprinteur comme on l’entend.
En Espagne, lorsque l’on est jeune, que l’on travaille dur pour passer chez les professionnels où que l’on demeure simplement fan averti, ce sont bel et bien les exploits de Bahamontes, Ocana, Fuente ou encore Delgado qui ressurgissent en images d’Epinal. Co-détenteur du record absolu de victoires sur les championnats du monde, Oscar Freire est bien seul dans le registre du finisseur de la dernière ligne droite. Et conformément à ses qualités, l’ancien coureur de Rabobank n’a pas écrit ses plus belles pages sur la course rouge, malgré sept victoires. Maillot vert du Tour de France 2008, triple vainqueur de Milan-Sanremo, ou encore au sommet de Gand-Wevelgem et d’autres classiques flandriennes, le natif de Torrelavega a laissé un immense vide en annonçant sa retraite fin 2012. Ses disciples annoncés n’ont pas failli, le terme serait exagéré. Ils n’avaient tout simplement pas les épaules, et encore moins le profil pour y répondre.
Qui pour susciter l’espoir ?
Impossible de se hisser parmi les meilleurs sprinteurs si l’on vise des placettes sur des profils plus escarpés, ou que l’on joue au gregario pour d’autres leaders. Le trio Rojas-Ventoso-Lobato, au contraire, a cumulé de manière impressionnante les accessits, sans jamais être en mesure de remporter une victoire de prestige. Il y a bien ce Tour 2011, ou le premier nommé a longtemps disputé le maillot vert, ou le Giro, là où Ventoso s’est imposé à deux reprises, mais pas de quoi marquer durablement les esprits. Révélé sur la Primavera qui était si chère aux yeux de leur parrain, Lobato est même descendu aux enfers après son transfert chez LottoNL le licenciant pour une sombre histoire de somnifères. Pourtant, si les retraites successives des piliers de la seconde moitié des années 2000 laissait entrevoir le pire en ce qui concerne la relève sur les courses par étapes, l’écueil semble bien avoir été palié.
Pour remplacer les Contador, Rodriguez et Sastre, la fédération espagnole a promu de nouvelles pépites comme Marc Soler, vainqueur de Paris-Nice cette année, et Enric Mas. Décevant depuis quelques temps, Ruben Fernandez avait pour sa part remporté le Tour de l’Avenir en 2013, tandis que Mikel Landa a enfin endossé le costume de patron générationnel. Mais quid du sprint ? Le seul talent émergent s’appelle Ivan Garcia Cortina, court pour l’équipe Bahrain-Merida, et progresse depuis sa première participation au Tour d’Espagne l’an dernier. Dans le faux-plat d’Almadèn, il aurait peut-être pu faire mieux qu’une neuvième place s’il n’avait pas lancé d’aussi loin son sprint, avant d’être croqué par les puncheurs. Un manque d’expérience rédhibitoire qui s’ajoute au fait que le profil même de l’Asturien ne fait vraisemblablement pas l’objet d’une attention égale à celle que susciterait un grimpeur au profil identique. Mais l’intéressé ne rêve pas d’une victoire sur le Paseo del Prado. Fort d’un gabarit de flahute, il ambitionne de venger Juan Antonio Flecha en devenant le premier espagnol à gagner Paris-Roubaix. Tant pis si la couronne madrilène devra encore attendre pour voir un grand sprinteur.
C’est une autre époque, mais il me semble bien que l’un des plus grands coureurs espagnols du XXème siècle, Miguel Poblet, a remporté un certain nombre de sprints. C’est dommage qu’il ne soit pas mentionné dans un tel article.
Pour le reste, je partage votre constat. Je m’intéresse au cyclisme depuis un peu plus de quinze ans, et mis à part Freire, je ne me souviens d’aucun sprinteur espagnol de classe mondiale, alors que d’autres nations les ont vus défiler : l’Australie avec McEwen et Ewan, ainsi que Matthews, Cooke et O’Grady, l’Italie avec Cipollini, Petacchi, Viviani et même Trentin ou Bennati, l’Allemagne bien sûr avec Zabel, Hondo, Kittel, Ciolek, Greipel, Degenkolb. Même une “petite” nation comme la Norvège a eu coup sur coup Hushovdt et Kristoff.
Il faut en effet croire qu’en Espagne, on préfère devenir puncheur ou grimpeur. L’exemple type, c’est Valverde, qui a une superbe pointe de vitesse, et qui serait certainement devenu sprinteur s’il avait été australien. Au lieu de quoi, il a remporté des classiques valonnées et est monté sur le podium des trois Grands Tours.
Il y a peu de courses pros en Espagne et pas l’équivalent de notre Coupe de France.
La Fédération espagnole devrait essayer de susciter la création d’une douzaine de semi-classiques qui ne seraient pas chaque fois un championnat de la Montagne et d’ici quelques années, il en sortirait comme chez nous quelques bons sprinteurs.