Enchaîner trois des quatre premiers monuments de l’année, c’est le pari de Vincenzo Nibali en 2018. Le Requin de Messine a frappé très fort en remportant Milan-Sanremo il y a quinze jours et venait ensuite sur ce Tour des Flandres sans pression. Sa course fut donc placée sous le joug du plaisir, quitte à faire preuve d’un peu trop de générosité. Mais l’Italien a pris rendez-vous pour une nouvelle venue, en Belgique ou bien du côté de Roubaix.

La surprise aurait été trop grosse

Discret pour ne pas dire transparent de janvier à mars, y compris sur Tirreno-Adriatico, le Sicilien avait réussi à entourlouper le peloton dans le Poggio, sous couvert d’une stratégie cachée en compagnie de son compatriote Sonny Colbrelli. Profitant de son triomphe sur la via Roma pour confirmer son voyage dans le Nord de l’Europe pour le premier avril, la tête d’affiche d’une équipe Bahrain-Merida de plus en plus ambitieuse sur les pavés savait qu’un tel numéro serait quasiment impossible à reproduire sur un terrain qu’il ne maîtrise pas. Et pourtant, bien placé au fur et à mesure que les principales difficultés s’enchaînaient, il s’est offert une petite folie en plaçant une attaque sur le sommet du Kruisberg. A plus de trente kilomètres d’Oudenaarde, tout était caractéristique du vainqueur des trois grands tours qui brille sur les classiques par ses attaques lointaines.

Mais l’équipe Quick-Step, en fine connaisseuse, n’a pas voulu prendre de risque. Sautant dans sa roue, Terpstra a d’abord muselé Nibali avant de le décrocher dans une portion venteuse qui nécessitait plus de puissance que n’en a l’Italien. Rideau pour le Squale, qui s’était bien battu. Face aux micros à l’arrivée, il s’estimait toutefois satisfait de sa grande première qui n’avait rien de ridicule, puisqu’il eut l’honneur d’être l’un des protagonistes du final. “J’ai fait ce que j’ai pu pour voir si il y avait une possibilité de jouer un coup. […] Je suis resté pendant six heures stressé et concentré. […] Je me sens comme si je sortais de la machine à laver”, confiait-il à la RAI, enthousiasmée par ce qu’il avait finalement été capable de faire. Avant de filer en vitesse pour embarquer en direction de San Sebastian pour le Tour du Pays Basque, Nibali n’aura pas boudé sa joie d’avoir foulé les monts les plus mythiques de son sport.

Gagner Liège, puis rêver de l’Enfer du Nord ?

A 33 ans, le plus gros palmarès du peloton actuel assume une philosophie qui vise désormais à garnir son armoire de trophées plutôt que de revenir en boucle sur les mêmes épreuves d’une et trois semaines sans pouvoir forcément jouer la gagne à la régulière. Certes, il y a bien le Tour de France, qui est officiellement mis sur le même plan que les championnats du monde montagneux d’Innsbruck à l’automne, mais celui qui a porté le garçon demeure surmotivé à l’idée d’empocher un troisième Tour de Lombardie, un premier Liège-Bastogne-Liège après l’échec cruel en 2012, et pourquoi pas une classique pavée. Comme Valverde et Bardet, en reconnaissance sur A Travers la Flandre, Nibali a pu emmagasiner de l’expérience avant la neuvième étape du prochain Tour de France, mais surtout évaluer sa faculté à jouer la gagne d’ici deux ou trois ans aux prochains printemps.

Le Tour des Flandres, qu’il raconte comme un sprint permanent pour se placer au pied des ascensions, nécessite sans doute un tempérament et des pré-requis moins inné. Mais sur Paris-Roubaix, où l’on se souvient de l’essai réussi de Bradley Wiggins en fin de carrière, Nibali pourrait réaliser des merveilles. Sur le Tour 2014, il avait en partie forgé son succès final lors d’une démonstration individuelle et collective sur les secteurs pavés d’Arenberg, reléguant à deux minutes ses principaux rivaux des cols alpins et pyrénéens, dans des conditions météorologiques dantesques. Alors, à quand l’essai ? S’il n’exclut pas de courir un jour l’Enfer du Nord, la priorité reste pour le moment la Doyenne, la Grande Boucle et le maillot arc-en-ciel. N’est pas flandrien qui veut. Mais c’est comme si Nibali, lui, pouvait devenir tout ce qu’il ambitionnait d’être.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.