Il y a dix ans presque jour pour jour, le 8 juillet 2008, Romain Feillu disputait le contre-la-montre individuel du Tour de France, à Cholet, avec le maillot jaune sur le dos. Grâce à une échappée au long cours la veille, vers Nantes, le Français de 24 ans à l’époque avait endossé le paletot de leader. Battu au sprint par son ami Samuel Dumoulin, il avait vite oublié, concentré sur cette tunique dont il voulait profiter au maximum. Pour la Chronique du Vélo, l’actuel coureur de Saint-Michel-Auber 93 a accepté de revenir sur les plus belles vingt-quatre heures de sa carrière.

Lors de cette troisième étape qui se termine à Nantes, que se passe t-il quand vous comprenez que vous allez récupérer ce maillot jaune ?

Et bien à vrai dire, j’y ai pensé un petit peu toute la journée car étant le mieux placé au général de l’échappée, le but pour moi c’était vraiment d’arriver détaché avec un petit peu de temps sur le peloton. Avec moi, il y avait Samuel Dumoulin, avec qui je m’entendais bien, j’étais rassuré, donc si on allait au bout on avait chacun un objectif différent qui nous motivait. Et les deux autres étaient plutôt des bons rouleurs, Frishkorn et Longo Borghini. En plus, on avait réussi à bien s’entendre dès le départ, à en garder un peu pour le final. On avait bien le sentiment de prendre de l’avance sur le peloton, de jouer avec lui, j’étais peu connu, les autres aussi, ça a joué en notre faveur.

Du coup, cette histoire de maillot jaune, ça vous a sorti du sprint ?

Oui, complètement. Dumoulin, je lui demandais encore au dernier moment de collaborer jusqu’au bout pour le maillot jaune, et je lui disais que s’il attaquait pour l’étape je n’irais pas le chercher. C’est vrai que dans ma tête je ne visais que le maillot jaune, et pas du tout la victoire d’étape.

Le maillot jaune faisait oublier une troisième place qui, en temps normal, aurait pu être décevante ?

Oui, c’est ça. Et à l’époque pour être honnête, c’était mon deuxième Tour de France : l’année d’avant j’avais déjà fait deux fois cinquième et plusieurs fois dans les dix premiers pour ma première participation. Alors là le maillot jaune, c’était une chance inouïe de l’avoir et je savais dès le début que ce serait extrêmement difficile de revivre ça. Au contraire je me disais que des étapes, j’en gagnerais d’autres, que j’aurais d’autres occasions. Au final, ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça (rires).

« Je me suis ressassé mon enfance, l’époque où je voyais Miguel Indurain enfiler le maillot sur les podiums quand j’avais entre 6 et 10 ans. Le temps d’une journée, je m’identifiais un petit peu à lui. […] J’avais fait un jour ce qu’il a fait pendant des années. »

– Romain Feillu

Une fois que l’on se retrouve sur le podium protocolaire, qu’est-ce qu’on ressent ?

C’est extrêmement rare. Moi je me considérais comme sprinteur, on en avait déjà vu le porter en première semaine, et c’était souvent le meilleur du lot qui ne le gardait pas très longtemps. Ou alors quand il y avait des prologues, mais pour ça il fallait déjà être bon rouleur. J’étais bon mais pas suffisamment pour ça. Alors une échappée comme celle-là, c’était vraiment la seule occasion de l’avoir. Je me suis ressassé mon enfance, l’époque où je voyais Miguel Indurain enfiler le maillot sur les podiums quand j’avais entre 6 et 10 ans. Le temps d’une journée, je m’identifiais un petit peu à lui. Je n’avais pas réalisé d’exploits en haute montagne ou ailleurs, mais j’avais fait un jour ce qu’il a fait pendant des années.

Avec le contre-la-montre du lendemain, vous saviez que vous n’alliez garder le maillot qu’une journée. Qu’en avez-vous fait le soir ?

Je n’ai pas dormi avec. Je l’ai porté un moment avec les collègues de chambre, le temps de la soirée pour rigoler un bon coup, mais après, je l’avais remis au pied du lit ou sur le meuble de chambre, je ne sais plus trop bien.

Le chrono, ce n’était pas votre point fort. Mais en temps que leader, on s’élance en dernier. Vous avez pu découvrir ce que cela faisait vraiment…

Autant la veille je savais que je n’allais pas le garder longtemps, mais au final, je m’étais dis que peut-être j’allais pouvoir le conserver car j’avais plus de 1’40 d’avance. Mais c’était utopique. J’ai fait une performance très mauvaise. Le matin, j’ai reçu beaucoup de sollicitations et j’y ai répondu. Dans le portique de départ, je n’étais pas du tout dans ma bulle, juste content d’être là, et je voulais partager ce moment avec le plus de gens possible.

Pour quelqu’un qui n’est pas habitué aux sollicitations des médias, est-ce si déstabilisant ?

C’est sûr que ça n’aide pas. Je venais d’une petite équipe, c’était déjà grandiose d’être là où j’étais, et je n’avais pas les dents longues pour prétendre gagner le Tour de France. Porter le maillot jaune une journée, ça me suffisait largement ! J’étais déjà tellement content et je voulais en profiter au maximum. Car si rien n’avait changé, si je n’en avais pas profité, ça aurait été terrible…

« (Après le chrono) le Tour était loin d’être fini. J’étais venu avec l’idée de faire des résultats sur des étapes. Prendre quelques échappées… Le maillot jaune, c’est génial, mais ce n’était absolument pas l’objectif de base. »

– Romain Feillu

En plus, tout le monde vous a vu, vous n’étiez pas caché dans le peloton au milieu des autres tuniques colorées…

Complètement. On sent la foule comme jamais, pour une ville comme Cholet la foule était assez impressionnante. Je me souviens très bien des petites bosses où le public formait un éventail devant moi, ça s’ouvrait juste pour mon passage. C’est vraiment quelque chose de sympa. Le Kuota de chrono que j’avais à l’époque, je ne l’avais jamais testé avant, et il avait été dessiné spécialement pour l’occasion. En plus, j’étais malade quinze jours avant le départ du Tour, j’ai donc fait partie des sélectionnés de dernière minute. Alors voilà, avec tout ça qui s’est enchaîné très rapidement, c’était forcément que du bonus. Mes sensations n’étaient pas bonnes, j’étais logiquement fatigué de la veille, alors il fallait juste profiter du moment présent.

Une fois la ligne franchie, c’est le retour à la vie normale ?

Oui, voila, mais avec d’autres choses en tête. Le Tour était loin d’être fini. J’étais venu avec l’idée de faire des résultats sur des étapes. Prendre quelques échappées… Le maillot jaune, c’est génial, mais ce n’était absolument pas l’objectif de base. Il ne fallait pas s’arrêter en si bon chemin, et ce fut un très très bon Tour. Je finis troisième au sprint d’une étape à Nîmes remportée par Cavendish. En troisième semaine, même légèrement malade, j’arrive à me ré-échapper à trois jours de la fin en compagnie de Barredo et Burghardt, à qui on disputera finalement la victoire (l’étape arrive à Saint-Etienne et Romain Feillu termine 3e, ndlr). J’arrive juste derrière avec Le Mével et Astarloza. Puis j’abandonne finalement le lendemain dans les premiers kilomètres ou je suis tout de suite lâché. Mais j’avais déjà réussi mon mois de juillet.

En 2008 chez Agritubel, il y avait aussi le champion de France Nicolas Vogondy. À choisir, entre le maillot tricolore pendant 365 jours et le maillot jaune une journée, qu’auriez-vous pris ?

Je ne sais pas trop… Les deux sont extraordinaires pour ce qu’ils sont. Le maillot de champion de France, on a les liserés qui restent pendant toute la carrière derrière. Mais le maillot jaune, cela reste quelque chose qui vous caractérise quotidiennement. Il n’y a pas une course où Daniel Mangeas ne le rappelle pas lorsqu’il me présente, par exemple. Au final, je pense vraiment qu’il y a match.

« C’était un jour parfait. Si vous voulez tout savoir, j’ai toujours le vélo du chrono de Cholet soigneusement rangé dans le grenier. Et pour le maillot, j’ai pu seulement ramener la combinaison intégrale de chrono, en raison des différents protocoles. »

– Romain Feillu

Agritubel évoluait à l’époque en deuxième division. La tunique de leader, c’est forcément ce que vous pouviez offrir de mieux à cette formation ?

Évidemment. Agritubel était présente sur la Grande Boucle depuis 2006. En 2007, pour mon premier Tour, j’avais fait les sprints de première semaine mais c’est sans doute l’année qui avait été collectivement la moins bien réussie. Malgré tout, en quatre participations, l’équipe a gagné deux fois (Juan Miguel Mercado à Pau en 2006, son frère Brice au sommet d’Arcalis en 2009, ndlr), porté le maillot jaune, le bleu-blanc-rouge avec Vogondy et Christophe Moreau… On a connu de beaux Tours !

Quand on regarde actuellement les échappées en première semaine des grands tours, on se dit qu’un coureur d’une petite équipe ne peut plus réaliser pareille aventure ?

Beaucoup moins, oui. À l’époque ce n’était vraiment pas pareil. Maintenant, toutes les équipes mettent quelqu’un à rouler. Avant, les formations entre elles s’entendaient probablement un peu moins bien. L’équipe du favori assumait ses responsabilités tandis que les autres étaient plus attentistes. Maintenant, on voit que ceux qui finiront sixième ou septième font le jeu des meilleurs en roulant avec eux. Leurs équipes feraient peut-être mieux de placer des baroudeurs dans l’échappée afin de compliquer la tâche du grand favori. Mais oui, du coup, pour une petite échappée, c’est bien plus corsé.

Ce dimanche par exemple, après le grimpeur, Smith et Gogl se sont relâchés, laissant Sylvain Chavanel tout seul à l’avant…

Le cyclisme a beaucoup changé. Par exemple, samedi, on a vu Oliver Naesen d’AG2R engranger une bonification pour replacer la voiture de son équipe dans la file des directeurs sportifs. Il y a encore plus d’enjeu, plus d’argent selon moi, la physionomie n’est plus la même.

Avec le recul, vous avez donc un peu de chance, ce jour-là…

C’était un jour parfait. Si vous voulez tout savoir, j’ai toujours le vélo du chrono de Cholet soigneusement rangé dans le grenier. Et pour le maillot, j’ai pu seulement ramener la combinaison intégrale de chrono, en raison des différents protocoles.

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