A 24 ans, Pierre Latour s’apprête à disputer ce qui sera seulement son deuxième Tour de France, mais il est déjà le lieutenant numéro un de Romain Bardet. L’Auvergnat, septième du Dauphiné – et maillot blanc – quand son leader allait chercher une place sur le podium, a rassuré les rares qui avaient besoin de l’être. Sa première expérience sur la Grande Boucle lui a permis d’apprendre, et il sera cette année au départ conscient des erreurs à ne pas commettre. Comme Bardet, en somme, chaque année un peu plus costaud et plus proche du maillot jaune. Pierre Latour, en tout cas, y croit. De ça, de son rôle de lieutenant et de sa saison pour le moment très réussie, il a parlé à la Chronique du Vélo.

Avant le Dauphiné, aviez-vous pensé à ce scénario avec Romain sur le podium et vous dans le top 10 ?

En fait avant le Dauphiné, on était en stage en Sierra Nevada, on avait bien travaillé là-bas, mais quand on redescend en altitude, on passe une sorte de test en course. On voit comment on est, si on a des sensations bizarres à l’entraînement, mais pour nous tout s’est bien passé. Le but était d’abord d’aider un maximum Romain, et si je réussissais à rester longtemps avec lui, forcément ça devait me permettre de faire un bon classement général.

Au début du Dauphiné, pensiez-vous un peu au général ou pas du tout ?

Non, je n’y pensais pas. Je me disais on verra bien. J’étais surtout là pour voir si la forme était là, et pour aider Romain.

Dans des courses par étapes, quand les meilleurs partent dans le final d’une étape de montagne, quelle est votre philosophie ? Se donner à bloc pour votre propre classement ou s’économiser pour les jours suivants ?

Disons que ça dépend des moments. Sur la dernière étape du Dauphiné par exemple, j’avais le maillot blanc qui était à ma portée. Du coup oui j’ai essayé de m’accrocher pour aller le chercher, mais s’il n’y a pas d’ambition pour le général ou le classement par équipes, une fois que t’as fait ton travail tu peux te relever complètement.

Vous arrive-t-il d’avoir ce dilemme sur les premières étapes de montagne ?

Septième du général et maillot blanc, Pierre Latour a réussi son Dauphiné – Photo ASO / A. Broadway

Non pas vraiment parce que de toute façon je sens très vite comment sont les jambes, et je fais un peu comme ça vient.

Sur ce Dauphiné, il y avait quatre hommes au-dessus en montagne : Thomas, Romain, Yates et Martin. Quand ils se détachaient, étiez-vous déjà à bloc ?

Ca dépendait des étapes. En général sur les attaques je ne pouvais pas y aller mais ensuite au train j’arrivais à rentrer ou à limiter la casse. C’est le changement de rythme que je n’arrivais pas à faire.

Dans ce rôle de lieutenant, quand vous savez que ça peut revenir même après des attaques, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

J’essaie de garder le rythme le plus élevé que je peux avoir, au cas où ça revienne. Par exemple sur la dernière étape, où Tony (Gallopin) a fait le pied de l’avant-dernière bosse et qu’ensuite Romain a attaqué, je m’étais pris une dizaine de mètres puis je suis rentré. A ce moment-là, Romain m’a demandé si je pouvais attaquer, donc j’y ai été. Ensuite, ils me reprennent, Romain repart et moi je pète, mais j’ai réussi à revenir sur le haut de la bosse.

Dans ces situations là, quand on revient de l’arrière, a-t-on encore du jus pour mettre une attaque ou rouler en tête de groupe ?

Ca dépend des moments, des fois non (rires). Mais parfois il en reste, oui. Ca dépend de si ça tamponne devant ou pas, en fait.

Rééditer ce scénario sur le Tour, avec Romain en bagarre pour le podium et vous dans les dix, est-ce envisageable ?

Je ne sais pas, sur trois semaines c’est différent. C’est beaucoup plus long, usant. Il y a aussi la première semaine avec le vent, les pavés, je ne suis pas tellement fan de ça. Donc on verra comment ça se passe, mais s’il y a des cassures en début de course je ne serais pas affolé (rires).

Même si le but n’est pas d’être au top de sa forme sur le Dauphiné, par rapport à l’an dernier (15e), vous semblez avoir franchi un gros cap.

Je pense que oui, j’ai franchi un palier cette année. Déjà en Catalogne et en Romandie j’étais plus régulier, mieux placé au général. C’était pareil sur ce Dauphiné, et j’espère encore progresser d’ici le Tour.

« Sur le Dauphiné, à chaque fois on avait encore beaucoup de mecs après les premières bosses et on a réussi à mettre en route plusieurs fois dans les cols, c’était bon signe. L’équipe prend confiance. »

Pierre Latour

Quand vous avez été plus libre, sans Romain dans l’équipe, vous avez notamment décroché ce podium en Catalogne. Vous vous y attendiez ?

Au général, non. J’espérais faire dans les dix, voire dans les cinq. Mais le podium, c’était top.

Quand vous vous rendez compte que le podium est possible, il se passe quoi dans votre tête ?

En fait c’est la chute de Bernal sur la dernière étape qui me fait passer troisième, puis je fais le sprint pour la troisième place parce que devant il y avait Yates et Soler. Et c’est grâce à la bonification que je suis dans le même temps que Yates, ça se joue donc à la place pour départager le troisième et c’est moi. C’était une grande satisfaction, je ne pensais pas être à ce niveau là-bas.

Sur la première étape de montagne à La Molina, vous terminez juste derrière Valverde, Bernal et Quintana. Vous comprenez à ce moment-là que vous êtes parmi les plus costauds ?

Oui, là j’avais vu que j’avais la bonne patte en montagne et qu’il fallait que j’en profite. Mais j’avais déjà vu sur la deuxième étape, où j’avais réussi à attaquer en haut de la dernière bosse, que ça répondait bien. Ce podium, c’est un palier de franchi, ça donne de la confiance pour la suite, pour le refaire.

Sur le Tour, il y a depuis des années deux grosses écuries ou les leaders sont presque interchangeables : Sky et Movistar. Avez-vous l’impression qu’AG2R se rapproche de ce modèle là ?

A l’offensive sur la dernière étape, Pierre Latour a finalement terminé le Dauphiné avec le maillot blanc – Photo ASO / A. Broadway

Il y en a aucun de nous qui est au niveau de Romain ou capable de jouer les premières places sur le Tour, mais on a vu, surtout en bosse, qu’on avait un gros collectif. Sur le Dauphiné, à chaque fois on avait encore beaucoup de mecs après les premières bosses et on a réussi à mettre en route plusieurs fois dans les cols, c’était bon signe. L’équipe prend confiance.

Sur le Tour, il y aura très peu d’étapes de transition entre Annecy et la veille de l’arrivée. Vous appréhendez cet enchaînement ?

Ça va être un enchaînement d’étapes difficiles, mais comme toujours ça dépendra de comment ça roule. Parfois une étape pour sprinteurs, s’il y a du vent et que ça roule toute la journée, ça crame aussi. Mais c’est sûr que quand tu prends 3000 mètres de dénivelés tous les jours, ça n’aide pas. Ça laissera de la fatigue et je pense qu’il y en aura forcément qui auront des journées sans.

Vous avez disputé votre premier Tour l’an dernier, qu’est-ce que vous en avez appris ?

Qu’il y a beaucoup plus d’engouement et de pression. Il y a toute la presse, c’est un truc de fou, c’est vraiment une autre dimension. Il n’y a que sur le Tour que c’est comme ça. C’est aussi plus nerveux, plus stressant. Parfois, tout le monde veut se placer à 120 kilomètres de l’arrivée alors que ça ne sert à rien.

Vous aviez été surpris par l’ampleur de tout ce qui tourne autour du Tour ?

Même si on est un peu préparés, quand on arrive là-dedans ça surprend toujours un peu. Entre ce qu’on dit et la réalité… Quand tu le vois vraiment, tu te rends compte à quel point c’est spécial et unique.

« Je pense que chaque saison, Romain a franchi un palier et que là il est encore meilleur que les deux dernières années. Donc oui, je pense que ça peut le faire. »

Pierre Latour

Est-ce qu’il y a des erreurs que vous avez faites et que vous allez pouvoir corriger ?

Bien sûr, on fait toujours des petites erreurs et on apprend avec les années. Moi je pense que sur les premières étapes j’ai bouffé vraiment beaucoup de jus à frotter tout le temps. Il faut que je sois plus détendu, moins stressé, parce que du coup la dernière semaine j’étais complètement cramé. Et puis pour finir je me suis cassé le bassin sur le chrono de Marseille (la veille de l’arrivée, ndlr), j’ai voulu prendre le virage un peu trop vite (rires).

Vous étiez trop focalisé sur le fait de rester proche de Romain ?

C’est ça, je voulais rester à ses côtés si jamais il avait un problème. En fait sur le Tour, le mieux est d’arriver à être toute l’équipe ensemble, comme un noyau. Mais moi j’ai un peu de mal avec ça, je traîne plutôt en queue de peloton pendant la course, alors là rester tout le temps devant ça m’a coûté de l’énergie.

Ca veut dire que cette année vous ferez moins cet effort ?

Non pas forcément, parce qu’avec l’expérience j’ai appris à rester davantage placé en me fatiguant moins. Romain a toujours été plus à l’aise que moi au niveau du placement donc il m’a donné des conseils, et courir avec lui, voir comment il fait, ça permet d’apprendre.

Romain justement, est-ce que vous le sentez encore plus fort que ces deux dernières années, capable d’aller chercher cette victoire finale ?

Oui je pense que chaque saison il a franchi un palier et que là il est encore meilleur que les deux dernières années. Donc oui, je pense que ça peut le faire.

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