La deuxième journée de repos au sein de la cité médiévale de Carcassonne permet aux 150 coureurs restants de se focaliser entièrement sur la dernière semaine du Tour, par essence la plus difficile. Néanmoins, l’art de récupérer et de gérer un effort marathon n’est pas inné. Alors, comment expliquer les différences de méthodes et d’aptitudes individuelles dans ce domaine ?

Le corollaire d’une montée en puissance

Être à la pointe de la récupération sur un Grand Tour sert surtout à ne pas coincer dans les dernières étapes, pour prétendre à des grandes ambitions en haute montagne. « Les coureurs du classement général sont obligés de prendre des risques, ils peuvent pas arriver à 100 % au départ au risque d’arriver complètement hors-sujet en dernière semaine. Le but, c’est d’arriver à 95-98 % et de monter progressivement vers 100 en fin de course, sachant qu’ils n’avaient pas grand-chose de difficile hormis le Mûr de Bretagne peut-être. », raconte David Han, entraîneur de l’équipe FDJ. La première semaine, en effet, n’avait rien d’insurmontable cette année, si ce n’est l’enchaînement « de routes et profils très plats pendant dix jours, avec du gros braquet ». Dans ce cas, récupérer devient l’élément moteur d’une élévation de son niveau de course. Mais impossible pour les préparateurs d’aligner l’ensemble de leurs coureurs sur une même stratégie, la faute aux profils physiologiques extrêmement variés.

« Souvent, nous, les entraîneurs, on développe des stratégies pour que tout le monde ne soit pas forcément dans la même dynamique. […] Il n’y a aucune stratégie globale de team pour bien viser la troisième semaine. », précise l’entraîneur de Romain Bardet, Jean-Baptiste Quiclet. Il faut dire qu’entre les coureurs qui encaissent de manière linéaire les enchaînements de difficulté et d’autres personnalité sur la rotule dès la journée de repos, difficile de fixer le même programme de récupération pour tout le monde. « C’est clair que quand tu es un peu sur la brèche, il vaut mieux rien faire, les premiers mètres sur le vélo seront délicats mais au moins tu auras fait une journée off. Et dans un autre temps il y a des coureurs comme Romain qui ont un profil physiologique particulier, où ça les bouscule presque de connaître une journée sans courir. Donc ils sont obligés de mettre du contenu en journée de repos », continue Quiclet, directeur de la performance chez AG2R la Mondiale.

Des sacrifices, sans grandes certitudes

Si les spécialistes des différents staffs ont apporté ces dernières années des méthode de plus en plus poussées avec l’incorporation des données data, en quantifiant les charges de travail par rapport à la puissance développée, la récupération n’est pas une science exacte. « Il n’y a pas de secret, il faut essayer d’être le plus frais possible à la fin mais c’est pas évident car par définition, c’est la fin », admet Guillaume Martin, dix-septième au général. Lorsqu’on lui demande s’il possède les moyens à l’avance d’estimer sa condition pour les prochaines étapes, le philosophe reconnaît qu’ « on a des indications, mais je reste un coureur jeune, c’est la deuxième fois que je cours un Grand Tour, je me connais pas encore parfaitement bien. Je suis fatigué, je pense que la plupart des coureurs le sont, c’est dur à dire, donc ce sera une petite découverte ! ».

Réputés solides dans le sprint final, des coureurs comme Landa, Kruijswijk ou Bardet tiennent ces qualités d’un « travail de longue haleine » selon Jean-Baptiste Quiclet. « Souvent les coureurs les moins constants en terme de récupération, c’est ceux qui tout au long de l’année n’arrivent pas à s’imposer une rigueur du quotidien. Sans être un vrai moine bien sûr, en profitant quand même un peu de la vie. Plus on a une rigueur qui est naturelle et qui nous coûte pas, plus on sent que ce genre de coureur possède des prédispositions pour la troisième semaine ». Évalués selon une simulation de « pics de forme sur six semaines », les coureurs d’AG2R arrivent à estimer s’ils arrivent sur le Tour « au top, plutôt en fin de course ou en simple rodage ». Mais ces considérations d’ensemble mises de côté, comment se comporter durant la seconde journée de repos pour bénéficier des meilleures sensations dès le lendemain ?

« Tous les coureurs diront que le plus dur dans une course qui dure trois semaines, c’est la fin de la deuxième semaine, la où la fatigue est la plus palpable et que l’échéance de fin de course reste encore assez éloignée », détaille Quiclet qui annonce la couleur. Différente de la première journée de repos, la seconde « possède un impact physiologique et mental plus déterminant que la première. Cette année, il faut dire qu’elle fut plutôt cool, on venait de passer des journées un peu nerveuses, et il fallait switcher rapidement sur des étapes de montagne ». Même son de cloche chez David Han, qui raconte comment « certains sont allés monter un petit col le lundi pour être dans le rythme dès le mardi. Si tu ne vas pas en monter un avant de reprendre, le premier col en course te fera très mal », et en profite pour glisser que la moins bonne des récupérations, c’est de « ne rien faire du tout ». Concentré, Guillaume Martin rappelle que « par exemple dans les premières étapes alpestres, j’étais dans l’échappée, c’était un moyen biaisé pour être devant sans avoir à faire la guerre avec les favoris ». Chacun s’économise et récupère à sa façon.

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