C’est un signal. Quand il est l’heure, certains habitués crient en queue de peloton : « Gruppetto, gruppetto ». Pour les sprinteurs et quelques équipiers pas vraiment amoureux des cols, cela signifie souvent la fin de la galère. Rallier l’arrivée ensemble et dans les délais est alors le seul objectif. Un mix de calculs savants et de petites astuces.

Prendre la bonne roue

Il y a des maîtres du temps. Depuis dix ans, Bernhard Eisel, coéquipier et ami de Mark Cavendish, a souvent enfilé ce costume. Sur le Tour, il a régulièrement été celui qui faisait en sorte que le Britannique, lâché à la vue de la moindre montée, arrive dans les temps. D’ailleurs, cette année, il n’est pas là, et ça se voit : après avoir flirté avec les délais au Grand-Bornand, le Britannique est arrivé plus de 34 minutes après la fin des délais – il est mis hors course, comme Mark Renshaw et Marcel Kittel. « J’ai toujours le temps maximum dans la tête, racontait Eisel en 2011 à Slate, pour expliquer son rôle. Je sais combien on peut perdre dans le col et combien on peut gagner dans la descente. On n’est jamais d’accord sur le temps, parce que ceux qui sont fatigués disent qu’on a le temps. » Dans l’étape de Saint-Flour il y a quelques années, certains coureurs pensaient pouvoir arriver 43 minutes après le vainqueur. Ils avaient tort. L’Autrichien, lui, avait calculé 25 minutes, quand les délais étaient de 29.

Avec l’absence de « Bernie » cette année, d’autres doivent prendre le relais. Depuis pas mal d’années, André Greipel est lui aussi considéré comme un élément fiable au moment de se relever, et ces jours-ci dans les Alpes, il fait partie de ceux qu’il faut suivre. « C’est un peu le chauffeur du bus, nous décrivait Hilaire Van der Schueren, manager de l’équipe Wanty, au départ d’Albertville. Normalement, le bus de Greipel est très bon, il finit toujours à temps. Mais si on arrive dans le second bus, celui de Cavendish et Kittel, ce n’est jamais très bon. » Le Belge avait vu juste. Le sprinteur de Lotto-Soudal était toujours en course après La Rosière, pas les deux autres – il n’a en revanche tenu qu’une journée de plus, puisqu’il a abandonné ce jeudi. « Pour passer une journée sereine, il faut généralement passer le premier col avec le peloton, précise Damien Gaudin, qui a terminé dans le gruppetto lors des deux premières journées alpestres. Sur l’étape du Grand-Bornand, les mecs qui formaient le dernier groupe, avec Cavendish et Kittel, s’étaient relevés dès le premier col, et ils ont en chié derrière. »

Un gruppetto sans sprinteurs

Ces prochains jours, donc, deux des sprinteurs les plus prolifiques sur le Tour ne feront plus partie du gruppetto. Les autres, en revanche, apprennent à se connaître petit à petit, si ce n’était pas déjà le cas. « Sur l’étape du Grand-Bornand, on s’est relevés au pied du col de Romme, raconte Gaudin. On savait qu’on était bien avec les délais, c’est monté peinard, ça a discuté. Luke Rowe, qui a vu que je n’avais plus de bidon, a même appelé sa voiture pour m’en donner un. » Parmi ceux qui galèrent, la camaraderie existe, même s’il arrive que certains fassent des crasses, aussi. En 2016, Fabian Cancellara avait rejoint le gruppetto en cours d’épreuve, et avait voulu en devenir le patron. Après qu’on lui a refusé de ralentir, parce que la marge était fine, il a décidé d’accélérer, par orgueil, et fait péter certains autres coureurs. Dix ans plus tôt, c’est Robbie McEwen qui avait tenté, en accélérant, de mettre hors-délais certains sprinteurs moins à l’aise en altitude, comme Jimmy Casper.

Le gruppetto a ainsi ses histoires. Ses astuces, aussi. Jacky Durand, qui avait sa carte de membre à l’arrière durant sa carrière, prenait ainsi soin de grimacer et de s’écarter légèrement des autres coureurs pour pouvoir profiter de quelques poussettes des spectateurs. En allant même jusqu’à le demander, s’il fallait, dans les cols les plus difficiles. Mais certaines traditions semblent aussi se perdre. « Ce n’est plus vraiment organisé, dit Taylor Phinney. J’ai connu une époque où c’était un peu plus structuré, mais désormais, ça se gère de façon plus libre. » Son coéquipier chez EF Education First, Thomas Scully, ne dit pas autre chose. L’étape de ce jeudi, qui a vu abandonner André Greipel, Dylan Groenewegen et Fernando Gaviria, vient confirmer cette thèse. Le gruppetto existe encore, mais le durcissement permanent des délais vient le mettre à mal. Dans les Pyrénées, il n’y aura plus beaucoup de sprinteurs influents pour crier « gruppetto ». A coup sûr, ce sera encore moins organisé.

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