Au fil de la montée finale, on a petit à petit compris que Simon Yates, maillot rose sur le dos, était sans doute le plus costaud, aujourd’hui encore. Pendant que Froome et Aru faisaient une croix quasi définitive sur ce Giro, lui toisait tout le monde. Pas favori au départ de Jérusalem, il assoit jour après jour son nouveau statut.

Un leader qui s’assume

« Si je pense que je peux gagner le Giro ? Bien sûr, pourquoi je ne le penserais pas ? Il faut une bonne équipe et un peu de chance. La première, nous l’avons. La seconde, c’est à voir jour après jour », avait glissé Simon Yates, samedi soir après l’étape de Montevergine. Le décor est planté. Le Britannique n’est pas là pour faire un accessit, ce à quoi il a jusqu’ici été cantonné, sur le Tour et la Vuelta. Avec un maillot rose qu’il est allé chercher en patron sur l’Etna, il avait prouvé qu’il était un outsider plus que crédible. Ce dimanche, vers Gran Sasso, il est devenu encore un peu plus, un favori légitime, trente secondes devant tout le monde et qu’il va falloir aller déloger. A l’instar de Steven Kruijswijk il y a deux ans, il est un porteur du maillot rose inattendu mais transformé. Persuadé désormais qu’il peut remporter le Giro.

Yates, pourtant, n’est pas du genre à s’emballer. Prudent, en général, dans ses interviews. Plus que son frère jumeau, Adam. « Simon est plus posé et calme qu’Adam, assurait leur directeur sportif Laurenzo Lapage à L’Equipe, lors du dernier Tour de France. Il n’aime pas le stress, il veut juste rouler sur son vélo et ne pas s’occuper des à-côtés. » Une conséquence de son éducation cycliste, peut-être. Dans sa jeunesse, Simon est considéré plus talentueux que son frangin. Il intègre alors l’Olympic Academy Programme, usine à former des talents, quand Adam y est refusé et doit partir faire ses armes ailleurs, en France, à Troyes puis au CC Etupes. Quand ils courent ensemble sous les couleurs britanniques, Adam se met alors régulièrement au service de Simon, avant que chez les pros, les deux deviennent, sur un pied d’égalité, des coureurs protégés chez Orica.

De la terbutaline au maillot rose

Adam décrochera même en premier de meilleurs résultats. Il y a deux ans, il terminait ainsi quatrième du Tour. Simon fera presque aussi bien, quelques semaines plus tard, en prenant la sixième place sur la Vuelta. L’émulation est permanente. Mais tout aurait pu tourner autrement pour Simon, contrôlé positif à la terbutaline sur Paris-Nice en 2016. Son équipe plaidera une erreur du médecin et le Britannique sera suspendu quatre mois pour dopage non-intentionnel. Deux ans plus tard, il est le premier des deux frères à porter le maillot de leader d’une course de trois semaines, et le premier à pouvoir rêver de victoire finale. Ce dimanche vers Gran Sasso, il n’a pas placé d’attaque malgré sa facilité apparente. Mais il a patiemment attendu les derniers hectomètres pour déborder Thibaut Pinot et aller chercher une victoire, trois jours après avoir laissé son coéquipier Esteban Chaves lever les bras.

Le maillot rose consolidé, Chaves deuxième du général, Kreuziger encore précieux dans la montée finale, Mitchelton-Scott vit une première partie de course rêvée. Mais Yates sait qu’il lui faut faire plus. Sur le chrono de dernière semaine, il s’attend à perdre quatre secondes au kilomètre face à Tom Dumoulin. Faites les comptes, cela fait deux minutes et seize secondes. Or le Néerlandais pointe pour le moment à trente huit secondes seulement. Le Britannique regrettera donc peut-être, avec les jambes qu’il avait, de ne pas avoir tenté quelque chose plus tôt, aujourd’hui. Surtout que lui n’a pas l’habitude d’être attentiste, contrairement à son frère. Mais pour gagner sur trois semaines et ne pas craquer en fin de course, il faut parfois faire des concessions. Simon Yates doit apprendre à courir comme un leader, ce qu’il fait pour l’instant très bien.

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