La silhouette la plus fine du peloton, une carrière qui aurait pu s’arrêter sur une grave chute il y a six ans, un rôle de super-lieutenant auprès de Chris Froome et un Liège-Bastogne-Liège au palmarès, malgré tout : Wout Poels, c’est tout ça à la fois. Un personnage central dans les victoires de Sky depuis qu’il a signé il y a trois ans et demi, qui reste pourtant très énigmatique.

Nutella, spéculos et une grave chute

Chaque matin, le Néerlandais est l’un des rares coureurs de Sky qui peut aller et revenir à peu près tranquillement de la signature. Il n’est ni la superstar Chris Froome, ni le maillot jaune Geraint Thomas. Il n’a aucun maillot distinctif qui le rendrait très facilement identifiable, comme Michal Kwiatkowski. Enfin, il n’est pas colombien et n’a pas à se coltiner la ribambelle de fans et de journalistes – parfois les deux – venus d’Amérique du Sud, comme Egan Bernal. Pourtant, à en croire son directeur sportif Nicolas Portal, un échange avec Wout Poels, généralement, vaut le détour. « C’est clairement le gars qui met de l’ambiance dans l’équipe, dit-il tout de suite. Il a un humour très particulier. On a un autre néerlandais dans l’équipe avec Servais (Knaven, un autre directeur sportif, ndlr), mais Wout a un humour encore plus pointu. » Romain Feillu, qui a connu le garçon chez Vacansoleil, entre 2010 et 2013, confirme cette version.

Quand le sprinteur français débarque aux Pays-Bas, bien que professionnel depuis peu, Poels a confiance en lui, rigole avec tout le monde, même les plus anciens Traksel et Mouris. « A l’époque, c’était même un garçon pas mal porté sur la fête, se rappelle-t-il en rigolant. Je suppose qu’il s’est calmé, sinon il n’aurait pas ses résultats actuels. » Peu de chance, en effet, que le staff de Sky tolère beaucoup d’écarts. Idem pour la diététique. Dans l’équipe néerlandaise, au petit déjeuner, c’était Nutella et spéculos. Pas forcément compatible avec le profil du garçon, qui découvrira plus tard le régime « low carb » chez Sky, qui consiste à priver le corps de sucres avant d’aller s’entraîner. Le grand écart. « Il avait une grosse marge de progression là-dessus, sourit Feillu. C’est parfois moins crucial pour les sprinteurs, mais un ou deux kilos, pour un grimpeur, ça fait une grosse différence. »

Sur le papier, il était donc simplement question d’exploiter le potentiel d’un garçon qui n’en manquait pas. « Je savais qu’il pourrait aller si haut, jure aujourd’hui Hilaire Van der Schueren, manager de Wanty-Groupe Gobert, qui était aussi celui de Vacansoleil. Je le pensais même capable de terminer dans les cinq premiers du Tour. Je l’ai toujours dit, à l’époque, si on avait eu vingt millions d’euros en plus, on aurait fait quelque chose de grand avec Wout… » Sauf que, fut un temps, Poels a enchainé les galères. Une chute gravissime sur le Tour 2012, d’abord, d’où il ressort touché à un poumon et à un rein, la rate percée et trois côtes cassées, ce qui lui vaudra de ne pas mettre le pied sur une course de vélo pendant sept mois. Puis, fin 2013, l’équipe Vacansoleil s’arrête faute de sponsor. Au terme d’une saison délicate, il doit quitter les Pays-Bas, découvrir l’étranger et surtout réussir à y faire carrière. Quick-Step sera sa première terre d’accueil, sans grand succès, avant qu’il ne rejoigne la Sky début 2015.

Lieutenant pas exigeant

« A l’époque où on l’a recruté, on avait déjà vu qu’il avait fait des choses sur l’Angliru, il y avait un talent, détaille Nicolas Portal. Et aujourd’hui, quand la course devient très dure et très raide au niveau des pourcentages, il est l’un des meilleurs grimpeurs du monde, clairement. » La mentalité Quick-Step, peu portée sur les courses par étapes, ne lui convenait pas. Celle de Sky, de toute évidence, est une aubaine pour lui. De leader en devenir, il se reconvertit équipier, bridé par une concurrence qu’il ne cherche pas à remettre en question. Et très vite, il impressionne. Dans l’Alpe d’Huez, sur le Tour 2015, il se met en quatre pour un Chris Froome en difficulté. Il avait déjà travaillé dans chaque étape de montagne jusque-là, mais c’est ce jour-ci que le monde du vélo s’incline. Poels se fait dès lors une place dans la catégorie des meilleurs grimpeurs du peloton.

La suite sera une succession de démonstrations, dont une remarquée, l’an dernier sur la Vuelta. L’ascension en question ? L’Angliru, bien sûr. « Ce jour-là, je pense que Wout était encore plus fort que Contador (vainqueur de l’étape, ndlr) et ‘Froomey’ (troisième) », assure Portal. Le Néerlandais, spécialiste des troisièmes semaines, terminera même sixième du général à Madrid. Avant d’enchaîner avec le Giro et le Tour, parce que Poels va partout où Froome va. Un ange-gardien finalement porte-bonheur. Depuis qu’il a signé chez Sky, l’équipe britannique a remporté tous les grands tours où il a été aligné. « Mais c’est vrai ! Je n’avais pas réalisé. Je pense que c’est ce que je vais dire aux gars lors du prochain briefing, rigole Portal. Ça va être notre mascotte en fait, c’est pas mal ça. » Toujours équipier mais toujours vainqueur, ce pourrait être la maxime du Néerlandais. Ceux qui l’ont connu assurent qu’il pourrait être un bon leader, lui aussi. Mais il touche chez Sky un salaire auquel il ne pourrait sans doute pas prétendre ailleurs. Ça joue.

« A sa place, je crois que je choisirais aussi de rester dans ce confort », concède Romain Feillu. Et du côté des Britanniques, on assure avoir dans un coin de la tête une promotion, au moins éphémère, pour le garçon. « On aimerait lui donner sa chance sur un grand tour, il le mériterait, dit de lui-même Nicolas Portal. On en a parlé. Avec tous les grands coureurs qu’on a et les grands challenges qu’on a eu, ça ne s’est pas fait. Mais tout le monde y pense. » Ce pourrait être pour bientôt, maintenant que Froome en a terminé avec son enchaînement de grands tours. Mais Wout Poels doit être conscient d’un petit détail. S’il venait à remporter le Giro, la Vuelta ou même le Tour, il lui serait bien plus compliqué, à l’avenir, d’aller chaque matin jusqu’au podium de signature. La rançon de la gloire.

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