Rappelez-vous du jeune Peter Sagan qui avait éclaboussé de son talent Paris-Nice, il y a dix ans. Vous avez sans doute la vision d’un athlète talentueux, fougueux mais assurément freluquet. Rien à voir avec le coureur massif et musclé qu’il est devenu au fil de la décennie. Et si l’on pourrait penser que ce corps s’est forgé uniquement grâce à des entraînements sur le vélo, en réalité, cette transformation physique est en partie due à un travail intensif en salle de musculation.

L’empirisme mis de côté

Une pratique qui ne cesse de se développer, même si tout le peloton n’est pas aussi assidu que le champion slovaque. « Les coureurs sont poussés et éventuellement accompagnés mais ce n’est pas une obligation, note Frédéric Grappe. Il s’agit plus d’un complément d’une autre activité que d’une activité unique, principale et imposée. » Le directeur de la performance chez Groupama-FDJ préfère lui le terme de réathlétisation à celui de musculation : les exercices en salle ont davantage vocation à redonner un équilibre musculaire général au corps et éventuellement corriger une position – de quoi diminuer le risque de blessures, notamment. Le travail spécifique en isolation des lombaires, des dorsaux et de la ceinture abdominale permet de maintenir plus facilement une bonne position sur la selle et de ressentir moins de douleurs. Dans ces cas, la musculation vise autant à prendre en muscles qu’à diminuer la fatigue physique et mentale sur le vélo. Autrement dit, ce travail de renforcement musculaire pour être plus fort et mieux encaisser la rudesse et l’âpreté d’une longue saison est indispensable, mais il n’est pas nécessairement réalisé en salle de musculation, avec des poids libres et/ou des machines guidées.

Certains, issus généralement des plus anciennes générations, se contentent de quelques exercices classiques de gainage à domicile, avec une possibilité d’exercices d’abdominaux au poids de corps. Des bases accessibles sans matériel et sans se déplacer en salle. Michel Borel, cycliste amateur dans les Yvelines depuis cinquante ans, ayant couru en DN2, se remémore ses hivers passés : « Les salles de musculation n’étaient pas aussi démocratisées dans le temps, alors l’hiver on se contentait de surveiller notre alimentation, de faire des kilomètres à vélo et un ou deux exercices rudimentaires au poids de corps. C’était ça la préparation. » Du côté des réticents, la seule vérité est celle du vélo. « Le vélo est un ergomètre, enchaine-t-il. Il est déjà un appareil de musculation en soi, qui permet de gagner de la force, de l’explosivité et de l’endurance. Il se suffit à lui-même. » La musculation arrive ainsi en complément, pendant que d’autres choisissent par exemple la natation ou le ski de fond.

Travailler jusqu’à sa souplesse

A chacun ses exercices, donc. Les grimpeurs et les puncheurs, par exemple, tentent à la salle d’améliorer leur explosivité, quand les sprinteurs pensent davantage à leur force pure (en plus de l’explosivité), alors que les rouleurs et hommes de classiques visent avant tout à développer leur endurance musculaire. Les exercices de force se caractérisent par un petit nombre de répétitions (2 à 4), mais avec des charges plus lourdes, alors que les exercices d’endurance ont un bien plus grand volume de répétitions (12 à 20), avec toutefois des charges plus légères. L’explosivité des puncheurs et des grimpeurs se travaille enfin avec des exercices de pliométrie, qui permettent de développer la puissance musculaire et décupler ainsi la capacité à produire un mouvement plus puissant sur un intervalle très court.

L’objectif premier d’un travail en salle est ainsi de combiner la préparation physique globale, pour renforcer l’ensemble des muscles du corps, à une préparation physique spécifique, avec des exercices d’isolation, afin de corriger ses points faibles et d’accentuer ses points forts. Le plus gros de l’entraînement se fait alors pendant l’intersaison, avec toutefois des rappels indispensables tout au long de l’année. « Si un coureur ne fait de la musculation que pendant la coupure automnale et hivernale, analyse Fred Grappe, il perdra tout ce qu’il a pu gagner avant même le début du printemps. » Dans ce sens, l’éventail d’exercices possibles est très large. Le stretching est même recommandé pour travailler la souplesse et l’agilité. Deux qualités qui ne font peut-être pas gagner des courses en soi, mais qui peuvent empêcher de les perdre. Ce n’est pas un hasard si Peter Sagan, capable notamment de réaliser le grand écart, signe d’un travail intensif, possède des réflexes incroyables sur son vélo et a tendance à éviter les chutes massives.

Gains marginaux

Mais reste une question centrale : la musculation permet-elle réellement d’améliorer ses performances sur le vélo ? Les gains peuvent-ils être quantifiés ? Si les coureurs ont souvent l’habitude de se sentir plus forts, plus résistants et plus endurants année après année, il est difficile voire impossible de quantifier exactement l’apport de la musculation par rapport à l’évolution naturelle de leur corps. « C’est compliqué, reconnait Fred Grappe. Tout dépend entre autres de la morphologie, de la génétique et de l’investissement du coureur à la salle. Selon le travail fourni (axé force, endurance ou explosivité), la fourchette des gains se situe entre 2% et 5%. Pas davantage. »

Un gain marginal, à mettre en relation avec ce que peut perdre un coureur à la salle. Parce qu’un mauvais entraînement peut être un réel handicap. Des exercices ou des charges de travail inadaptées peuvent ainsi faire perdre en explosivité, générer une prise de masse musculaire trop importante, ou altérer votre endurance. Autrement dit, sans un suivi très rigoureux, la musculation peut être contre-productive. Tout est question d’équilibre entre le train inférieur et supérieur, la tonification du haut du corps et le prise de force musculaire pour les jambes. Un savant dosage à trouver, sans que rien ne soit automatique : il faut bien souvent essayer et donc accepter de se tromper pour voir ce qui est efficace ou non sur son corps. En gardant à l’esprit que les prédispositions génétiques entrent aussi en jeu. Même une pratique intensive de la musculation ne transformera pas un David Gaudu en Marcel Kittel, ou un Carlos Betancur en André Greipel. Sur un vélo comme en salle de musculation, l’adage est le même : n’est pas Peter Sagan qui veut.

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