Dans les arènes de Vérone, ce dimanche, Richard Carapaz a laissé couler quelques larmes. Maillot rose sur le dos depuis plus d’une semaine déjà, il avait eu le temps, depuis au moins vingt-quatre heures, de se faire à l’idée qu’il allait remporter le Giro. Mais le moment où cela s’est concrétisé restait accompagné d’une grande émotion.

Un vieux briscard de 26 ans

Il est un vainqueur pas comme les autres, sur tous les points. D’abord parce que Richard Carapaz est le premier Équatorien à remporter un grand tour, que c’est donc historique et que le continent sud-américain tout entier s’en souviendra pour l’éternité. Mais aussi parce que le scénario de ces dernières semaines, sans provoquer d’innombrables renversements, a surpris l’ensemble des observateurs. Le garçon n’était même pas attendu comme un candidat au maillot rose, mais depuis qu’il avait pris le pouvoir, à Courmayeur, il semblait impossible à déloger. C’est presque antinomique. Du jamais vu ou presque. D’habitude, quand un vainqueur surprise sort du bois, il doit au moins se coltiner une bagarre haletante jusqu’au bout, généralement ponctuée de belles frayeurs. Demandez à Ryder Hesjedal, par exemple, l’un des derniers et l’un des rares à avoir connu un sacre aussi imprévisible que Richard Carapaz. Lui avait eu chaud jusqu’au bout, ce qui n’a pas vraiment été le cas de l’Équatorien.

On pourra dire que c’est de la faute des autres, de Vincenzo Nibali et Primoz Roglic, surtout, qui l’accompagnent sur le podium final à Vérone, et qui l’ont terriblement sous-estimé il y a de ça une grosse semaine, quand la montagne approchait et qu’ils l’ont laissé, en deux jours, reprendre pas loin de trois minutes et demie. Mais la vérité est que Carapaz était une jambe au-dessus de ces deux-là, qu’ils l’a montré sur quasiment toutes les étapes de montagne et qu’après avoir pris le maillot rose, il a su gérer comme l’auraient fait de vieux briscards habitués à remporter des grands tours, là où lui disputait seulement son deuxième Tour d’Italie et découvrait un rôle de leader qu’il a presque pris sans le faire exprès, profitant du – très – mauvais chrono du patron supposé chez Movistar, Mikel Landa. Parfait tactiquement, le bonhomme a su ensuite se concentrer sur le bon rival, Vincenzo Nibali, qu’il n’a pas lâché d’une semelle dans les derniers jours.

Six ans après l’accident

Généreux, Richard Carapaz a même tenté de faire venir Mikel Landa avec lui sur le podium, ce qui a raté, mais de peu, huit secondes seulement. Il n’était pas obligé mais il voulait remercier le Basque, qui a fait un gros boulot d’équipier et a eu l’élégance de ne pas tenter de rétablir la hiérarchie de départ, quand il a compris que son coéquipier était en mesure de ramener le paletot de leader à Vérone. Dans cette tentative, on retrouve aussi la personnalité de l’Équatorien, sûr de lui et humble à la fois, qui s’est construit dans un pays qui n’a jamais misé sur le vélo, livré à lui-même mais qui n’a jamais abandonné son rêve. A 20 ans, pourtant, tout aurait pu s’arrêter pour lui lorsqu’une grosse chute à l’entraînement, où il est renversé par une voiture, l’emmène à l’hôpital. Le risque qu’il ne remarche jamais existe. Six ans plus tard, le voilà vainqueur du Tour d’Italie.

L’épisode suffit à expliquer l’état d’esprit du bonhomme, qui a compris beaucoup de choses après cet accident, lorsqu’il est remonté sur le vélo. « Des garçons avec du talent comme moi, il y en a beaucoup, mais ce n’est pas suffisant pour réussir, dit-il. Il faut le travail en plus. » Il ne s’est jamais fait prier pour enchaîner les sorties, travailler dur, même sous la pluie et dans le froid, des conditions particulières qu’il apprécie et qu’il a su dompter à la perfection, ces dernières semaines. Dans une saison où Movistar a compris que Valverde n’était plus le même, et où des rumeurs circulent davantage que d’habitude au sujet de l’avenir de Quintana, tout vient ainsi de s’éclaircir. Richard Carapaz, 26 ans depuis trois jours, a validé son billet pour la cour des grands. Il n’a plus grand-chose d’un espoir, d’un petit grimpeur qui se débrouille et peut aller chercher des étapes. Il a changé de statut en seulement dix jours et il aura le temps, dans quelques semaines ou quelques mois, d’apprendre à vivre avec. Pour l’instant, qu’il se contente de savourer. On n’entre pas dans l’histoire tous les jours.

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