Depuis dimanche dernier, on ne parlait presque plus que d’Alexander Kristoff. Et pour cause, le Norvégien semblait tout simplement sur une autre planète depuis ses victoires consécutives à Gand-Wevelgem, aux Trois Jours de la Panne, sur le Tour des Flandres et au Grand Prix de l’Escaut. On en aurait presque oublié sa défaite à Sanremo face à John Degenkolb. L’Allemand, chasseur de classiques hors-pair, a pris une revanche éclatante au terme des 253 kilomètres de Paris-Roubaix, et s’est tout compte fait très logiquement imposé au sprint devant Zdenek Stybar et Greg van Avermaet. Un récital tactique.

Deux Monuments en trois semaines

En mars dernier, quand John Degenkolb remportait la Primavera sur la mythique via Roma, nous titrions qu’il faisait du Zabel. Désormais, ce sont les traces de Sean Kelly que le coureur de Giant-Alpecin suit. En décrochant dans la même année Milan-Sanremo et l’Enfer du Nord, le natif de Gera réalise le même doublé que l’illustre Irlandais en 1986, qui surfait alors sur les Monuments. Et ce dans deux registres différents, bien que liés par la même maestria tactique. Sur les routes italiennes, l’ancien vainqueur de Gand-Wevelgem a su se placer au mieux dans les passages clés, pour mieux surgir dans les derniers mètres de la via Roma et crucifier des concurrents ayant gaspillé trop de forces auparavant. Aujourd’hui, sur les pavés du nord de la France, l’impression visuelle témoignait incontestablement de son état de grâce. En se retenant en permanence de courir après toutes les attaques des outsiders, Degenkolb a petit à petit installé la crainte dans les têtes des spécialistes contraints de se débarrasser des coureurs encombrants dont il faisait partie au même titre que Kristoff ou Sagan. Puis, quand enfin, un duo dangereux semblait prendre le large, le vainqueur d’étape sur les trois grands tours s’est lancé en personne pour combler le trou qui le séparait du surprenant Yves Lampaert et de l’offensif Greg van Avermaet.

Certes bien aidé par un Bert de Backer qui enchaînait là un deuxième Paris-Roubaix de haute volée, Degenkolb savait qu’une jonction réussie serait pratiquement synonyme de victoire. Il aurait même peut-être pu tenter un pari sacrément osé en démarrant en solitaire au moment des retrouvailles à l’avant, puisque ses deux compères n’étaient pas disposés à l’emmener sur un fauteuil jusqu’à l’arrivée. Cela lui aurait peut-être évité quelques sueurs froides lorsque Zdenek Stybar et d’autres poursuivants se sont pointés à l’entrée du Vélodrome, mais l’ancien maillot vert de la Vuelta était bien au-dessus et n’a laissé aucune miette à ses concurrents sur le dernier tour de piste. Quelques coups d’œil et un démarrage imparable dans le dernier virage lui ont offert son second Monument sur une course qu’il a toujours porté dans son cœur. Dix-neuvième pour sa première participation en 2011, et surtout deuxième en 2014, “Degen” y a toujours mieux réussi que sur le Ronde voisin, plus adapté aux qualités d’Alexander Kristoff. Sa préparation spécifique pour la classique française a donc porté ses fruits, d’autant que le garçon de 26 ans se disait avant l’heure sur le site de son équipe comme « sans pression, puisque [il avait] déjà décroché une belle victoire. » Une fraîcheur mentale qui s’est faite ressentir dans le passage du Carrefour de l’Arbre, où il a presque pétrifié des coureurs diablement en jambes, comme Lars Boom, Sep Vanmarcke ou le tenant du titre Niki Terpstra.

Et maintenant, le Tour et les Mondiaux

Après ses deux chefs d’oeuvre, John Degenkolb s’en va donc prendre une pause bien méritée. Retour à la compétition programmé pour le peu relevé Tour de Bavière, et avec deux nouvelles cibles principales, le Tour de France et les Mondiaux. Si Marcel Kittel, à contrario, vit un début d’année 2015 noir en raison d’un virus, Degenkolb, lui, devrait avoir de la suite dans les idées pour aider son ami et compatriote d’Outre-Rhin à marquer une troisième année de suite le mois de juillet de son empreinte. Mais c’est encore une fois sur le long terme que John Degenkolb préférera s’attarder. Au lieu d’enchaîner par exemple avec l’Amstel dimanche prochain, comme le fera Sagan, l’ex-vainqueur de Paris-Tours veut cibler ses objectifs et faire parler sa passion, celle qui lui a permis de remporter les plus grandes classiques du calendrier à seulement 26 ans. L’an dernier, il nous disait que « viser la gagne sur l’Amstel n’est pas impossible, c’est même clairement réalisable avec une condition optimale, mais ce n’est pas possible d’être au top depuis Milan-Sanremo jusqu’à l’Amstel. Ou alors il faudrait faire l’impasse sur le Tour des Flandres et Paris-Roubaix, qui sont des courses beaucoup trop importantes pour [lui]. »

Pas de folie ni d’euphorie excessive de prévue, donc, pour un garçon modeste, travailleur et très gratifiant vis-à-vis de ses coéquipiers, qui a fait des Mondiaux de Richmond, aux Etats-Unis, l’autre rendez-vous de sa deuxième moitié de saison. Sur un tracé usant, nécessitant du punch et une certaine agilité avec quelques longueurs pavées, nul doute qu’il pourrait endosser la pancarte du grand favori. Ou la partager avec Alexander Kristoff. L’autre guerrier du printemps, leader de Katusha, est lui aussi arrivé à maturation à travers ses récents succès, et on a hâte de revoir les deux bonhommes s’expliquer lors des prochaines grandes courses d’un jour. Tom Boonen et Fabian Cancellara absents de la scène flandrienne en 2015, les deux mastodontes des pavés depuis le début du siècle actuel auront très fort à faire pour retrouver leur trône dans la discipline. La polyvalence des sprinteurs chasseurs de classiques actuels vient presque condamner tout spécialiste mis en lumière uniquement du Nieuwsblad à Roubaix, comme Vanmarcke, Terpstra, Boom ou Vandenbergh. Tiendrait-on alors l’affiche des Monuments des années futures ? Degenkolb contre Kristoff, cela a tout pour devenir l’un des feuilletons de demain. Le vainqueur du jour compte désormais à son actif Paris-Tours, une Vatenfall, un Gand-Wevelgem, Milan-Sanremo et Paris-Roubaix, tandis que le lauréat d’Audenarde est auréolé d’une Vatenfall, d’un Grand Prix de l’Escaut, de Milan-Sanremo et du Tour des Flandres, et crédité de onze victoires depuis janvier. Deux monstres qui ont d’ores et déjà marqué un printemps plein de nouveautés.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.