En cette période qui, faute de courses cyclistes, nous pousse encore un peu plus que d’habitude à jeter un regard en arrière vers l’Histoire du vélo, il serait presque anormal de passer à côté de Sean Kelly. Véritable maître des classiques et coureur complet, l’Irlandais a remporté neuf monuments au cours de sa carrière. Un seul lui aura toutefois résisté plus d’une dizaine de fois, le Tour des Flandres. Mais que lui a-t-il manqué pour remporter le Ronde ?
Trop fort pour gagner
Une chose est certaine, sur plusieurs éditions c’est Kelly qui avait les meilleures jambes. Après quatre participations sans jouer les premiers rôles, il aborde l’édition 1984 avec de grandes ambitions et une belle pancarte dans le dos. Favori suite à son succès dans Paris-Nice et sa deuxième place à Sanremo, l’Irlandais fait partie du groupe de six coureurs qui mène la danse après le dernier mont. « En 1984, je me sentais très fort dans le final », confait Kelly trente ans plus tard. Mais le leader de l’équipe Skil a trop montré cette force à ses adversaires, qui l’ont laissé assumer ses responsabilités. « Quand les attaques ont commencé, ils me regardaient à chaque fois pour aller les chercher. Je l’ai fait quelques fois, mais quand Johann Lammerts a attaqué j’ai décidé que ce serait à quelqu’un d’autre de faire l’effort. » Or personne ne l’a fait. Résultat, le Néerlandais profite de ce manque de collaboration pour se faire la belle et aller cueillir son plus grand succès.
Sean Kelly règle le sprint pour la deuxième place, mais sans grande satisfaction. Furieux après l’arrivée, son mentor Jean de Gribaldy lui reproche immédiattement de ne pas avoir sauté dans la roue de toutes les attaques. Avec le recul, l’Irlandais était d’accord. « Il avait raison. Une grande leçon a été apprise ce jour-là. » Une leçon qui sera mise en application deux ans plus tard quand Kelly montrera là aussi que les meilleures jambes du jour sont les siennes. Son accélération dans le Mur de Grammont, si elle ne crée pas de sélection décisive, envoie un signal fort au peloton. Après les difficultés pavées, un groupe de vingt-cinq coureurs est en chasse de Steve Bauer qui a anticipé quelques kilomètres plus tôt. Les offensives fusent, mais cette fois Kelly ne se laisse pas prendre au jeu. C’est lui qui va sauter dans la roue de Jean-Philippe Vandenbrande, suivi un peu plus loin par Adrie Van der Poel.
Les trois garçons rejoingnent le Canadien et c’est un quatuor qui file à toute allure vers la ligne. Se sentant imbattable après ses victoires sur Paris-Nice et La Primavera, Kelly abat un travail monstre. « Je me sentais très bien et une partie de moi était peut-être un peu trop confiante », reconnaitra-t-il. Alors il aborde le sprint en tête, et le lance plein de confiance, avant de voir le Hollandais le déborder. « Van der Poel est venu me sauter sur la ligne. Pourquoi il a gagné ? Parce que ce jour-là je voulais gagner, mais lui le voulait vraiment vraiment plus que moi. »
Une loyauté qui coûte cher
Frustré de sa nouvelle deuxième place, Kelly aborde l’édition suivante avec sept succès en deux mois, dont une nouvelle victoire finale dans la Course au Soleil. « Monsieur Paris-Nice », surnom qui lui sera donné pour sa domination sur la course française pendant sept années consécutives, est encore à l’avant après le Bosberg, dernier mont pavé de l’ancien parcours. « En 1987, j’étais une fois de plus dans l’échappée. En ayant été battu deux fois dans ces conditions, j’étais un peu plus concentré dans le final », dit-il. Car le groupe de dix coureurs promet d’être compliqué à gérer. Claudie Criquielion est le premier à porter une attaque tranchante, et le Wallon va profiter d’une mésentente à l’arrière.
« Quand Criq’ a attaqué, reprend Kelly, je n’allais pas être celui qui allait sauter dans sa roue. Nous nous aidions parfois sur certains courses et c’était clairement aux Panasonic de prendre la chasse en main. » Résultat, tout le monde se regarde en comptant ses coups de pédale, les deux Panasonic regardent l’Irlandais et l’ancien champion du monde s’envole. « Criq’ a tenu et une fois de plus j’ai terminé deuxième en battant Vanderarden au sprint », résume Kelly.
Quatrième en 1988, Kelly n’arrivera plus jamais pour la gagne à Meerbeke. Être passé si proche de devenir le premier non-belge à détenir les cinq monuments lui laisse forcément un goût amer dans la bouche quand il dit que « c’est la classique majeure du calendrier qui [lui] a échappé. » Rentrer dans le cercle fermé des vainqueurs du Ronde était peut-être bien plus dur qu’il ne le pensait.
Un très grand champion qui a marqué son époque.
Seule ombre à son palmarès l’absence du maillot arc en ciel.
C’est curieux que les deux plus grands coureurs irlandais de l’histoire du cyclisme ( l’autre étant Roche) aient été contemporains, la même coincidence que pour les suisses Kubler et Koblet.
cet exelent article illustre bien la dificulté de remporter le nec plus ultra des monuments avec une telle pancarte et sans un équipier dans le final. Ceci dit Sean Kelly n´est pas à plaindre; palmarés énorme; son empreinte est à jamais gravée dans le cyclisme. Je ne pense pas que mème le Ronde de plus à son compteur ne change grand chose au souvenir de son énorme carrière . Sa collection de deuxiémes places démontrent peut etre aussi l´enorme niveau reignant sur cette monumentale epreuve ainsi que la valeur tactique du bon ou du moins bon choix sur un mouvement du money time .
J´en retiendrais encore et tjs le meme message; quand tu as les cannes il faut y aller ..
Merci pour avoir ravivé ces souvenirs. Je rejoins Highlander : c’est le peut-être le monument le plus dur à gagner pour le favori s’il n’a pas d’équipier dans le final.