En franchissant la ligne de Milan-Sanremo, Peter Sagan, en perte d’équilibre, est venu s’appuyer sur le vainqueur Michal Kwiatkowski. Jamais sur un vélo le Slovaque n’avait été aussi proche du Polonais. Pourtant, leur rivalité dure depuis plus de 10 ans. Chez les juniors, ils étaient déjà les deux épouvantails du peloton. Aujourd’hui, ils sont les deux derniers champions du monde.

« On jouait pour faire troisième » Boris Zimine

Kwiatkowski (en première position) avait devancé Peter Sagan (en deuxième position) au général de la Course de la Paix 2008 – Photo DR

« Je crois bien que Peter est le premier coureur étranger à qui j’ai parlé », raconta un jour Michal Kwiatkowski. A l’époque, les deux garçons ont 15 ans. Ils viennent tous les deux des pays de l’Est, alors sur les courses, naturellement, ils parlent davantage entre eux qu’aux autres. Et surtout, ils gagnent. « Ils écrasaient déjà la concurrence. Sur toutes les épreuves de Coupe des Nations, on arrivait en se disant qu’on jouerait pour faire troisième », se rappelle presque désabusé Boris Zimine pour la Chronique du Vélo. Le Français a connu les deux phénomènes chez les juniors. Comme eux, il est né en 1990, et il a subi de plein fouet leur domination. Les jours où le reste du peloton parvenait à les faire vaciller étaient très rares. Sur la Course de la Paix 2008, épreuve d’une semaine de référence dans la catégorie, Kwiatkowski gagne trois étapes, Sagan deux. Et au général, le Polonais devance le Slovaque. Au Trofeo Karlsberg, le scénario est similaire. « On avait affaire à deux ogres. C’était un jour l’un, un jour l’autre », résume Zimine.

Alors très vite, les équipes pros se penchent sur le duo. Fin 2008, Patrick Lefevere les fait venir à Louvain pour une série de tests. « Sagan était venu sans chaussures ou sans vélo, je ne sais plus », se remémorait le patron de Quick-Step pour la Dernière Heure. Pourtant, ses résultats sont très bons. Mais autre chose bloque le manager belge : « Il voulait miser sur le VTT (il était champion du monde juniors, ndlr) et, surtout, il voulait de l’argent. Or il n’avait que 18 ans… » Au final, Lefevere flashe davantage sur Kwiatkowski, sans toutefois le faire signer. Il attirera le Polonais quelques années plus tard, en 2012. « A l’époque, je pense que Kwiatkowski était plus fort, juge Boris Zimine. Il était plus intelligent, très mature et cadré. Sagan, lui, était plus généreux dans l’effort. Il flinguait dans tous les sens, et Kwiatkowski en profitait souvent. »

« Il me doit quelques bières » Peter Sagan

Sur les Strade Bianche 2014, Kwiatkowski avait aussi battu Sagan – Photo RCS Sport

Depuis, Sagan s’est rattrapé. Aujourd’hui, il a un palmarès plus conséquent que son rival. Mais « Kwiatko » continue de lui faire des misères régulièrement. Aux Strade Bianche en 2014, sur le GP E3 l’an dernier et bien évidemment sur Milan-Sanremo, samedi, le Polonais a fait la nique au Slovaque. « J’ai eu plus d’occasions que les autres de courir contre lui, c’est certain. Alors je sais que Peter est battable. Vous devez juste y croire », a-t-il confié après la Primavera. Dans le Poggio, le coureur de la Sky a tout donné pour suivre le double champion du monde et ensuite le battre sur la via Roma. Pourtant, au sprint, tout le monde annonçait Sagan vainqueur. « Kwiatkowski a toujours couru très juste, relève aujourd’hui Boris Zimine. Mais je pense aussi que c’est l’un des seuls gars que Sagan craint. C’est fou, parce que pour moi, il est le plus fort des deux aujourd’hui. »

Il n’empêche que l’attaque de Sagan a finalement servi Kwiatkowski. « Il me doit quelques bières », plaisantait le Slovaque après l’arrivée. Comme si les deux bonshommes étaient amis. Sauf que pas tout à fait. « Je ne pense pas qu’ils le soient vraiment, hésite Zimine. Il y avait un respect mutuel, c’est certain. Mais c’est tout. » On a parfois tendance à vouloir embellir l’histoire, mais les deux monstres sont avant tout d’éternels rivaux. Avec chacun leur caractère. « Sagan a une faculté d’adaptation de folie, analyse encore Zimine. Kwiatkowski, lui, était très froid. Mais il est aussi plus posé, plus méticuleux. » Sur le vélo, aujourd’hui, ces deux personnalités s’expriment donc différemment. Sagan est devenue la star du peloton, toujours au centre de l’attention. Kwiatkowski, plus discret et moins fantasque, s’affirme petit à petit comme un cador au vu de son palmarès. Alors peut-être iront-ils boire ces fameuses bières, mais avec plus de certitudes, ils vont surtout continuer à se bagarrer sur les plus grandes courses du calendrier. Comme ils le faisaient déjà il y a plus de dix ans.

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