Il est des victoires qu’on n’attend pas, et d’autres, au contraire, que l’on voit venir de loin. Celle de Primoz Roglic sur la Vuelta fait partie de la deuxième catégorie. Le Slovène aurait pu se louper, en vérité, sur les routes espagnoles. Mais il semblait écrit, depuis un an et demi, qu’il finirait par remporter une course de trois semaines, après avoir découvert sur le tard ce qu’il en retournait.

On ne parle plus de l’ancien skieur

A voir Primoz Roglic achever à Madrid ce qui est pour le moment le plus grand accomplissement de sa carrière, on se remémore facilement l’époque où l’on a découvert le Slovène. C’était en début d’année 2016, quand il était encore présenté un peu partout comme « l’ancien sauteur à ski venu au vélo après une grave chute ». Aujourd’hui, tout le monde connaît son histoire et plus grand monde n’y pense, sauf pour faire quelques jeux de mots lorsque le garçon s’impose à Laruns, sur le Tour de France 2018, au bout d’une descente vertigineuse. A l’époque, Roglic découvrait son premier grand tour dans la peau d’un leader et plaçait les premières pierres d’un succès finalement intervenu quatorze mois plus tard. Le peloton ouvrait alors grand les yeux, surpris de voir le Slovène si fort. Nicolas Portal, à la tête du duo Froome-Thomas chez Sky, avouait se méfier particulièrement de Roglic. Ça vous classe un coureur.

Le principal intéressé, lui, se faisait discret. Ses coéquipiers et l’encadrement de Jumbo-Visma parlaient à qui voulait l’entendre d’un garçon relax, tranquille, qui ne se prenait pas franchement la tête pour savoir s’il allait oui ou non décrocher un podium à Paris. Finalement, il terminait quatrième, sans paraître spécialement déçu. Il était venu pour apprendre et il avait appris. Seule comptait la suite, celle où il devait finir par s’imposer sur un grand tour. « On savait qu’il était capable de faire de bons résultats au général, mais on ne savait pas s’il pouvait le faire sur trois semaines, résumait à l’époque son coéquipier, Robert Gesink. Maintenant, on est à peu près sûrs qu’il peut (rires). » Le Néerlandais sait de quoi il parle : lui n’a jamais pu franchir ce cap, manquant d’un petit quelque chose qu’il a su voir chez Roglic.

Sourire en secret

Alors il a fallu échouer, d’abord, et au mois de mai, le Giro avait vraiment cette saveur. On faisait du Slovène le grand favori et il s’est fait avoir dans les grandes largeurs. Le podium à Milan avait un goût amer, bien plus que la quatrième place à Paris. Parce que pour le coup, il s’agissait d’un échec. Un échec utile, comme souvent, parce qu’il faut s’appeler Egan Bernal pour réussir du premier coup, mais que les coureurs « normaux », même excellents, ont besoin de repères avant de concrétiser. Alors Roglic a laissé filer un maillot rose qui lui a finalement offert le rouge, quelques mois plus tard, à la façon d’un Simon Yates un an avant lui, déjà malheureux en mai et tout sourire en septembre. Appliqué, le Slovène a appris de ses erreurs et aurait presque passé une Vuelta tranquille. Aucun accroc, si ce n’est cette chute le premier jour, qui a laissé un peu d’espoir à ses adversaires, jusqu’au contre-la-montre où l’on a compris que personne n’irait chercher Roglic, à moins qu’il ait un gros coup de mou.

En bon gestionnaire, le bonhomme n’a rien laissé au hasard. Mêmes les pourcentages ahurissants des Machucos n’ont pas suffi à le faire vaciller. Maillot rouge solidement accroché aux épaules, il a surveillé comme un vieux briscard, comme s’il avait l’habitude de gagner. Or s’il est devenu une machine sur les courses d’une semaine, depuis trois ans, il restait à confirmer sur trois. C’est chose faite, désormais. Toujours discret, toujours prudent face à la presse, même lorsque Movistar est à deux doigts de faire basculer la Vuelta alors qu’il est à terre, Roglic avouera quand même qu’il souriait en secret, à mesure que les jours avançaient. Il peut savourer sa large victoire. Il a pris rendez-vous. Les grimpeurs ne l’ont jamais fait douter, et il restera quelques garçons, seulement, pour lui faire barrage sur la route du maillot jaune, l’an prochain.

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