Dans un monde où on ne pouvait plus gagner le Tour de France à moins de 23 ans, Egan Bernal et Tadej Pogacar l’ont fait coup sur coup, montrant que définitivement, « on ne parle pas d’âge ». Bientôt, on ramènera le maillot jaune avant d’avoir pris sa première cuite. Mais un jeune slovène, qui soufflera ses 22 bougies lundi, devrait perdre le décompte des pintes englouties, après l’arrivée sur les Champs-Elysées qui vient conclure un week-end d’ivresse.

Comme un vieux briscard

On peut gagner le Tour sans jamais y être venu avant, presque sans un seul équipier en montagne et en perdant du temps dans les bordures. Ca fait beaucoup d’enseignements d’un seul coup, mais Tadej Pogacar nous a obligé à revoir notre copie. Le bonhomme est un phénomène, on le savait depuis un petit moment, déjà. Pour les retardataires, la dernière Vuelta était venue connecter les neurones un peu trop lents. Mais celui qui avait imaginé il y a trois semaines que celui-là des deux Slovènes serait en jaune sur les Champs-Elysées doit maintenant avoir de quoi acheter un appartement à Ljubljana. Tadej Pogacar n’était pas censé être si haut, si tôt. Il y avait Bernal, il y avait Pinot, il y avait Dumoulin et Roglic. Deux d’entre eux se sont retrouvés éliminés par la force des choses, les chutes et les jambes choisissant. Un autre a décidé de se sacrifier. Le dernier a subi la loi impitoyable d’un jeunot jamais impressionné, surtout quand ça monte.

Après deux semaines à pleurer la chute de Thibaut Pinot, qui l’empêcha de jouer quoi que ce soit sur ce Tour de France, nos larmes ont séché en quelques secondes quand est passée la bourrasque Pogacar, lors du dernier chrono. Renverser le Tour la veille de l’arrivée, c’est normalement un truc de vieux briscard qui a bien calculé son coup, comme Evans en 2011, à 34 ans, ou même Lemond, Roche, Janssen et Gaul, qui ont eux aussi pris le maillot jaune dans le dernier week-end mais avaient déjà tous goûtés, au moins, au podium du Tour de France. Pogacar, lui, est revenu par la cave quand on pensait que Roglic l’avait éjecté par la fenêtre, au sommet du col de la Loze, lui reprenant une poignée de secondes et lui faisant comprendre que non, il n’y avait pas la place pour faire vaciller le patron. Sauf que Roglic et Jumbo-Visma se sont plantés. Ils voulaient faire du Sky, ou du Ineos, mais ils ont réussi quelque chose que les Britanniques, eux, n’ont jamais approché, à savoir perdre la course à 24 heures de Paris.

Nouveau monde

Tadej Pogacar, lui, entre ainsi dans une nouvelle dimension. De promesse à cador. On l’espérait capable de dynamiter la course pour nous sortir de l’ennui, le voilà en jaune, même si on se garde le droit de ne pas goûter à sa combinaison intégrale pour parader sur les Champs-Elysées. Deuxième derrière Roglic, en remportant deux étapes : cela aurait déjà relevé de l’exploit et un paquet de records de précocité seraient tombés. Mais avec le maillot jaune sur le dos, on ne sait plus où donner de la tête. Un seul coureur, dans l’Histoire du Tour de France, s’est imposé en étant plus jeune que le Slovène : Henri Cornet en 1904, sur la deuxième édition de l’épreuve. Un autre monde. Une époque où pour tricher, certains prenaient des trains en cours d’étape, ce qui avait valu au jeune Cornet de gagner ce Tour sur tapis vert. Pourtant, 116 ans plus tard, si peu de choses ont changé. La guerre de cent ans contre la triche a évolué mais continue de hanter.

Les joyeusetés sanguines sont multiples, les bidons de cétones ont remplacé ceux de plomb mais le débat est toujours aussi pesant. Tadej Pogacar paye le fait d’être Slovène, ce dont il n’est pas responsable, mais aussi son entourage, qu’il a choisi. Mauro Gianetti et Joxean Matxin sont pour toujours associés à Saunier-Duval et Riccardo Ricco. Ils sont désormais accolés à Tadej Pogacar, aussi, et personne n’a forcé la pépite à signer son premier contrat pro avec UAE Emirates. Pour dire vrai, il avait même le choix. Alors son histoire s’écrit désormais avec ces précisions, forcément nécessaires. La suite de l’histoire, malgré tout, nous donne l’eau à la bouche. Parce que si la vérité d’un Tour n’est que rarement celle du suivant, en témoigne les difficultés d’Egan Bernal cette année, on a hâte des prochains duels. Pogacar et Bernal attendent Evenepoel. Une bagarre de gamins. Mais on ne parle pas d’âge, on a dit.

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