Il avait banalisé l’exceptionnel, depuis deux ans. Son premier maillot arc-en-ciel était attendu, parce qu’il était évident qu’il devait le porter dans sa carrière. Mais les deux suivants l’ont fait entrer dans l’histoire et ont rendu normale aux yeux de tous une situation qui ne l’était pas. Ce week-end, Peter Sagan a achevé un règne inédit de trois ans sur le cyclisme mondial.

De l’arc-en-ciel au tricolore

En début de semaine, Peter Sagan a fièrement posé avec un maillot légèrement différent de d’habitude. Il fallait être attentif pour voir la nuance. Le sponsor de son équipe, Bora-Hansgrohe, a pris un peu d’épaisseur sur sa poitrine. Et en dessous, les bandes ont changé de couleur. Fini l’arc-en-ciel, qu’il a cédé à Alejandro Valverde dimanche à Innsbruck, et place au blanc-bleu-rouge de la Slovaquie. De sa domination de trois ans, il ne reste plus que des lisérés, au niveau du col et des manches, qui ne le distingueront pas de Kwiatkowski, Costa, Gilbert ou Cavendish, les derniers champions du monde avant lui. Sacré une fois ou sacré trois fois, il n’y a pas de différence, une fois qu’on a perdu le maillot irisé. Pourtant, le garçon ne restera pas, dans les mémoires, un champion comme les autres. Pendant trois saisons, il a érigé l’arc-en-ciel en signe distinctif. Comme si le maillot ne désignait plus le champion du monde, mais juste Sagan.

Un temps, d’ailleurs, on a douté. Allait-il vraiment le perdre, à Innsbruck ? On l’a vu affûté, les jours précédents, à se demander combien de kilos il avait perdu et s’il avait une vraie chance sur le parcours autrichien. Finalement, on a rapidement eu notre réponse, parce qu’à quatre-vingt dix kilomètres de l’arrivée, le Slovaque était lâché. La course n’était même pas encore terminée qu’il répondait à quelques journalistes, au pied de son bus. « C’était attendu », disait-il. Oui, mais avec lui, on a pris l’habitude de s’attendre à tout, alors on ne pouvait pas être catégoriques. Lui aussi, d’ailleurs, ne voulait fermer aucune porte, même s’il bottait en touche face à la presse. Sa seule présence en Autriche montrait qu’il se donnait une infime chance de réussir la passe de quatre. Et puis il ne voulait pas faire la même erreur qu’aux Jeux de Rio, où il n’avait pas disputé l’épreuve sur route, persuadé que le parcours était trop dur pour lui, avant de voir son alter-ego Greg Van Avermaet s’imposer…

Rendez-vous dans le Yorkshire

Mais le garçon a de quoi oublier cet épisode s’il regarde quelques secondes dans le rétroviseur. Un Tour des Flandres, un Paris-Roubaix, sept étapes du Tour, deux maillots verts, c’est le plus gros de ce qu’il a récolté durant ses trois années de champion du monde. Pas mal, quand on se rappelle qu’avant lui, on parlait de malédiction du maillot arc-en-ciel. Lui a vite rangé cette « tradition » au placard et nous a presque fait oublier que c’était devenu un marronnier, avant son règne. Il n’y a qu’à voir à quel point personne n’a évoqué le sujet depuis le sacre de Valverde. Sur tous les plans, Peter Sagan aura donc été un champion du monde à part, fantasque et efficace, plein de panache mais bougon parfois, rarement prévisible et jamais rassasié. Désormais, le voilà donc qui doit s’adapter à une nouvelle vie. Celle d’un coureur sur le papier comme les autres. Mais qui doit se dire, aussi, qu’il a seulement prêté « son » maillot et qu’il pourra le récupérer dans moins d’un an, sur les routes du Yorkshire.

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