Il y a encore quelques semaines, lorsque l’Europe comptait ses morts par centaines, ce moment s’apparentait dans nos esprits à une chimère, un doux rêve. Mais, progressivement, les hôpitaux se sont désengorgés et le calendrier cycliste s’est organisé autour de sa course la plus fameuse, le Tour de France. Finalement, le Tour de France 2020 est de l’ordre du réel. Après deux jours de course autour de Nice et sa région, la Grande Boucle est belle et bien lancée. Si les principaux favoris n’ont pas souhaité saisir les premiers obstacles, tant climatiques que topographiques, pour tester leurs adversaires, ces 342 kilomètres parcourus depuis le Grand Départ ont été particulièrement riches en émotions.

Un samedi pluvieux qui a marqué les esprits… et les corps

La journée de samedi aura été pleine de frayeurs. Alors que la première étape n’aurait dû être qu’une formalité, ponctuée d’un sprint massif lors duquel les plus grosses cuisses du peloton se seraient expliquées, la pluie a choisi de pimenter le programme. Le bitume s’est peu à peu rapproché d’une patinoire et les chutes se sont multipliées. Dur de faire les comptes mais Valentin Madouas tablait sur « 100 mecs à terre sur les 176 coureurs ». Craignant pour sa sécurité, le peloton a sagement ralenti la cadence. Comme Fabian Cancellara en son temps, c’est Tony Martin qui semblait alors contrôler l’allure pour tenter d’éviter qu’un déluge d’abandons ne soit à déplorer. Une image, forte, restera dans nos esprits : à 53 kilomètres de l’arrivée, les bras de Tony Martin s’élèvent puis s’abaissent pour faire signe à ses collègues de lever le pied. Le patron du Tour vient d’Allemagne cette année. L’autorité naturelle du quadruple champion du monde du contre-la-montre se verra même renforcée par les circonstances de course seulement quelques minutes plus tard. Alors que la formation Astana avait sous l’impulsion d’Omar Fraile légèrement augmenté l’allure dans une descente, c’est Superman Lopez, le leader de l’équipe kazakhe, qui salua frontalement un panneau de signalisation.

Alors que la compétition reprenait ses droits dans les ultimes kilomètres, une nouvelle chute collective s’est produite sous l’arche annonçant les trois milles derniers mètres où les organisateurs avaient choisi de figer les temps. C’est Alexandre Pasteur qui s’exclama pour annoncer ce que les spectateurs français redoutaient tant depuis le début de la journée : « Thibaut Pinot, Thibaut Pinot est à terre ! ». Passablement énervé et le maillot déchiré sur son flanc droit, le leader de la Groupama-FDJ passera la ligne entouré par plusieurs coéquipiers quelques minutes après qu’Alexander Kristoff, si discret depuis la reprise, ait créé la surprise en devançant l’actuel champion du monde Mads Pedersen qui ne semble s’épanouir que lorsque la chaussée est mouillée. Si le pire a été évité avec cette neutralisation, la première étape laissera assurément des traces. Espérons pour le Franc-comtois qu’elles ne soient que superficielles pour que l’espoir d’une victoire finale demeure.

Julian Alaphilippe déjà en jaune

La journée de dimanche eut, quant à elle, un air de déjà-vu. D’abord, parce que le train élevé assumé par le lieutenant Robert Gesink dans le col d’Eze a rappelé la supériorité de la Team Jumbo-Visma lors des courses de préparation au Tour. Puis, par le démarrage du meilleur puncheur du peloton dans le col des Quatre Chemins, un homme qui porte le bouc et qui année après année construit sa légende sur les routes du Tour de France. Comme lors de la course en ligne des championnats de France, l’attaque de Julian Alaphilippe dans la bosse finale était attendue. La pancarte de favori du jour était immense, presque trop grossière et évidente pour que le Français arrive à décrocher sa cinquième victoire d’étape sur le Tour. Pourtant, la banderille plantée par le récent deuxième de la Primavera s’est, comme prévu, conclue par une première place à l’arrivée. Rejoint dans un premier temps par le talentueux Marc Hirschi, puis par le futur pensionnaire du mastodonte Ineos-Grenadiers Adam Yates, la rage de vaincre du coureur de la Deceuninck-Quick Step a fait le reste. Après avoir franchi la ligne, ses yeux rouges et humides trahissaient sa fierté de rendre ainsi hommage à son père, récemment décédé. Dans le groupe des favoris, arrivé deux secondes plus tard, tous les cadors répondaient à l’appel – relevons tout de même le débours concédé par Daniel Martinez -, même Thibaut Pinot qui passa pourtant la majeure partie de sa journée en queue de peloton.

Dès aujourd’hui, le Tour quittera Nice pour se diriger petit à petit vers l’ouest et le massif des Pyrénées. Avant de défier les pentes du Port de Balès, de Peyresourde ou du col de Marie-Blanque, le relief sera varié avec des étapes promises aux sprinters mais également deux arrivées au sommet, à Orcières-Merlette et au Mont Aigoual. Assurément, cette semaine sera aussi riche en émotions qu’en enseignements. Hâte d’y être.

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