Le courtisan Thomas a fait tomber le roi Froome et plus rien, désormais, ne sera plus pareil. Parce qu’un vainqueur du Tour ne peut pas redevenir un équipier, même pour un homme qui a ramené le maillot jaune trois fois de plus. La Sky, elle, valide encore sa méthode. Le Britannique qui avait remplacé un Britannique passe la main à un Britannique.

Revendications légitimes

Chez Sky, depuis six ans maintenant, on fait en sorte que l’histoire se répète au mois de juillet. Mais les années intègrent quelques subtilités. En 2012, Bradley Wiggins avait ramené à Paris un maillot jaune souillé par l’humiliation de Peyragudes, où Chris Froome avait voulu montrer au monde entier que le plus fort, cette année-là, allait terminer deuxième. Cette fois, il n’y a pas eu besoin de consignes : Froome est encore le perdant, mais il ne méritait pas mieux. Geraint Thomas était de loin le plus costaud et personne ne lui a crié dans l’oreillette pour ralentir – c’eut été honnêtement trop risqué. Tout aurait sans doute été très différent si le tenant du titre n’avait pas perdu plus de cinquante secondes dès le premier jour, en Vendée, parce que Geraint Thomas aurait eu les mains un peu moins libres dans les Alpes, où il a fait la différence. Mais ce fut la force du Gallois aussi, qui n’a fait aucune faute quand quasiment tous les favoris ont lâché du temps au moins une fois avant la montagne.

Il fallait ça, en fait, pour rassurer les dirigeants de Sky. Pour assumer ses propos de l’hiver. « Je me suis assis avec Tim (Kerrison) et Dave (Brailsford), et je leur ai dit que je voulais cibler le Tour », disait-il en février à Cyclingnews, quand la procédure du contrôle anormal de son leader Chris Froome patinait. Geraint Thomas n’était pas le premier lieutenant de Sky à avoir les dents qui rayent le parquet. Mais il a été le premier à refuser l’exil, persuadé qu’il pouvait faire son trou dans l’équipe britannique et que c’est avec ce maillot, de toute façon, qu’il avait une chance d’atteindre ses objectifs. Pendant que « Froomey » gagnait le Giro, « G » ne pensait donc qu’au mois de juillet. Son Critérium du Dauphiné indiquait qu’il serait rapidement au rendez-vous et il l’a été. Rien en revanche n’assurait qu’il serait au même niveau en troisième semaine, le point d’interrogation qui planait au-dessus de sa tête, mais il l’a été aussi.

Armstrong, “day by day” et les larmes

Jamais tranquille, parce que la hiérarchie interne n’est devenue claire que quatre jours avant l’arrivée, au col du Portet, Geraint Thomas a longtemps rabâché les mêmes phrases. Prendre la course au jour le jour (le fameux « day by day ») était son leitmotiv. « Chris Froome est notre leader » a aussi été l’une de ses phrases favorites, les premiers jours de son règne, avant qu’il ne s’affirme petit à petit, parlant ensuite de son ancien leader comme d’une solution de rechange s’il lui arrivait quelque chose. On ne peut pas lui en vouloir. Il découvrait ce que le maillot jaune implique vraiment, parce que l’avoir porté quelques jours en première semaine, l’an dernier, n’avait rien à voir. Il a récolté des huées, aussi, qui ne lui étaient destinées en réalité qu’à cause de son employeur. Il en a été touché, mais s’en est accommodé. Il faut, quand on gagne le Tour et qu’on court pour Sky.

Le garçon, d’ailleurs, se veut conscient de pas mal de choses. Lui et son équipe doivent faire avec un déficit de crédibilité face auquel il ne peut pas tellement agir. Il se dit contre les AUT, mais sait que c’est anecdotique. « Je ne sais pas vraiment quoi faire, dit-il à Cyclingnews. Je ne vais pas venir faire la morale, dire que je suis plus blanc que blanc. Ce sont juste des mots. (…) Combien de fois Lance (Armstrong) s’est élevé pour parler du nombre de contrôles qu’il avait subi ? » Lucide. Comme le Froome des dernières années, il a montré un visage sympathique, sans doute parce qu’il l’est vraiment. Thomas aime le foot et le rugby, boire des bières et faire rire, de temps en temps, en conférence de presse. Il ne parle pas français, comme Wiggins et Froome avant lui, mais a sans doute à l’heure actuelle une meilleure image auprès du public que ses deux prédécesseurs. Qui sait, ça changera peut-être s’il continue de gagner.

Aujourd’hui, son histoire est encore celle d’un Gallois 140e du Tour en 2007, à 21 ans, visage joufflu et bras bien épais, témoins d’un goût prononcé pour les pintes, qui remporte l’épreuve onze ans plus tard, au sommet d’une carrière qu’on n’imaginait pas se diriger vers les grands tours. « G » connaît d’ailleurs les hautes sphères de la victoire sur la piste, mais les découvre sur la route, où son chemin initiatique est passé par beaucoup de places d’honneur et quelques victoires seulement. Longtemps roue de secours d’une équipe Sky pléthorique, il a su prendre l’exemple de Froome pour réussir là où beaucoup ont échoué, à savoir changer de statut. Au départ de Vendée, Froome était donc leader, mais Thomas n’était pas un de ses équipiers. Pas un plan B, juste le plan « G ». Qui trois semaines plus tard, pour la première fois depuis son mariage en 2015, a fondu en larmes à l’arrivée du contre-la-montre où il exprimait enfin sa joie. Dans les bras de sa femme, bien sûr.

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