Ce n’était qu’une question de temps. Depuis que circule le nom d’Egan Bernal dans le microcosme du vélo, on parle d’un phénomène amené à gagner le Tour de France. On ne pouvait pas se douter que cela arriverait si vite, mais le Colombien, 22 ans seulement, est déjà au sommet. Ses coéquipiers, Geraint Thomas et Chris Froome, applaudissent.

22 ans mais déjà grand

Il fallait voir Egan Bernal regarder droit dans les yeux ce lion en peluche, sur le podium des Champs-Elysées, et esquisser un sourire. C’était comme s’il comprenait, à ce moment-là, qu’il venait de remporter le Tour de France, pendant que nous réalisions, un peu plus, qu’il n’était qu’un gamin de 22 ans, programmé pour gagner, oui, mais qui vient de sauter dans le grand bain d’un coup, sans s’être mouillé la nuque. L’histoire dit, à elle seule, à quel point la victoire d’Egan Bernal est particulière : jamais la Colombie n’avait remporté le Tour de France, et jamais depuis 1909, un maillot jaune à l’arrivée avait été si jeune. De quoi faire passer le grimpeur colombien dans une autre dimension en seulement quelques jours. Il n’est plus le plus grand espoir du cyclisme mondial, il en est l’un des cadors, et un héros, déjà, dans son pays.

Cette victoire, on lui promettait depuis longtemps, et avec encore plus de certitudes depuis un an, lorsqu’il avait disputé son premier Tour de France, en soutien de Chris Froome et Geraint Thomas. Mais on ne s’attendait pas à ce que ça arrive si vite. Même son équipe, en vérité, avait prévu de prendre son temps. A l’époque où l’on parlait encore de Sky, pas encore d’Ineos, Egan Bernal était censé courir le Tour d’Italie, où le rôle de leader devait lui revenir. Il était le favori n°1 de la course rose, mais une chute à l’entraînement, peu avant le départ, a tout chamboulé. Le Giro est parti sans lui, l’équipe britannique a décidé qu’il s’alignerait sur le Tour et le forfait de Chris Froome a ouvert des perspectives. A Bruxelles, Ineos parlait d’un co-leadership entre le Colombien et Thomas, tenant du titre. La situation a tenu jusqu’aux Alpes, où tout est devenu beaucoup trop limpide, l’abandon de Thibaut Pinot aidant, pour ne pas faire totalement confiance au plus jeune de la bande.

Encore intriguant

« Si Geraint est meilleur que moi, bien sûr, je l’aiderais, disait Bernal avant le Tour. Je n’ai aucun problème avec ça. » Il n’a finalement pas mis un coup de pédale pour le Gallois. Pour Dave Brailsford, le manager, ce scénario est une révolution. Faire le doublé, il avait déjà connu ça en 2012. Mais gagner avec un coureur non-britannique est une première. Bradley Wiggins, Chris Froome et Geraint Thomas, six maillots jaunes à eux trois, faisaient briller les couleurs du Royaume. Pas Egan Bernal. Mais le Colombien était un trop gros phénomène pour que la direction ne sorte pas de ses plans établis. Il aura donc gagné le Tour un an et demi après avoir signé chez Sky, là où Geraint Thomas a dû patienter plus de huit ans. C’est la précocité contre la résilience. L’enfant de Zipaquira travaille, sûrement autant que les autres. Mais il est doté d’un don sans doute unique dans le peloton actuel.

Reste qu’on le connait encore mal. Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur Egan Bernal, ce garçon qui s’inflige régulièrement des entraînements qu’il appelle lui-même « apocalyptiques », chez lui en Colombie, avec quelques compagnons de sortie, dont Oscar Sevilla. Au programme, 240 kilomètres et plus de 5 500 mètres de dénivelé positif, rien que ça. Mais les quelques anecdotes, qui circulent depuis longtemps ou que l’on découvre seulement maintenant, ne sont encore que des bribes. Le prodige a encore beaucoup à raconter, c’est sûr, beaucoup à vivre, aussi, et on le connaîtra bien mieux dans dix ans, quelle que soit la suite de sa carrière, qu’on ne pense le connaître aujourd’hui. C’est le charme, aussi, d’une éclosion rapide qui laisse place à l’imagination, avant que viennent les faits. On ne sait pas encore complètement qui est Egan Bernal, alors que l’on a l’impression de connaître par cœur Chris Froome et Geraint Thomas, que l’on a vu grimper, être au sommet et y rester.

Là encore, c’est une question de temps, sans doute. Il y a un an, pendant le Tour, Dave Brailsford faisait une confidence. « En tant que manager, ma responsabilité est de regarder deux ou trois saisons devant nous. […] J’ai cherché et cherché le coureur qui pourrait être le prochain Chris Froome. Mon choix s’est porté sur Bernal, qu’il nous fallait absolument avoir dans l’équipe. Il est notre futur. » Le boss ne s’est pas trompé et le futur est déjà là. Le plus dur commence ici. « Je ne veux surtout pas faire partie de ces coureurs qui marchent très fort à 22-23 ans puis que l’on ne voit plus à l’avant à 27 ans », dit Bernal. Ce ne sont pas les mots d’un ovni amené à disparaître. Et même si le passé doit nous inciter à la prudence, on n’a jamais eu autant l’impression qu’un règne venait de débuter.

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