Tout ça n’était pas prévu l’hiver dernier, mais voilà Egan Bernal arrivant sur le Tour de France avec un statut de favori. Le forfait de Chris Froome lui ouvre la porte d’une collaboration avec le seul Geraint Thomas, maillot jaune sortant, et tout le monde cherche désormais à savoir comment se passera la cohabitation. La Colombie, elle, attend toujours de remporter son premier Tour de France.
Joue-la comme Thomas
Un gamin de 22 ans, avec un seul grand tour dans les pattes, terminé à la quinzième place en juillet dernier, s’avance à Bruxelles dans le costume de favori n°1. Le scénario nous replonge plusieurs décennies en arrière, au temps de Laurent Fignon par exemple, qui avait profité en 1983 de l’absence du patron, Bernard Hinault, pour ramener le maillot à Paris lors de sa première participation. Egan Bernal n’en est pas là, parce que les Champs-Elysées ne sont que dans trois semaines et qu’on se garderait bien d’avancer que sa faible expérience le mènera à coup sûr vers la victoire. Mais il n’y a rien, depuis deux mois, qui semble aller contre lui. Début mai, il s’était fracturé la clavicule, déclarant forfait pour un Tour d’Italie que beaucoup lui promettaient – déjà. Depuis, tout est allé dans son sens, y compris les malheurs de ses coéquipiers. Ou comment passer de lieutenant du duo Froome-Thomas lors des discussions hivernales, à co-leader au cœur de l’été.
Le Colombien la joue modeste, pour l’instant. Tout le mois de juin, il assurait qu’il n’aurait aucun problème à se mettre à la planche pour Geraint Thomas, tenant du titre et dossard n°1. « Je ne choisis pas de dire que je suis le favori, confiait-il après sa victoire au Tour de Suisse. Dans tous les cas, je serai là pour G, il sera notre leader. (…) S’il est meilleur que moi, bien sûr, je l’aiderais. Je n’ai aucun problème avec ça. Je n’ai que 22 ans, je pense que j’ai encore beaucoup de Tours devant moi. » On croirait relire Geraint Thomas il y a un an, qui se trouvait dans une position similaire et ne voulait pas trop bousculer Chris Froome, leader annoncé. Reste deux subtilités. D’abord, Egan Bernal s’est appliqué à préciser « s’il est meilleur que moi », en parlant du Gallois, comme pour signifier qu’il attendrait une inversion des rôles si son niveau parlait pour lui. Ensuite, l’encadrement de l’équipe Ineos n’a pas vraiment suivi le même axe de communication, quelques jours plus tard.
“Il est prêt”
Là où elle tentait, il y a un an, de conforter Froome dans son costume de n°1, et Thomas dans celui du n°1 bis, l’équipe britannique a cette fois, avant même le départ de l’épreuve, évoqué un co-leadership. Comprendre : les deux sont sur un pied d’égalité à Bruxelles et la course décidera de qui doit travailler pour qui. Dès les Pyrénées, Geraint Thomas pourrait ainsi être contraint de rouler pour son jeune coéquipier colombien, alors qu’il y a douze mois, jamais Chris Froome n’avait donné un coup de pédale pour le Gallois, pourtant maillot jaune. La confiance de Dave Brailsford et d’Ineos en Egan Bernal semble ainsi illimitée. Ils savent le phénomène qu’ils ont, et ils savent aussi qu’il sait encaisser la pression. « Vous avez un âge mental, un âge physique, une expérience, etc, notait ces derniers jours Dave Brailsford. Mais si vous êtes prêt, vous êtes prêt, et il (Egan) est prêt. » En gros, ne parlons plus des 22 ans du bonhomme, seuls comptes les actes sur la route.
Et de ce point de vue-là, rien ne peut remettre en cause le statut de favori d’Egan Bernal. Il y a deux semaines, il a fait main basse sur le Tour de Suisse – où la concurrence était réduite. Et surtout, au printemps, il a survolé Paris-Nice, impressionnant en montagne, où seul Quintana avait pu le suivre, mais aussi lors du chrono et dans la plaine, où malgré son âge et son physique, il avait su profiter à plein des coups de bordure. C’est cette semaine-là, en vérité, qu’il est devenu le favori du Giro où il était annoncé, et plus tard du Tour de France sur lequel il a reporté ses ambitions. A l’époque, Thomas, Pinot, Bardet, Fuglsang ou Quintana ne s’inquiétaient pas, persuadés qu’ils n’auraient pas affaire au phénomène au mois de juillet. Aujourd’hui, ils s’arrachent tous les cheveux pour savoir comment ils vont pouvoir l’empêcher d’entrer dans l’histoire en devenant le plus jeune vainqueur du Tour de l’après-guerre. Parce que lui ne compte pas laisser passer sa chance. « Si tu peux gagner le Tour dès cette année, tu dois le gagner, dit-il dans Le Monde. Si une occasion se présente, tu n’as pas le droit de ne pas la saisir. »
Excellente synthèse, je suis bien d’accord avec le statut de favori de Bernal, je tiens un discours semblable sur un forum de passionnés et je n’ai pourtant pas la crédibilité des autres participants sur le sujet Bernal. Bref, nous saurons très bientôt qui disait vrai…
A vos “deux subtilités” concernant la situation similaire de G. l’an dernier, j’ajouterais un élément qui me semble essentiel dans la confiance “sans limite” d’Ineos en Bernal : il a 22 ans. Puisqu’il a prouvé qu’il avait déjà la maturité (résistance à la pression, science de la course, agilité…) il lui reste la fraîcheur qui garantit la récupération, la motivation, l’audace.
Je ne suis pas un fan de Sky/Ineos, c’est le moins que l’on puisse dire, je ne suis pas plus un fan de Bernal, mais pour l’avoir suivi depuis sa victoire au tour de l’avenir j’ai l’impression que ce gars va briller pour longtemps dans les grands tours.
en espérant que Pogacar dans les années a venir le titille un peu quand même !
Pour ma part, je reste partagé entre la joie de voir un jeune surdoué étonnant de maturité l’emporter et la tristesse de le voir courir pour une équipe qui me répugne. Comme je serais tenté de le dire à mon ami Bernard : “De toute façon, peu importe qui le gagne ce Tour. Ca m’est égal, Bernard.”
j’ai ce même sentiment mitigé, mais je me dis que lui domine son sport dés ses débuts…on n’est donc dans une certaine logique. Ma seule question c’est celle qui me tarabuste depuis ses débuts; Pourquoi Gaudu que faisait jeu égal avec lui en amateur, se trouve si loin chez les pros, même si ce dernier est loin d’être ridicule. Leurs équipes font t’elles tant la différence ? Je crois que l’on touche au coeur du problème…
On sait bien cependant que les résultats en amateurs ne présagent qu’en partie de la carrière pro ! Mais la dernière interview de Gaudu dans l’équipe laisse entrapercevoir une partie du problème : https://www.lequipe.fr/Cyclisme-sur-route/Article/David-gaudu-groupama-fdj-je-ne-vais-pas-non-plus-aller-en-boite-descendre-des-shots-de-vodka/1036981
Je n’ai pu lire que l’introduction (n’étant pas abonné), et il faut bien dire que les premières lignes ne transpirent ni l’instinct de tueur, ni la volonté de perfection…
Il y a tellement de possibilité de voir deux potentiels qui semblent identiques et qui en fait ne le sont pas. Par exemple : on peut considérer que jusqu’au tour de l’avenir la concurrence et les configurations de course ne permettent pas réellement de voir les limites d’un coureur. À partir du moment où il faut passer à la vitesse supérieure certains peuvent voir apparaître des freins et d’autres s’envoler. Pour donner un exemple plus concret, lors du championnat du monde, on peut considérer que Moscon est aussi bon grimpeur que Valverde jusqu’à 300m du haut du mur, et pourtant non. Autre exemple encore plus concert pour moi ; je rivalisais dans les bosses avec Laurent Roux quand j’étais en catégorie cadet, et puis à partir de junior il a décollé, pas moi :-)
Il y avait des chronos à partir de la catégorie junior, et jusque là je ne savais pas que j’étais pas bon dans cet exercice. Bizarrement Bernal est le seul que je ne trouve pas suspect dans cet équipe.
C’est en effet une bonne analyse, et comme vous Bernal avec kwiato me semble les seuls en qui j’ai confiance. kwiato était une terreur chez les amateurs, et rivalisait avec Sagan.
Assez d’accord, d’autant que Gaudu a aussi peut être besoin de plus de temps pour décoller en pro et dans un an ou deux il rattrapera Bernal ou jamais. C’est le même exemple; Gasquet vs Nadal qui n’ont pas eu tout a fait la même réussite (c’est le moins que l’on puisse dire) en pro alors qu’en jeune les deux étaient similaires. Néanmoins j’apporte un bémol à ce constat qui je vous prie de croire n’est absolument pas du chauvinisme mal placé mais j’ai quand même l’impression que c’est toujours les français qui performent en jeune et se font dépassé une fois passé pro. En tout cas tout sport confondu je n’ai pas d’exemple contraire en tête. Or je ne peux m’empêcher de penser qu’en terme de dopage notre système d’éducation est relativement meilleur que beaucoup d’autres nations. Car nous ne réduisons pas exclusivement le danger du dopage à une problématique moral mais bien comme une problématique de santé publique transversale qui inonde toutes les sphères de la société et notamment dans la pratique sportive des plus jeunes. En outre je trouve suprenant également qu’Inéos ne se trompe jamais sur les jeunes qu’ils recrutent, Ils sont toujours les meilleurs… Ce… Lire la suite »
Je suis assez convaincu de ce que tu dis sur le danger lié au dopage ; suivant la condition sociale, le traitement par les médias, la popularité du sport en question, le besoin de reconnaissance de l’individu, de l’équipe, et parfois du pays représenté, le curseur des moyens mis en place (et par conséquence du dopage) pour atteindre le Graal doivent logiquement différer d’une population à une autre. Que seriez-vous près à faire pour devenir un dieu vivant ? suivant ce que vous êtes, peut-être tout. En ce qui me concerne, ce qui me dérange c’est l’inévitable rationalité poussée à l’extrême que l’on voit apparaître dans le cyclisme depuis plusieurs années. Celle permise en particulier par les nouvelles technologies (oreillettes, capteurs divers…), tout devient mesuré et calculé à l’avance. Le cycliste devient un simple moteur sur un vélo radioguidé depuis la voiture des directeurs sportifs, plus tard depuis les bureaux des responsables de l’équipe, puis au final depuis les bureaux des sponsors. Profitons donc encore qques années de voir un VDP accomplir des choses réellement imprévues, ça ne devrait pas durer.
rationalité => rationalisation