Thibaut Pinot a quitté le Tour de France en pleurs, vendredi, après nous avoir offert l’espoir de voir un Français en jaune sur les Champs-Elysées. On n’y avait pas cru aussi fort depuis trente ans et on ne demande qu’à revoir le bonhomme répondre à l’appel du Tour. Il faudra transformer ces larmes de tristesse en larmes de joie, dans les prochaines années.

Les larmes d’un pays

Rappelez-vous Saint-Etienne. Rappelez-vous le Tourmalet. Rappelez-vous Prat d’Albis. Thibaut Pinot nous a levé de notre canapé et nous a invité à ouvrir quelques bières, alors que ce n’est pas recommandé en période de canicule. Il nous a fait enrager, aussi, et il y avait du monde pour tirer la tronche, à l’heure du dîner, il y a un peu plus de dix jours, quand le bonhomme a laissé s’envoler une minute et quarante secondes à Albi. Mais ce petit accroc s’est envolé aussi vite qu’on oublie une mauvaise note lorsque le semestre est validé. L’essentiel était préservé : Thibaut Pinot nous a fait rêver d’un Français vainqueur du Tour de France, parce qu’il avait les meilleures jambes du peloton des favoris et qu’au soir des Pyrénées, rien ne semblait pouvoir l’arrêter dans sa quête. « Un jour, les planètes seront alignées », disait-il à L’Equipe en préambule du grand départ à Bruxelles. Elles semblaient l’être. Il était le plus fort et c’était censé suffire.

Et puis Thibaut Pinot, d’un coup, s’est mis à nous faire pleurer. Il a craqué le premier, encore sur son vélo, des chaudes larmes coulant sur ses joues, et le temps que l’on comprenne ce qu’il se passait, on a lâché, nous aussi, quelques larmes de désarroi. C’est toujours quand l’espoir a été au plus haut que la chute fait le plus mal. Vendredi soir, on avait l’horrible sensation d’avoir pris un autobus en pleine face, et le sentiment a très peu évolué, depuis. « Je sais qu’il y a une justice quelque part, qu’un jour la chance va tourner et que je ne mérite pas ces abandons sur les grands tours », assurait Pinot il y a trois semaines. Plus les années passent et plus on se demande. Oui, il ne mérite pas ça, parce qu’il n’est pas question de mental ou de santé défaillante, cette fois, seulement d’une poisse trop collante. Mais la chance a-t-elle seulement prévue de tourner, elle qui a accompagné Geraint Thomas, par exemple, qui a chuté trois fois en un mois sans jamais être sérieusement touché ?

Revenir, et gagner

Jamais, depuis trente ans et la défaite de Laurent Fignon sur les Champs-Elysées pour huit secondes, un Français n’avait été aussi proche de remporter le Tour de France. A quinze secondes d’un Geraint Thomas qu’il avait jusque-là archi-dominé, au pied des Alpes. « Je sentais depuis dimanche dans les Pyrénées que j’étais capable de le faire, soufflait Pinot, les larmes aux yeux, à Tignes. J’étais convaincu que j’allais le faire, que rien ne pouvait m’arriver. » Il avait embarqué, avec ses certitudes, des millions de Français eux aussi convaincus, fascinés par la résilience de Julian Alaphilippe mais conscients que le successeur de Bernard Hinault ne pouvait être que le Franc-Comtois. Le boulanger ou la banquière, habituellement appelés « juilletistes » seulement parce qu’ils prennent leurs vacances au début de l’été, s’étaient mis à scruter la télé, à demander quand arrivait la montagne, qui était ce jeune Alaphilippe et si ce Pinot, enfin, avait une chance.

Il en avait une aussi grosse que les accélérations qu’il a placé dans le Tourmalet et à Prat d’Albis. Ça n’a pas suffi. Aujourd’hui, on se doute que le bonhomme ne veut plus entendre parler du Tour de France. On espère qu’après une bonne coupure, il y réfléchira à tête reposée. Parce que nous, on sait ce qu’on veut : le revoir très vite, pour empêcher Egan Bernal d’installer un règne interminable. Le Tour 2020 pourrait être celui de la revanche, celui où le Français rappelle au Colombien qu’il a gagné par forfait. Il y a un an, après ce qui était alors la plus grande désillusion de sa carrière, sur le Giro, Thibaut Pinot avait relevé la tête et remporté le Tour de Lombardie, à l’automne. S’il se relève aussi bien, cette fois, certains auront intérêt à se planquer pour ne pas être touchés par les pétards qu’il allumera. Thibaut Pinot avait le Tour de France dans les jambes. Il le sait, et s’il gagne dans un, deux ou trois ans, ça n’en sera que plus beau. Encore une fois, on pleurera sans doute avec lui.

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