On connaissait la durée du film, trois semaines, mais pas le scénario. Il a été exceptionnel. Parfois cousu de fil blanc, ces dernières années, il était cette fois imprévisible. Le casting était incroyable et mettre la lumière sur un seul acteur serait malhonnête. Il en est un, pourtant, qui est sorti du lot. Julian Alaphilippe a rendu ce Tour plus merveilleux qu’il ne l’était déjà.

La France dans sa roue

Souvenez-vous l’époque, pas si lointaine, où Julian Alaphilippe n’avait encore jamais porté le maillot jaune. C’était il y a vingt jours, au départ de Bruxelles. Le garçon ne se cachait pas, il rêvait de la tunique dorée. Il disait même, sans arrière-pensée, où il comptait la prendre : Epernay, dans le meilleur des cas, ou Colmar, en deuxième option. Il n’était pas tout à fait le même coureur, à l’époque. Depuis, tant de choses ont changées. Le maillot jaune est presque devenu sa deuxième peau. Il l’a perdu, l’a récupéré, et porté au total quatorze jours, alors qu’on lui prédisait, au départ, une épopée très éphémère. Il s’est fait une réputation auprès du grand public, devenant, de très loin, la coqueluche de supporters qui avaient déjà commencé à l’adopter, il y a un an, lorsqu’il étrennait le maillot à pois. Mais il a aussi rendu fou les spécialistes, qui le savaient capable de beaucoup de choses, mais pas de ce qu’il nous a offert cet été.

Ce maillot jaune l’a porté au-delà de tout ce que l’on pouvait prévoir, de ce que l’on pensait savoir. On aurait dû le comprendre lorsqu’à Epernay, voyant passer à côté de lui la tunique qu’il allait enfiler quelques minutes plus tard, il avait eu du mal à retenir ses larmes. « Je ne réalise pas », disait-il alors, les yeux embués, alors que précisément, il réalisait pleinement ce qu’il venait de faire et que cela expliquait son émotion. Julian Alaphilippe n’envisageait pas cet intermède en jaune comme un simple objectif. C’était plus que ça pour lui, c’était un rêve, et c’est devenu plus que ça pour tout un pays, qui s’est mis à espérer au-delà du raisonnable. La question est apparue le soir-même de sa prise de pouvoir : jusqu’où peut-il garder le maillot ? Tout aurait pu être si simple, s’il l’avait perdu au profit des favoris à La Planche des Belles Filles, trois jours plus tard, et que l’histoire s’était arrêtée là. Mais le bonhomme avait décidé qu’il y aurait autre chose.

Tant d’images

« Je suis encore plus remonté », disait-il après avoir perdu la tunique pour seulement six secondes. Et très franchement, ce n’était pas un été pour énerver Julian Alaphilippe, qui jusqu’au bout, a illuminé ce Tour de France. On se rappellera donc de son attaque, flamboyante, dans la côte de la Jaillière, de la fuite avec Thibaut Pinot qui a suivi vers Saint-Etienne, de son dérapage après la ligne du contre-la-montre à Pau, et de cette célébration de footballeur américain, de son sourire en toutes circonstances, de cette mimique en compagnie d’Emmanuel Macron, de cette deuxième place hallucinante au sommet du Tourmalet, de cette descente vertigineuse du Galibier, en plus de ce qu’il y avait eu avant, les larmes sur le podium d’Epernay et l’agonie sur les derniers mètres de La Planche des Belles Filles. Julian Alaphilippe a égayé ce Tour. Il n’en est pas le vainqueur mais il en a été le grand bonhomme, celui que tout le monde, au fil des jours, avait envie de supporter.

C’est pour ça, aussi, qu’on retiendra son héroïsme dans la fin des Pyrénées, à Prat d’Albis, et surtout dans les Alpes. Cette tête dodelinant de gauche à droite, dans l’Izoard, puis davantage encore dans le Galibier, dans l’Iseran et enfin dans l’ascension de Val Thorens. Julian Alaphilippe était condamné à perdre ce maillot jaune. En milieu de troisième semaine, il en avait fait la confidence à plusieurs personnes, dont Laurent Jalabert, commentateur sur France Télévisions. « Je n’y arriverai pas, je suis cramé », avait-il lâché. Mais il a poursuivi le rêve tant qu’il a pu et il était déçu de le voir s’achever sur une étape tronquée, arrêtée au sommet de l’avant-dernier col. « Ça fait chier, j’aurais préféré me battre jusqu’au bout, tomber avec les armes à la main », disait-il en privé. Qu’il ne s’inquiète pas, on sait quel guerrier il a été. Sa cinquième place à Paris vaut bien plus que ça. Son abnégation nous a mis des étoiles dans les yeux pendant trois semaines.

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