Grèce, Belgique, Danemark, Irlande et Pays-Bas, le Tour d’Italie s’est grandement internationalisé ces deux dernières décennies et noue des partenariats qui n’ont pas grand-chose à envier à ceux du Tour de France. Mais le grand départ de cette année, en Israël, était encore à part. Trois étapes programmées, plus de 400 kilomètres et quelques polémiques, que faut-il en retenir avant que les coureurs ne rejoignent la Sicile ?

Jérusalem, pomme de la discorde

Partir en dehors des frontières nationales n’est plus anormal. Il était écrit que le 101e Giro devait s’élancer de l’étranger, et les candidatures allaient bon train. Pologne, Slovénie, Autriche, Croatie ou encore Suède, tous ces pays étaient dans la short-list. La rumeur Israël existait déjà, mais personne ne semblait véritablement la prendre au sérieux avant son officialisation en septembre 2017. Mais l’annonce a lancé les débats un peu partout. Et les polémiques, aussi. L’invitation de l’équipe Israël Cycling Academy, même si prévisible, a fait grincer quelques dents, surtout parce qu’elle condamnait Nippo – Vini Fantini et son ancien vainqueur de l’épreuve bientôt retraité, Damiano Cunego. L’interminable transfert, au bout de trois jours, pour opérer la jonction entre la Mer Rouge et le détroit de Messine, même s’il n’a rien d’inédit, n’a pas non plus fait l’unanimité chez des coureurs déjà stressés par les bandes de vent des premières étapes de plaine.

Mais le feu a pris bien ailleurs, loin de ces considérations sportives. Bien évidemment lorsqu’il s’agit d’Israël, c’est sur le terrain politique que les tensions sont les plus vives. Et le retour de bâton a été rapide, intervenant dès novembre 2017. La cartographie, aussi pointilleuse que lourde de conséquences, engendre un bref incendie entre RCS et le gouvernement israélien. Sur le roadbook, le contre-la-montre initial devait se dérouler dans « Jérusalem-Ouest ». Un casus belli pour la ministre conservatrice de la culture et des sports, Miri Regev, qui somme la société sportive de rectifier la dénomination toponymique. Le différent est rapidement réglé, avec pour nouveau préfixe « Ville de Jérusalem », une parade qui botte en touche la partition historique Ouest-Est.

Une occasion manquée

Ce sont ces questions de territoires qui sont donc en réalité au centre de ce grand départ inédit. Proclamé en 1948, l’état d’Israël fête ses 70 ans mais n’a jamais réussi à mettre un terme aux conflits existentiels qui parasitent son développement depuis toujours. L’anecdote autour des choix cartographiques n’a donc rien de dérisoire dès lors qu’aucun consensus international ne règne sur des frontières mouvantes en permanence. Et au-delà du chrono de Jérusalem, c’est le parcours des trois jours de course qui a été scruté. La partie de Jérusalem empruntée, puis la suite du week-end d’Haïfa à Eilat en passant par le littoral occidental et le désert du Néguev, tous ces lieux ont un point commun : « C’est l’Israël de 48, tranche Thomas Richard, enseignant-chercheur et docteur en science politique spécialiste du Proche et Moyen-Orient. Beer’Sheva, Eilat, sont à l’intérieur des lignes d’armistice définies en 1948. On n’empiète pas sur le territoire conquis après 1967. Sinon, on aurait entendu à raison des hurlements palestiniens où à l’inverse une coopération bilatérale. »

Face aux risques malgré tout inhérents à ce départ, Mauro Vegni, directeur de RCS, affirmait avoir maintenu un plan B dans le sud de la Botte italienne en cas d’impossibilité de tenir le départ dans les quartiers institutionnels de Jérusalem. Tout s’est finalement parfaitement déroulé. Parce que l’organisation ne s’est pas aventurée à jouer un autre rôle que celui d’organisateur. En évitant soigneusement les territoires palestiniens, RCS a voulu se dédouaner de toutes conséquences malvenues, mais n’a pas cherché, non plus, à aider par le sport au rapprochement entre les ennemis héréditaires. Passivité ou impuissance, selon les appréciations. « À priori, on ne se dirige pas vers une entreprise précise de paix, confirme Thomas Richard. Le but, c’est plutôt de montrer que pour les 70 ans d’Israël, le Giro lui rend visite. On a affaire à une entreprise de légitimation qui met une pierre dans le jardin des campagnes de boycott scientifiques, économiques, commerciales. »

D’autres perspectives plus réjouissantes ?

Malheureusement, en quittant le hub touristique d’Eilat, le Giro devrait avoir très peu de chances d’insuffler un nouvel espoir dans une région marquée par les manifestations quotidiennes dans la bande de Gaza pour exiger une justice sur les massacres chroniques. Triste ironie du sort, un cycliste gazaoui fut dernièrement amputé d’une jambe suite à des tirs de snipers. Tout le contraire des Jeux Olympiques d’Hiver de Pyeongchang, détonateurs d’une marche enthousiasmante pour de nouvelles relations inter-coréennes. Le seul débouché concret dont on pourra surveiller les résultats aura pour sujet la promotion du cyclisme dans le pays. L’Israël Cycling Academy, dirigée par l’ancien coureur professionnel Ran Margaliot et parrainée par des champions européens comme Peter Sagan, a présenté deux coureurs du cru sur l’estrade : Guy Niv et Guy Sagiv. Emmenée par des leaders expérimentés comme Ben Hermans ou Ruben Plaza, leur objectif sera sûrement une victoire d’étape, tandis que les deux nationaux essayeront d’apercevoir les sept collines romaines.

En parallèle d’une reconstitution mythifiée de Jérusalem à Rome, on bâtit actuellement les derniers hectomètres d’une gigantesque piste cyclable reliant l’état hébreu du Nord au Sud, soit plus de 1300 kilomètres aménagés. Enfin, quid d’une moyennisation de cette pratique sportive, qui n’est à l’heure actuelle que l’apanage des touristes et des classes populaires ? « Le vélo est un sport de pauvres, confie Thomas Richard. En Israël, on fait des tours à vélo dans le Néguev, de plus en plus de VTT, on peut se promener en faisant du cyclo-tourisme. Mais de grands problèmes d’infrastructures se posent, ce n’est pas dans les habitudes locales, beaucoup de régions sont montagneuses ou trop désertiques, ce n’est pas facile. Les sports vraiment suivis sont le football, le catch et le basket, mais guère le cyclisme, qui n’a pas de champions locaux. Et les habitudes de conduite au Proche-Orient sont dangereuses pour les cyclistes. » Plus ou moins quelconque sur le plan sportif, ce grand départ aura mis en lumière les convergences et l’intérêt pour des gouvernements d’avoir recours aux événements sportifs pour tisser des liens avec une communauté précise et modeler une image à sa guise. Sans grande surprise.

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