Le résultat n’est jamais vraiment décisif – en vérité, au moment de faire le bilan au mois d’octobre, on se souvient rarement de février – mais la reprise de la compétition est toujours un moment crucial. Pour une grande partie du peloton français, le rendez-vous est fixé à ce week-end ou à la semaine prochaine. Avec un peu d’appréhension, à chaque fois.

La confiance, le nerf de la guerre

Tout est question de dosage. La saison ne se joue pas au Grand Prix de La Marseillaise, ni à Bessèges ou sur le Tour de La Provence. Mais pas question de se manquer pour autant. « Ça conditionne beaucoup de choses, assure Geoffrey Soupe. Si l’équipe voit un coureur performant, ça conditionne la confiance qu’elle lui accordera pour les grosses courses. » Il y a un an, le sprinteur de Cofidis avait manqué sa reprise en Provence. Quatre jours de galère, à se battre contre lui-même, incapable de disputer le moindre sprint. Ça lui coûtera sa place sur Paris-Nice, qui était censé être un point de passage important de sa saison. « J’étais en total manque de confiance, je me remettais en question sans arrêt et j’enchaînais les échecs, raconte-t-il sans détour aujourd’hui. Du coup, je suis allé faire les courses en Belgique plutôt que Paris-Nice, mais j’étais moins à l’aise, c’était des courses et un rôle que je maîtrisais moins, j’entrais dans un cercle vicieux. Cette mauvaise reprise m’a baisé jusqu’à fin avril. »

Un autre sprinteur, Romain Feillu, assure de son côté qu’il n’y a pas de vérité. Il a connu des débuts ratés suivis de bonnes saisons, et inversement. « En 2010, je fais une grosse fin de saison alors que j’avais eu une reprise très difficile, se rappelle-t-il. Et en 2008 (année où il prend le maillot jaune sur le Tour de France, ndlr), j’avais même été absent des courses de reprise. » Pourtant, il s’applique à arriver dans une bonne condition sur les premières courses de l’année. La visibilité grandissante de ces épreuves, notamment avec les retransmissions télé, incite à s’y montrer. « Et puis ce qui est pris n’est plus à prendre », glisse Feillu, pragmatique, qui souligne malgré tout qu’à l’heure de renouveler les contrats, « les managers ne se souviennent pas du début de saison ». Alors à 34 ans, lui dit pouvoir se cacher derrière des coureurs plus performants. Il jouerait moins gros qu’avant sur sa reprise. Mais ce n’est pas le cas de tous.

Jean-Baptiste Quiclet, directeur de la performance chez AG2R La Mondiale, détaille : « On cherche à rapidement aller chercher une dynamique collective, une spirale positive. En février, on va mettre en avant les jeunes pendant que les coureurs phares sont en second plan, en rodage. Ces coureurs-là savent depuis le mois de novembre qu’ils seront attendus en février, avec la certitude qu’ils auront déjà une coupure après ces premières courses de l’année. » Le modèle évolue. On ne se concentre plus sur un panel d’objectifs réduits mais on cherche à tenir son rang toute l’année. Des courses exotiques de janvier, en Australie ou en Amérique du Sud, jusqu’aux épreuves italiennes voire chinoises de fin octobre, les grosses équipes ne peuvent plus se permettre la moindre période sans résultat. Les techniques d’entraînement aidant, elles savent faire en sorte d’avoir des coureurs en forme tout le temps.

Un suivi bien plus optimal

« Il y a quelques années, des coureurs comme les frères Schleck n’étaient jamais en forme en début de saison, dit Romain Feillu. Mais aujourd’hui, un garçon comme Thibaut Pinot arrive déjà en forme à en février. On a appris à avoir plus de pics de forme dans la saison. » Même lui, l’ancien, s’est adapté, bien qu’un peu réticent au tout début. « Au départ, on ne savait pas trop comment utiliser ces nouveaux outils de mesure comme le capteur de puissance, maintenant si », reconnaît-il. Et le leitmotiv qui requiert d’être en forme à peu près tout le temps s’adapte à tout le monde ou presque. Seuls les leaders, en fait, se permettent de cibler. « Ce que j’ai compris en arrivant chez les professionnels, c’est qu’on ne te demande pas d’être à 100 % à un moment précis, explique Axel Domont. En revanche, on veut que tu sois à 85-90% toute l’année. Un équipier n’a pas les mêmes contraintes qu’un leader. »

Il doit aussi prouver, sans cesse, pour être sélectionné sur les plus grosses épreuves. Axel Domont a par exemple coché Paris-Nice, et sa présence passera par un bon début de saison. Tout ça met donc sous le tapis une phrase parfois entendue chez les observateurs : « il est en forme trop tôt ». « Je n’ai jamais eu le luxe de dire que j’étais trop fort », élude le coureur d’AG2R La Mondiale en rigolant. Mais même si la forme venait à arriver trop tôt, chez un coureur, les équipes sont maintenant armées pour réagir. « Il y a deux possibilités, détaille Jean-Baptiste Quiclet. Soit le coureur a réalisé beaucoup de travail et par exemple très bien réagi à un stage : dans ce cas là, on lui donne quelques jours de repos complet pour stopper l’organisme et la spirale négative. Soit le coureur a très bien réagi à des séances d’intensité, et on stoppera les intensités pendant huit à dix jours. »

Mais dans les faits, les voyants d’une forme trop précoce s’allument aujourd’hui très tôt grâce au suivi très précis des fichiers de puissance. Au moment de la reprise, généralement, tout est calculé. Reste le stress, l’appréhension inhérents à la reprise. « Ça met le sang à la gorge », résume Geoffrey Soupe. Mais tout s’éclaircit rapidement. « Dans les cinq derniers kilomètres, quand ça frotte, ça s’emballe, alors on sait, c’est le juge de paix, confie le coureur de Cofidis. Quand tu n’es pas bien, tu n’arrives pas à remonter, il y a un trou de souris, tu hésites, il se referme. Tu te dis que tu vas y arriver, mais en fait non. » Il faut alors savoir rebondir. Ne pas rester sur l’échec initial. Et se rassurer comme un peu : pendant longtemps, le vainqueur du GP La Marseillaise a été frappé d’une malédiction, en difficulté tout le reste de la saison. Peut-être un signe.

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