Un printemps l’aura fait passer dans une autre dimension. Il y a encore un an, Oliver Naesen était seulement un bon flandrien. Le voilà désormais dans la short-list des favoris pour le Tour des Flandres et Paris-Roubaix en avril prochain. Le garçon lui-même ne s’y attendait pas. A 23 ans, il avait presque fait une croix sur son rêve de passer professionnel et travaillait comme livreur. Mais tout est allé très, très vite pour lui. Après s’être révélé un candidat aux plus grandes victoires sur les pavés, il est devenu l’an dernier champion de Belgique, puis a accompagné avec brio Romain Bardet sur le Tour de France. A 27 ans, le voilà avec un nouveau statut. De tout ça, il a longuement parlé à la Chronique du Vélo. Dans un français parfait, emprunt de beaucoup de modestie.

Oliver, il y a un an vous étiez une recrue d’AG2R qu’on avait hâte de voir à l’œuvre, aujourd’hui vous êtes l’un des quatre ou cinq meilleurs flandriens. C’est allé très vite pour vous…

Oui, je suis très content de comment cela s’est passé. C’est allé très vite, j’ai déjà fait des choses que je n’avais pas imaginé faire. On ne peut qu’espérer que cela continue dans ce sens.

Vous êtes passé professionnel assez tard, à 24 ans. Vous vous dites que vous avez du retard à rattraper ?

Oui souvent, dans le vélo, quand on a 22 ans, les gens disent c’est trop tard, il est trop vieux. Je pense que c’est faux, il y en a juste qui se développent moins vite que d’autres, et c’était mon cas. Chez les jeunes, certains sont des champions et passent pro à 20 ans, voire 19. Donc au début, j’avais la sensation d’avoir du retard, et qu’il fallait que je le rattrape rapidement. J’ai fait le job le mieux possible et j’ai finalement réussi à atteindre à un niveau pas trop mal.

Quand vous aviez 22 ou 23 ans, que vous voyiez des coureurs plus jeunes que vous passer pros, vous pensiez que votre tour était passé ?

Franchement, à ce moment là, je ne pensais plus du tout être un coureur professionnel. Le vélo était ma passion, je m’amusais, mais tous les coureurs que je voyais passer pro le méritaient. A cette époque, ils étaient tous meilleurs que moi. Puis est venue ma dernière année chez les amateurs, je savais que si moi je ne passais pas professionnel, personne ne le méritait davantage. Et cela s’est fait. Mais avant, je n’avais pas le niveau et les autres si, donc je n’étais pas jaloux. C’était normal.

Même si vous le méritiez avec votre dernière saison chez les amateurs, ce n’est pas évident pour qu’une équipe pro offre un premier contrat à un coureur de 24 ans. Vous auriez pu ne pas avoir cette chance à cause de votre âge…

« (L’an dernier) sur le GP E3 ou le Ronde, on était quatre mieux que les autres : Gilbert, Greg, Sagan et moi. C’est quelque chose que je n’avais pas vraiment prévu. »

Oliver Naesen

Oui, c’est ce que je me disais. Le vélo était un hobby et je me disais ce n’est pas grave, je ne serai pas pro, il y a plus important dans la vie. Mais cette dernière année, j’étais vraiment le meilleur amateur en Belgique, et il n’y avait pas vraiment d’espoirs au top niveau. Alors l’équipe Topsport, qui a l’habitude de prendre environ cinq néo-pros chaque année, m’a offert un contrat. C’est grâce à eux que j’ai eu une chance de passer pro à cet âge.

On raconte que vous étiez coursier avant de décrocher ce premier contrat, c’est vrai ?

Oui, c’est vrai, j’étais livreur, mais pas à vélo, j’avais une camionnette. J’ai arrêté l’école à 22 ans, et j’ai fait ça pendant un an et demi, jusqu’à ce que je signe comme stagiaire chez Lotto.

Quelques années plus tard, vous vous retrouvez à batailler avec Sagan, Van Avermaet et Gilbert sur les flandriennes. Vous vous attendiez à être à ce niveau ?

Non, pas vraiment. J’ai toujours des objectifs devant moi, et pour l’année 2017, c’était de faire régulièrement un top 10. Mais je pensais que ma place serait entre septième et quinzième. C’était ça, mes ambitions pendant l’hiver. Finalement, j’ai fait mieux. Dès l’Omloop Het Nieuwsblad, en fait, j’étais parmi les cinq ou dix meilleurs, et surtout ensuite sur le GP E3 ou le Ronde, on était quatre mieux que les autres : Gilbert, Greg, Sagan et moi. C’est quelque chose que je n’avais pas vraiment prévu.

Sur le Tour des Flandres, avant la chute dans le Vieux Quaremont, vous jouez la gagne avec les plus costauds de ce printemps. Vous vous dites quoi ?

Je n’avais pas vraiment le temps pour réaliser où j’étais, la situation de course et tout ce qu’il se passait. Mais je me sentais super bien. Je savais que j’avais le niveau, j’avais dit à l’équipe avant la course que j’étais dans les quatre meilleurs et que je voulais attendre leurs attaques pour suivre. J’étais le seul à pouvoir suivre Phil, Greg et Sagan, je pense. Malheureusement, on n’a pas pu faire la bataille. Tout devait commencer au moment de la chute.

Vous avez eu le temps de vous dire que vous pouviez gagner le Tour des Flandres ?

Non, je n’y ai pas vraiment pensé. Mais je pense que si on était arrivés ensemble, j’aurais fait troisième ou quatrième. J’avais déjà fait pas mal de sprints avec les trois autres, et à chaque occasion ils m’avaient battu. Ils ont plus d’expérience dans ce genre de situation, pour moi c’était encore tout nouveau. Je me sentais très bien ce jour-là, mais c’est très difficile de dire que je pouvais gagner.

Champion de Belgique, Oliver Naesen s’est imposé comme l’autre leader de l’équipe AG2R – Photo Vincent Curutchet

Il y a quelques temps, vous vous décriviez comme un « Van Avermaet light ». Maintenant que vous êtes un de ses rivaux en course, ce surnom ne vous va plus…

(Rires) Oui, c’était un autre journaliste qui me demandait quel type de coureur j’étais. Alors j’ai répondu que j’étais comme Greg, mais light. Tout le monde sait qu’on est amis et à chaque interview que je fais, on me parle aussi beaucoup de Greg. Mais c’est vrai et c’est chouette que je me rapproche vite de son niveau. Il reste meilleur pour l’instant mais c’est rassurant de voir à l’entraînement et en course que je reviens vite sur lui. Donc oui, Van Avermaet light, ce n’est plus mon surnom (sourire).

Vous êtes partenaires d’entraînement, cela fait combien de temps ?

Depuis que j’ai été stagiaire chez Lotto. Il habite tout près de chez moi, comme pas mal d’autres coureurs. Ils s’entraînent ensemble depuis des années et quand je suis devenu stagiaire, ils m’ont invité dans leur groupe.

Au fil des années, vous avez senti que vous vous rapprochiez du niveau de Greg ?

J’ai évidemment senti cette amélioration. Mais ça reste encore dur à l’entraînement. Au début, c’était quelque chose, quand on était sur une bosse, il était mille fois mieux que les autres. Maintenant j’arrive davantage à le suivre et à m’amuser avec lui. Il continue de me faire mal, tous les jours ! Mais c’est dans les deux sens maintenant, j’arrive aussi à accélérer un peu pour lui faire mal.

Quel est le meilleur conseil que vous ait donné Greg ?

Ce n’est pas vraiment un conseil, mais il m’a fait voir à quel point il est important de rester motivé et d’aller rouler tous les jours, même quand tu n’a pas envie. Il m’a appris la persévérance.

Il y a encore deux ans, Greg était considéré comme un coureur qui gagnait trop peu. L’avez-vous vu évoluer pour devenir bien plus efficace ?

La seule chose que j’ai vu changer chez lui, c’est sa confiance. Aujourd’hui, il va sur une course et il sait qu’il est le meilleur avec Sagan. C’est la seule change que j’ai vu changer chez lui. Le reste, c’est une question de circonstances. L’an passé, tout est allé parfaitement, alors que les années précédentes, il y avait souvent un petit truc qui coinçait.

Pour revenir sur votre arrivée chez AG2R, comment Vincent Lavenu est venu vous chercher ?

C’était en juin 2016, donc avant que je gagne à Plouay, au moment où l’on savait que IAM allait s’arrêter. J’avais fait une bonne campagne classique, dans les vingt premiers presque à chaque fois, mais pas aussi bonne qu’en 2017. Vincent Lavenu m’a engagé en me disant qu’il ne voulait plus être la dernière équipe du classement après les flandriennes, qu’il fallait prendre des points World Tour et faire quelques tops 10 si possible. Mais ce n’était vraiment pas avec la pression de faire des podiums ou des top 5, l’équipe a finalement été aussi surprise que moi.

« Après la ligne ce jour-là (sur l’étape de Romans-sur-Isère, lors du Tour 2017), Romain m’a énormément remercié, comme il l’a fait avec toute l’équipe. On savait qu’on avait échappé à une petite catastrophe. »

Oliver Naesen

Le deal, c’était de vous donner carte blanche sur les classiques puis que vous preniez une place dans la garde rapprochée de Romain Bardet ?

Oui plus ou moins. Je suis aussi venu avec Stijn (Vandenbergh), qui avait couru bien plus que moi sur les classiques, donc nous étions leaders ensemble. Puis sur les courses par étapes, l’équipe avait besoin de coureurs pour aider Romain dans le vent, sur les étapes de plat. C’était mon deuxième rôle.

Pour un coureur de classiques comme vous, ce n’était pas un choix évident de s’engager dans une équipe centrée sur les courses par étapes. Vous avez appréhendé ?

Au moment de signer, j’avais déjà fait quelques résultats sur les classiques alors je voulais une équipe où je pourrais tenter ma chance. Je ne voulais pas forcément une équipe où j’allais être le seul leader. Mais l’équipe IAM a annoncé fin mai qu’elle s’arrêtait, et quelques jours après à peine, Vincent Lavenu m’appelait pour m’expliquer pourquoi il me voulait. Je sentais déjà qu’il voulait vraiment que je vienne chez lui.

Si vous aviez eu le choix avec une équipe belge, Lotto par exemple, qu’auriez-vous choisi ?

C’est difficile. J’étais stagiaire chez Lotto et j’aurais aimé y rester à cette époque. Mais je n’ai pas eu d’offre de leur part l’an dernier, et j’en ai eu une d’AG2R. Puis dès que j’ai commencé à parler avec l’équipe, tout le monde est venu me voir dans le peloton, en me disant qu’il fallait que je vienne, que j’allais m’amuser là-bas. Cette atmosphère, familiale, ça m’a tout de suite beaucoup plu et en réalité je n’ai pas beaucoup hésité. C’est un peu ma façon de penser. Quand vous avez quelque chose de bien, je me dit qu’il faut saisir l’opportunité. Je ne suis pas du genre à tout faire pour avoir autre chose, qui n’est pas spécialement mieux, mais qui peut être moins bien.

L’an passé, on a beaucoup parlé de votre boulot pour Romain sur l’étape de Romans-sur-Isère, lors du Tour de France. Vous bouchez un trou énorme. Sur le moment, vous avez conscience de l’importance de ces quelques minutes ?

En 2018, Oliver Naesen espère jouer le podium sur les flandriennes, et pourquoi pas en remporter une – Photo Julien Crosnier

Je savais où ça allait bordurer, tout le monde savait. Je savais aussi que ce serait mon job de faire en sorte que Romain ne perde pas de temps. Evidemment, il y a énormément de stress dans une situation pareille. On s’est regroupés avec l’équipe et les autres coureurs nous ont posé au rond-point où l’on savait que ça allait bordurer. Et à ce moment-là on était juste un peu trop loin, ça a cassé juste devant nous. Moi, je savais que je n’avais qu’un job, rouler le plus vite possible avec Romain dans la roue pour raccrocher le premier groupe. Si on n’avait pas réussi, on n’aurait pas fait un podium sur le Tour de France. Alors oui même pendant la course, j’ai réalisé l’importance de ce moment. Après la ligne, ce jour-là, Romain m’a énormément remercié, comme il l’a fait avec toute l’équipe. On savait qu’on avait échappé à une petite catastrophe.

Vous sentiez Romain stressé à ce moment-là ?

Non, pas trop. C’est un leader qui fait énormément confiance à son équipe, et il nous suit vraiment bien. Il est presque comme un sprinteur dans ces moments-là. Il est toujours dans la roue, il suit toujours et ne laisse pas de trou. Sur une étape avec beaucoup de vent, il va venir demander des conseils et il a confiance dans ce que ses coéquipiers peuvent lui dire. Je ne l’ai pas vraiment vu en stress.

Pour ce qui est de 2018, vous serez très attendu au printemps, ça vous fait peur ?

Non, pas vraiment parce que j’ai répondu présent pendant toute l’année 2017. J’ai eu un très bon niveau de fin février à octobre. Je n’ai rien changé, je n’ai pas été malade cet hiver, et je suis convaincu d’avoir progressé par rapport à l’an passé. J’ai vraiment hâte et beaucoup de confiance, pour cette campagne de classiques et pour toute l’année.

Cet hiver, l’équipe a engagé Tony Gallopin notamment pour vous épauler sur les classiques. C’est une grande marque de confiance, non ?

« (Gagner une grande classique), je crois que j’y pense tous les jours, honnêtement. Quand je m’entraîne tout seul, c’est la seule chose qui est dans ma tête. »

Oliver Naesen

Oui, bien sûr. Mais Tony n’est pas venu que pour m’aider, il est aussi un leader de l’équipe, il a encore ses ambitions. On s’entend très bien, je le connais déjà depuis que j’ai été stagiaire chez Lotto. C’était en 2014, il avait porté le maillot jaune et remporté une étape sur le Tour de France. Et sa première course après le Tour, on était en chambre ensemble. Mais c’est du coup un peu spécial. Pour moi, c’est encore un de mes héros, je me rappelle le sentiment que j’avais en étant en chambre avec lui.

Vous concernant, votre statut a changé l’an passé. Sentez-vous que vous n’êtes plus un coureur lambda, que vous êtes davantage craint dans le peloton ?

Je pense que je resterai toujours un coureur comme les autres. Mais je sens un peu plus de respect, oui. Quand ça frotte pour une position, dans un endroit stratégique, l’an passé on ne m’aurait pas laissé la place. Mais là, les gars se disent peut-être « Ah lui il ne va pas lâcher, il est là pour faire la course, pour être là dans le final, on lui laisse quand même la place. »

Gagner une grosse classique, vous y pensez ?

Oui, je crois que j’y pense tous les jours, honnêtement. Quand je m’entraîne tout seul, c’est la seule chose qui est dans ma tête. Peut-être pour cette année, peut-être pas. Mais avec la saison que j’ai fait l’an passé, avec le maillot que je porte, avec l’équipe que j’ai derrière moi, je pense que c’est possible. Et je me dis toujours que dès qu’on a un dossard, on peut gagner.

Si vous avez le choix entrer gagner le Tour des Flandres et Paris-Roubaix, vous prenez quoi ?

Ça m’est égal. Peut-être le Tour des Flandres parce que c’est le premier, donc je n’aurais pas à attendre une semaine de plus (rires).

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.