Le 16 avril dernier, à l’autre bout du monde, sur la piste de Hong Kong, Morgan Kneisky était sacré champion du monde de l’américaine avec Benjamin Thomas. Sept mois plus tard quasiment jour pour jour, il apprenait que son équipe, l’Armée de Terre, ne poursuivrait pas en 2018. Un coup de massue derrière la tête pour le Grenoblois, qui se projetait déjà sur les Jeux Olympiques de 2020. A deux ans et demi de son objectif, tout est donc remis en question. Depuis près de trois semaines, alors qu’il continue de sillonner le globe pour courir sur la piste, il cherche une solution pour la saison prochaine. Il y en a pas des dizaines : il lui faut un contrat professionnel. Tantôt défaitiste, tantôt plus serein, au terme de sa manche de Coupe du Monde au Canada le week-end dernier, Morgan Kneisky s’est livré à la Chronique du Vélo.

La nouvelle de l’arrêt de l’Armée de Terre est tombée il y a environ trois semaines. Quel est votre quotidien depuis ?

Je ne suis rentré en France depuis l’annonce. D’ailleurs, je l’ai appris en course, aux Six jours de Londres. Mais c’est sûr qu’à partir du moment où je l’ai appris, des choses se sont mises en place. Des opportunités se créent, mais on doit aussi avancer avec l’Armée pour savoir ce que vont devenir nos statuts de soldats.

Quand vous l’apprenez, vous tombez de haut ou vous vous doutez que la nouvelle va arriver ?

Non je tombe de haut parce que j’ai fait totalement confiance à David Lima da Costa. Il n’y est pour rien mais je ne m’attendais pas à ce que ça se passe comme ça. Il n’y a pas eu de signes qui laissaient penser qu’il y aurait un souci.

Des coureurs avaient même été recrutés, cet arrêt soudain n’avait pas été anticipé…

Oui voilà, c’est exactement ça. Tout montrait que tout le monde était serein, c’est comme ça que tout le monde s’est quitté en fin de saison. Il y avait des projets pour l’avenir, on suivait les recrutements. Il n’y avait vraiment pas de quoi s’inquiéter, les seuls bruits que j’avais eu concernaient le fait qu’on avait demandé de retarder le dépôt de dossier, mais je ne m’attendais pas à ça.

Depuis l’annonce, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

« Si on veut aller chercher une médaille, ce que j’espère, il faut courir en World Tour ou en Continental Pro. Si je ne trouve pas, je pense que j’arrêterai. »

Morgan Kneisky

Ce n’est pas facile, cela fait plusieurs années que je suis dans les mêmes situations en fin de saison. L’an dernier c’était pareil, j’ai signé à l’Armée de Terre en février, j’étais sans équipe jusque-là. Aujourd’hui c’est dur à accepter parce que j’avais vraiment mon projet olympique en tête, et j’avais enfin trouvé un équilibre pour exercer ma double activité. Mais les choses n’ont pas trop eu le temps de se mettre en place qu’il faut retrouver quelque chose.

Cela fait deux ans de suite que vous vous retrouvez dans une situation similaire. On se dit quoi dans ces cas là, qu’on a la poisse ?

Oui, voilà. On se demande comment ça se fait qu’on puisse être multi médaillé aux championnats du monde sur piste et que personne ne s’intéresse à soi pour faire ne serait-ce qu’un peu de travail dans une équipe et me permettre de m’épanouir encore plus sur la piste. Si je ne retrouve pas de contrat, j’aurais l’impression d’avoir fait une carrière, d’avoir été champion du monde, mais aussi d’être passé à côté d’énormément de choses. Dans le vélo, j’ai appris avec l’expérience que quand on n’est pas serein et en confiance, c’est difficile de performer. Et là, avec les années qui s’enchainent, c’est difficile de trouver la confiance.

Au mois d’avril, quand vous êtes sacré champion du monde de l’américaine avec Benjamin Thomas, on imagine que vous êtes très loin d’imaginer un tel dénouement en fin de saison…

Benjamin Thomas et Morgan Kneisky posent après leur titre mondial – Photo UCI

Ah oui, pour moi le titre de champion du monde avec Benjamin était un point de départ. Je venais tout juste de rejoindre l’Armée, ça faisait un mois. J’étais content parce que ça permettait de les remercier de la confiance qu’ils m’accordaient. Ca m’a redonné confiance, j’ai retrouvé les jambes et j’ai fait une belle saison derrière. J’étais très loin de m’imaginer que l’histoire allait s’arrêter au bout de huit mois, je me voyais aller jusqu’aux Jeux de Tokyo avec cette équipe.

C’est d’autant plus frustrant que cette situation se présente au terme d’une saison réussie…

Oui en plus. Puis je me suis aussi cassé la main (en juillet, ndlr), je n’ai pas pu finir la saison, donc je n’ai pas pu faire une saison complète encore. Avant ça j’avais déjà enchaîné trois années en Angleterre où le volume n’était pas assez conséquent, or on en a besoin au haut niveau. L’an prochain, je voulais donc faire une belle saison sur la route, et ça se casse la gueule à nouveau, c’est compliqué.

Aujourd’hui, au niveau de vos pistes, quelle est votre situation exactement ?

Je n’ai rien. Pour le moment, je n’ai rien. Je suis encore dans le doute, des choses se mettent en place, j’en saurai plus cette semaine, mais ce sont des solutions qui attendent certaines réponses.

Quelles équipes avez-vous tenté de contacter ?

Je n’ai contacté aucune équipe amateur parce que mon objectif est d’être champion olympique et je pense qu’on ne peut pas l’être en courant chez les amateurs. Mes adversaires seront des Viviani, Cavendish, des coureurs du World Tour. Alors si on veut aller chercher une médaille, ce que j’espère, il faut courir en World Tour ou en Continental Pro. Si je ne trouve pas, je pense que j’arrêterai.

« Je n’ai pas envie de persister pour m’écrouler. Vu la chance que j’ai eu depuis le début de ma carrière, ce n’est pas la peine d’insister quand ça ne veut pas sourire. »

Morgan Kneisky

Avez-vous eu des retours des équipes françaises ?

Les équipes françaises ne sont pas nombreuses, mais pour la plupart d’entre elles, le regard des managers envers la piste est très noir, donc ils ne prennent même pas le temps de taper sur leur clavier pour répondre. Donc des retours, j’en ai eu très peu. Mais le peu que j’ai eu, c’était du positif, donc j’attends.

Positif, ça veut dire à quel stade ?

A un stade plutôt bien avancé. Mais j’attends quelques réponses, surtout à propos de notre statut militaire, de ce qu’il va devenir.

Avez-vous en tête uniquement les équipes françaises ?

J’ai contacté quelques équipes étrangères, avec des réponses plutôt positives. Mais pour réaliser mon objectif, en plus du travail sur la route, il faut que je puisse travailler sur la piste, et ça se fait au vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines. Donc une équipe française, ce serait quand même l’idéal. J’ai aussi déjà eu l’expérience de courir pour une équipe étrangère pendant trois ans (Kneisky a été membre du Team Raleigh jusque fin 2016, ndlr), c’est énormément de déplacements, de voyages… Donc à un moment donner, si en plus on vit à l’étranger, on va déprimer et on ne réussira pas.

Quand on voit Benjamin Thomas à la FDJ ou Thomas Boudat chez Direct Energie, on se dit qu’il y a désormais de la place pour les pistards.

Ce sont aussi des coureurs qui ont du talent sur la route, mais on leur donne leur chance très tôt. Moi j’ai été champion du monde à 21 ans mais on ne m’a jamais donné cette chance d’intégrer le haut niveau sur la route. J’ai signé chez Roubaix, qui m’a permis de passer chez les pros et de garder un bon niveau sur la piste, mais je n’ai pas eu leur chance. Les mentalités changent, mais peut-être trop tard pour moi, il faut se faire une raison.

Est-ce envisageable si vous trouvez pas d’équipe avant la reprise, de continuer de votre côté sans courir sur la route pour les premiers mois de 2018 ?

Ca va être compliqué. Après ma blessure à la main cet été, j’ai fait énormément de home-trainer et de piste, pas beaucoup de route. Et résultat, c’est qu’aujourd’hui je suis sur des manches de Coupe du Monde où je passe complètement au travers. Je ne peux même pas rivaliser avec des coureurs que d’habitude, je maîtrise facilement. Avec uniquement du travail sur la piste, ce n’est pas possible, je dois travailler sur la route pour progresser.

Mais quand on parle de Jeux Olympiques 2020, cela paraît loin. Ne serait-ce pas prématuré de se mettre un ultimatum dans un ou deux mois ?

Oui, on pourrait le penser. Mais pour la construction d’un objectif comme celui-là, je pense que deux ans, c’est déjà limite trop tard. Les autres nations, elles, ne perdent pas de temps, les mecs sont déjà en place. Donc je n’ai pas envie de persister pour m’écrouler. Vu la chance que j’ai eu depuis le début de ma carrière, ce n’est pas la peine d’insister quand ça ne veut pas sourire.

Morgan Kneisky, quoi qu’il arrive, devrait être aux Mondiaux, disputés aux Pays-Bas l’an prochain – Photo UCI

Vous vous êtes fixé une date dans votre esprit ?

Je pense que le Mondial sera une date butoir (ils se dérouleront du 28 février au 4 mars, ndlr).

Et vous irez à ce Mondial quelque soit votre niveau ?

Oui, parce que pour un championnat du monde, surtout si c’est le dernier, je serai préparé sans souci.

A quel point est-ce difficile de se dire, à 30 ans et alors qu’on est champion du monde en titre, que tout pourrait s’arrêter maintenant ?

J’ai déjà été quatre fois champion du monde sur la piste, j’ai eu beaucoup de satisfactions, mais en ayant eu des conditions encore meilleures, je me demande ce que j’aurais pu faire. C’est surtout cette question là qui me revient à chaque fin de saison, surtout quand je me retrouve dans des galères comme celles-là.

Arrivez-vous à vous dire que ce n’est pas de votre faute, que c’est de la malchance ?

Oui, je sais très bien que ce n’est pas de ma faute, ni de l’encadrement de l’Armée de Terre, c’est juste une question politique. Je le conçois très bien, c’était sur le papier, c’était comme ça que ça marchait dans l’équipe de l’Armée de Terre.

Du coup, vous êtes plutôt confiant ou plutôt inquiet ?

J’étais en compétition ces derniers jours alors j’essayais de ne pas me poser la question pour pédaler correctement… Mais je suis entre les deux. Parfois je suis confiant, à d’autres moments je suis inquiet. Ca dépend de comment je me suis levé le matin (rires).

Vous n’êtes donc pas abattu en tout cas !

Non, je sais qu’il y a des possibilités. J’ai la chance d’être sportif de haut niveau et d’avoir la fédération qui travaille très fort pour que je puisse continuer. Ca m’aide et ça me permet de garder le moral. Contrairement aux autres, moi je ne suis pas tout seul. J’ai d’excellente relations avec la fédération, il y a une confiance mutuelle, et si je suis serein c’est surtout grâce à ça. Déjà l’an dernier, s’il n’y avait pas eu la fédération, je n’aurais jamais été à l’Armée de Terre.

Pour terminer, de façon optimiste, quand pouvez-vous espérer un dénouement ?

D’ici deux semaines, je pense que ce sera calé. Pour moi comme pour la fédération, il va y avoir des réunions prochainement.

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