Peu connu en début de saison, Guillaume Martin a bien fait les choses pour que l’on parle de lui. Premiers succès chez les professionnels, premier Tour de France, terminé à la 23e place, une chronique pour Le Monde et des portraits dans de grands journaux. Le garçon était à peu près partout. Jusqu’à la caricature, cette image de “cycliste philosophe” dont il nous parle. Pendant trois semaines, sur le Tour, lorsqu’on parlait de Guillaume Martin, on parlait aussi de Friedrich Nietzsche. Or le Normand ne veut pas être réduit à ce statut. Entretien avec le leader français d’une équipe belge.

Premiers succès en professionnel, premier Tour de France couru, est-ce que 2017 est une année charnière dans votre carrière ?

Pas forcément. J’ai le sentiment de progresser d’années en années, peut-être un peu plus rapidement depuis que je suis passé professionnel. Ma première année pro avait déjà été enrichissante donc j’ai l’impression d’être toujours sur la même pente ascendante. C’est plaisant, j’espère continuer sur cette voie.

Avec quel état d’esprit avez-vous abordé le Tour ?

Je n’ai pas pour habitude de prendre part à une course seulement pour dire que j’y suis. Pas plus le Tour de France qu’une autre. J’avais évidemment des ambitions de briller, sans forcément avoir un objectif précis en tête parce que c’était ma première course de trois semaines. Je n’avais pas envie de faire juste de la figuration – et a donc terminé 3e à la Station des Rousses, ndlr.

Pourtant, on vous a senti un peu agacé par votre manière de courir, notamment dans la première partie de course où vous aviez pour consigne de suivre le plus longtemps possible les meilleurs. Comment l’avez-vous vécu ?

« Oui, j’ai fait des études de philosophie, j’assume totalement mais ce n’est pas pour autant que je lis Nietzsche une demi-heure avant le départ. Quand on tombe dans la mise en scène, je ne suis pas à l’aise. »

Guillaume Martin

Je comprends que l’équipe ait besoin d’un coureur placé au général. Ça fait partie de l’apprentissage, aussi. Mais c’est sûr que j’aurais aimé prendre plus de risques pour viser une étape, quitte à terminer plus loin au général. J’aime bien viser les classements généraux. Il faut vraiment voir en fonction des situations. Mais, à terme, viser une 20e place, même sur le Tour de France, ça ne me satisfait pas complètement.

C’était la grande première de Wanty-Groupe Gobert sur le Tour de France, êtes-vous confiant quant à votre présence l’année prochaine ?

C’est sûr que ce serait une déception de ne pas y être, d’autant plus qu’on a montré qu’on avait les arguments et le niveau pour y participer. On a été présents sur cette édition, l’équipe a été offensive, présente dans les classements distinctifs. On a remporté le classement par équipes Europe Tour. Pour nous, c’est une saison réussie. Je ne suis pas sûr que les organisateurs attendent de nous qu’on gagne la première course pour nous réinviter. Mais la décision n’est pas entre mes mains, ni celles de l’équipe.

On parle beaucoup d’une génération dorée dans le vélo français. Est-ce que vous pensez que courir chez Wanty, et pas dans une équipe française, fait que finalement vous êtes un peu en retrait ?

Je ne fais pas partie de la même génération que Bardet, Pinot etc. Je n’ai pas non plus leur palmarès, il faut être réaliste. J’ai le sentiment d’être assez médiatisé quand même. La situation, telle qu’elle est, me convient très bien.

Vous sortez d’une longue saison, de quoi avez-vous profité lors de cette coupure hivernale ?

J’ai progressivement arrêté le sport, j’ai pratiqué des activités que je n’ai pas forcément le temps de faire en saison comme la randonnée en montagne. J’ai vécu la vie de monsieur tout le monde, en quelque sorte, en étant un peu moins regardant du point de vue alimentaire notamment. J’ai fini l’année dans de très bonnes dispositions donc je n’étais pas physiquement trop usé. Mais la coupure m’a fait du bien.

Cette saison, Guillaume Martin a mené son équipe sur le Tour de France, et dès que la route s’élevait la reste du temps – Photo ASO

Pendant le Tour, il y a eu ce portrait de Libération anglé sur votre passion pour la philosophie. Les autres médias ont embrayé derrière… N’avez-vous pas peur d’être toujours cantonné à cette image ?

Ça me gêne quand cela devient trop caricatural. Si c’est juste pour dire que je suis l’intello du peloton, ça m’embête. J’espère ne pas toujours être ramené à ça. Je trouve intéressant qu’on parle de cet aspect de ma personnalité, que je revendique d’ailleurs, sauf quand ça devient caricatural et cliché.

D’ailleurs, il y a eu cette petite anecdote sur un quotidien étranger qui voulait vous faire poser livre à la main dans le bus de Wanty pour illustrer votre portrait. Vous avez refusé. Qu’est-ce que cela dit de vous ?

C’est juste que je ne veux pas tomber dans l’artificialité. Oui, j’ai fait des études de philosophie, j’assume totalement mais ce n’est pas pour autant que je lis Nietzsche une demi-heure avant le départ. Quand on tombe dans la mise en scène, je ne suis pas à l’aise donc j’essaie autant que possible de poser des limites à ce qu’on veut faire de mon image.

Vous avez fait votre mémoire avec cette thématique (Le sport moderne : une mise en application de la philosophie nietzschéenne, ndlr) : est-ce que faire partie du monde professionnel a dépassionné votre rapport au vélo ?

« Il n’y a pas beaucoup de personnes de mon âge qui ont l’occasion de voyager autant, de rencontrer des gens aussi différents. C’est sûr que c’est un mode de vie particulier. On peut toujours regretter ce qu’on n’a pas mais je préfère profiter de ce que j’ai. »

Guillaume Martin

C’est assez ambivalent. D’un côté, quand je rentre chez moi, je ne regarde plus forcément les courses parce que c’est mon métier et que j’ai envie de penser à autre chose. Et de l’autre, j’aime toujours autant le vélo. Quand je sors, je n’ai pas l’impression d’aller à l’usine, loin de là. Le fait d’être au plus haut, c’est là aussi où on prend le plus de plaisir donc ça n’a rien tari de ma passion. Peut-être que si j’étais dans une grosse équipe World Tour au fonctionnement semblable à celui d’une multinationale, je répondrais différemment. J’ai la chance d’être dans une équipe à l’ambiance assez familiale donc je suis loin d’être dégoûté.

Être cycliste professionnel signifie beaucoup de sacrifices, n’avez-vous pas le sentiment de passer parfois à côté de votre jeunesse ?

On passe, peut-être, à côté de certaines choses mais on profite énormément d’autres choses aussi. Il n’y a pas beaucoup de personnes de mon âge qui ont l’occasion de voyager autant, de rencontrer des gens aussi différents. C’est sûr que c’est un mode de vie particulier. On peut toujours regretter ce qu’on n’a pas mais je préfère profiter de ce que j’ai.

Vous avez achevé l’écriture de votre première pièce de théâtre « Platon VS Platoche ». Où en est son adaptation sur scène ?

Elle est en cours de production. La moitié de la pièce est déjà prête et répétée. A la fin du mois, je vais à la rencontre de lycéens dans plusieurs établissements de Normandie pour leur en parler. Ma mère est à la mise en scène, les acteurs sont en train d’être choisis. Maintenant, je suis détaché de tout ça.

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour 2018 ?

Je parlais de « pente ascendante » en début d’entretien. J’espère pouvoir continuer, progresser encore. De manière très concrète, c’est gagner de nouveau et jouer les premiers rôles sur les courses World Tour. Ce serait une année parfaite.

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