Tour de France 2016, dans la descente de Domancy, Mikaël Cherel emmène Romain Bardet vers une victoire de prestige à Saint-Gervais, synonyme de podium sur les Champs-Elysées. Un an plus tard, le garçon était absent de l’épopée du mois de juillet. Une chute en stage, dans la Sierra Nevada, a coûté au Normand sa participation au Tour puis à la Vuelta. Un été parti en fumée qui aurait pu lui saper le moral, mais à 31 ans, Cherel a su rebondir et se fixer de nouveaux objectifs. Sa fin de saison, sur les classiques italiennes, a été à la hauteur de ses attentes. De quoi tirer un trait sur des mois difficiles, qu’il a bien voulu raconter à la Chronique du Vélo.

Habituellement, vous êtes très performant en début de saison. Comment avez-vous jugé le votre cette année ?

J’avais axé mon travail au service du collectif. Je n’ai pas eu les mêmes résultats en début de saison que les années précédentes, même si j’ai fait 6e à La Marseillaise ou 11e sur la Classic de l’Ardèche. Sur une course comme le Tour du Haut-Var que j’affectionne particulièrement parce que je suis presque à domicile, je me suis mis au service de Samuel Dumoulin qui avait gagné la première étape. Ce sont des courses où je peux viser le top 5, mais j’ai pris l’habitude de privilégier le collectif et je le fais presque inconsciemment maintenant. Parfois, j’ai du mal à penser à moi.

Comment aviez-vous prévu de gérer votre montée en puissance pour le Tour ?

Sur le début de saison, j’ai vu mon niveau de performance s’améliorer. Ça s’est vu dans les données compilées dans notre serveur informatique qui sert à toute l’équipe. La progression est toujours d’actualité, à maintenant 31 ans. Mon premier gros bloc de courses comprenait les ardennaises, le Tour du Pays-Basque, jusqu’au Tour de Romandie que j’aime bien. J’y avais visé la victoire sur l’étape de montagne. L’idée c’était de couper juste après. J’ai fait une semaine totale sans vélo et après je suis parti en stage en altitude pour faire un travail d’hypoxie et d’endurance. C’est un schéma vraiment traditionnel pour un coureur qui prépare le Tour.

Qu’est ce qu’on travaille durant ces stages ?

« Je me suis dit que ce n’était pas possible de foutre en l’air tout ce qui avait été fait. D’autant que les premiers examens à Grenade étaient rassurants. Je ne pouvais plus marcher mais la radio passée là-bas ne révélait aucune fracture. »

Mikaël Cherel

C’est surtout une base de foncier qu’on essaie de recréer, dans la mesure où on sort d’une coupure plus ou moins longue. Pendant 10 jours, on travaille les bases autour d’exercices d’endurance associés à l’altitude, ce qui fait que la condition s’améliore très rapidement. Sur la fin, on axe la préparation sur le travail au seuil (la limite où l’organisme produit l’acide lactique, ndlr), la répétition de sprints en hypoxie et les moments où on met plus de braquet pour améliorer notre force et renforcer notre musculature. A la fin des deux semaines, Romain (Bardet) m’a demandé de prolonger quatre jours avec lui pour bénéficier encore plus de l’altitude.

Et c’est à ce moment-là que vous tombez ?

Je tombe l’avant-dernier jour, à près de 70 km/h dans une descente. Il n’y avait plus que notre entraîneur Jean-Baptiste Quiclet, un soigneur-masseur et Romain qui était à-côté et que j’aurais pu mettre au sol aussi.

Vous comprenez tout de suite que c’est grave ?

Je sentais bien que j’avais un traumatisme au bassin. Après, je me suis dit que ce n’était pas possible de foutre en l’air tout ce qui avait été fait. D’autant que les premiers examens à Grenade étaient rassurants. Je ne pouvais plus marcher mais la radio passée là-bas ne révélait aucune fracture. Alors je reprends un peu de moral, je me dis que ce n’est pas si grave et que ça va s’arranger. Je décide quand même de prendre rendez-vous en France et en attendant j’essaie de remonter sur le vélo cinq jours après la chute. J’ai mis cinq minutes à monter dessus, j’ai fait cinq mètres et j’ai compris que c’était mort.

Vous sentez que votre participation au Tour de France est compromise ?

A ce moment-là, je me dis qu’il y a quelque chose de cassé et que c’est foutu. C’est un gros choc. Au final, il y avait bien un trait de fracture au bassin. Le médecin me préconise entre quatre et six semaines de repos. Le paradoxe c’est que le jour où j’apprends cette nouvelle, j’ai aussi Vincent Lavenu (manager d’AG2R La Mondiale, ndlr) qui m’annonce la prolongation de mon contrat. Forcément, je n’arrive pas à m’en réjouir totalement. Je tire un trait sur le Tour et j’essaie de me projeter plus tardivement dans la saison, notamment sur le Tour d’Espagne que j’espère faire en attaquant.

Sur le Tour, on a vu votre équipe très à son avantage, comment l’avez-vous vécu ?

Sur le Tour de Lombardie, le Normand a pu retrouver des sensations et se montrer à l’avant de la course – Photo RCS Sport

Je ne m’imaginais pas passer autant de temps devant la télé. Je n’ai pas raté une étape. Je n’ai pas été amer, je savais pertinemment que la chute fait partie de la carrière d’un sportif de haut niveau. J’étais enthousiasmé par les performances de mes coéquipiers, même si parfois la frustration de ne pas en être prenait le dessus. J’ai été très touché par le fait que le staff prenne souvent des nouvelles. A la conférence de presse du départ du Tour, mes coéquipiers ont eu des mots sympas pour moi. C’était un moment dur pour moi et leur soutien m’a été précieux. Mentalement, j’étais armé pour affronter ça.

Qu’est ce qui vous a fait rater la Vuelta ensuite ?

Après cette période de convalescence, je remonte donc sur le vélo mais j’ai encore une petite douleur qui s’intensifie au fur et à mesure des entraînements. En m’étant bien reposé pendant le début de l’été, je voulais être sur la Vuelta vraiment au top. Mais au bout de neuf jours, ça ne va toujours pas. Je repasse donc une IRM qui révèle une fracture du sacrum. Deuxième coup dur, encore plus que le premier je dirais. J’avais vite fait la croix sur le Tour mais être forfait sur un autre grand tour, c’était vraiment dur. Pendant sept semaines, je n’ai fait aucun sport.

vous avez connu un été bien différent des précédents…

Oui, totalement. J’ai pu profiter de ma famille, ç’a été le gros point positif, si on peut dire, de cette chute. C’est le premier été, en tant que coureur, où j’ai pu passer autant de temps avec ma femme et mes deux enfants. Humainement, ça m’a beaucoup aidé. Je ne me suis pas apitoyé plus que ça. Je suis d’un naturel optimiste et il fallait tirer le positif de cette période.

Pas de grand tour en 2017, avez-vous hâte de retrouver ces épreuves l’année prochaine ?

« J’ai ressenti des sensations là-bas que je n’avais pas connu depuis de longs mois, voire peut-être même des années. Le coup de pédale est vite revenu. J’avais de très bonnes jambes dans la Madonna del Ghisallo sur le Tour de Lombardie. J’ai pu attaquer, j’ai pu être acteur. »

Mikaël Cherel

Depuis ma première année pro, j’avais toujours fait au moins une grande course par étapes. C’est mon dada, c’est ce qui me fait vibrer. Forcément, j’ai très envie de me retrouver sur un grand tour. Je ne sais pas encore lequel, c’est une réflexion qu’on va avoir avec l’encadrement cet hiver. Il y aura des choix stratégiques à faire. J’aime bien m’entraîner avec un objectif bien précis en tête.

Avez-vous pensé un moment à la saison quasi blanche ?

Jamais. J’ai consulté le médecin Eric Bouvat quand je suis venu rendre visite à l’équipe lors du contre-la-montre de Marseille. Il m’a donné son feu vert pour reprendre l’entraînement. J’ai repris fin juillet. J’avais pris trois kilos donc il a fallu faire tous les sacrifices nécessaires pour revenir au haut-niveau. Je me suis fixé l’objectif de revenir en pleine possession de mes moyens sur les classiques italiennes.

Justement, on vous a vu à l’attaque sur Milan-Turin (14e au final) et sur le Tour de Lombardie. Contrat rempli donc ?

J’ai ressenti des sensations là-bas que je n’avais pas connu depuis de longs mois, voire peut-être même des années. Le coup de pédale est vite revenu. J’avais de très bonnes jambes dans la Madonna del Ghisallo sur le Tour de Lombardie. J’ai pu attaquer, j’ai pu être acteur. Ce n’était pas gagné sur des courses longues comme celles-ci parce que l’endurance et la répétition des efforts, c’est ce qu’on perd en premier. Cette semaine italienne m’a fait beaucoup de bien, je prends note de certaines choses que j’essaierai d’associer pour faire une belle année 2018.

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