Troisième d’un Tour très disputé, Romain Bardet a parfois semblé être capable de renverser la domination de Chris Froome. L’Auvergnat a finalement dû céder face à l’ogre britannique et sa troupe. L’impression demeure néanmoins, le Français s’est encore approché du but ultime cette année, en confirmant sa belle deuxième place de l’été dernier. Pour effacer la petite note d’impuissance qui a entaché sa troisième semaine, le coureur et son équipe doivent progresser sur plusieurs aspects. Quelques pistes de réflexion.

Le contre-la-montre

Le contre-la-montre est le premier argument qui émerge quand vient le temps d’évoquer l’occasion manquée. L’Auvergnat a perdu deux minutes et trente-six secondes dans l’effort individuel sur Chris Froome. Soit davantage que l’écart qui sépare les deux rivaux au classement général. L’absurde calcul arithmétique indique donc que, sans les trente-six kilomètres de chrono, Romain Bardet aurait remporté le Tour. Un constat dénué de sens pratique mais qui est un véritable indicateur, si Romain Bardet veut gagner la Grande Boucle, il doit progresser dans le domaine. D’autant que cette édition 2017 était avare en contre-la-montre et qu’à l’avenir le kilométrage devrait logiquement revenir dans des proportions plus raisonnables. À Marseille, l’incroyable contre-performance du Français était expliquée par plusieurs facteurs : « Romain est un coureur qui aime bien reconnaître les chronos mais on a pas eu une grosse fenêtre pour le faire », excusait son directeur sportif Stéphane Goubert, rappelant l’épisode de la caravane publicitaire qui avait bloqué les séances matinales. D’autres ont évoqué la chaleur, la pression, la fatigue… Bardet a en fait eu un jour sans. Ce genre de journée où rien ne va est bien mal tombée pour lui. Elle a failli lui coûter un podium au combien mérité.

« Je n’aime pas m’entraîner avec le vélo de chrono. »

Romain Bardet

Mais même dans de parfaites conditions, l’Auvergnat n’aurait pas pu inquiéter un Froome en forme. C’est que le mal est plus profond, Romain Bardet n’apprécie pas l’exercice. Même lui, l’ultra perfectionniste a une faille. « Je n’aime pas m’entraîner avec le vélo de chrono », avouait-il à Marseille. « Mais je vais devoir apprendre à aimer l’entraînement avec. Maintenant, que je suis au pied du mur, ça me met un bon coup de boost, pour m’investir un petit peu plus là-dedans. Je dois faire plus d’efforts, simplement pour moi. »  Une prise de conscience tardive mais essentielle pour l’avenir. Reste que bien souvent les progrès rapides en contre-la-montre ont des effets néfastes sur les qualités de grimpeur des coureurs. Il est donc important de trouver le juste milieu, de ne pas trop pousser le curseur, faute de quoi les progrès a priori salvateurs pourraient être acquis à la Pyrrhus. Dans cette optique, l’équipe savoyarde devrait recruter un entraîneur spécialisé supplémentaire. Le nom de Sir Bradley Wiggins circule d’ailleurs avec insistance.

L’équipe

Il y a un autre domaine où Romain Bardet a été dominé par Chris Froome, mais cette fois, il n’y peut pas grand chose. L’armada de la Sky est telle que n’importe qui souffre de la comparaison. Il est même un peu injuste de jeter la pierre à l’équipe Savoyarde bien plus performante que ses homologues kazakhs d’Astana et américains de Cannondale. Stéphane Goubert rappelle aussi que son équipe fait désormais partie de l’élite : « Léquipe a eu un coureur qui fait deuxième en 2014, deuxième en 2016 et troisième cette année. On s’installe en haut du plateau du Tour. » Et depuis deux ans, AG2R La Mondiale a fait d’immenses efforts pour entourer sa star. Vincent Lavenu a fait venir Mathias Frank, Cyril Gautier ou encore Oliver Naessen. Un grimpeur déjà auréolé d’un top 10 sur le Tour, un équipier modèle et un jeune routier du nord à l’immense talent. « Ca a été un Tour merveilleux pour tout le monde, il ne s’est joué qu’à peu de chose avec plein d’engagement, plein de suspens, on était dans la bataille. On a essayé de faire basculer la course et c’est encourageant », nous expliquait Vincent Lavenu à Marseille. Il continuait : « L’équipe a bien progressé, elle a pris l’initiative. On a été seuls à essayer de mettre en difficulté la Sky. La dynamique est enclenchée. »

« Cette équipe, on va la renforcer. Il nous faut au moins un gros rouleur spécialiste des bordures et un mec très solide en montagne pour l’accompagner loin. »

Vincent Lavenu

L’enthousiasme est palpable mais le manager sait néanmoins que les tentatives avortées de retourner la situation étaient de trop faible envergure. Vincent Lavenu croit en son groupe, il a d’ailleurs fait resigner plusieurs éléments dont Romain Bardet et Pierre Latour juste avant le début du Tour. « Nous avons une stratégie sur le long terme, avec une perspective lointaine. On sait dans quelle direction on veut aller », mais il sait que l’effectif doit être amélioré. « Cette équipe, on va la renforcer. Il nous faut au moins un gros rouleur spécialiste des bordures pour aider Romain dans les moments difficiles car c’est très chaud parfois. On a aussi besoin d’un mec très solide en montagne pour l’accompagner loin. Dans l’équipe nous avons Pierre Latour qui progresse à vitesse grand V. Il a certes été sous antibiotiques dans les Alpes, mais l’année prochaine il sera au niveau des meilleurs. Il peut aussi embrasser ce rôle. » Un rouleur, un grimpeur, le retour de Mickaël Cherel, la progression de Pierre Latour… Les perspectives sont belles. À une condition, que le leader Romain Bardet soit à la hauteur.

Les gains marginaux

Stéphane Goubert ne tarit pas d’éloges sur son poulain. Lui qui a connu des leaders tels que Richard Virenque ou Christophe Moreau pendant sa carrière n’a peut-être jamais vu un spécimen comme Romain Bardet. « C’est lui qui nous tire vers le haut, c’est un professionnel à 200%, il ne néglige rien, il nous fait grandir. On progresse avec lui, on le guide parfois mais il nous guide aussi. C’est un échange. » Devenu un véritable meneur tout en confirmant cette année les promesses de l’an passé, Romain Bardet s’est également transformé en un redoutable et redouté prétendant à la victoire sur le Tour. « Il a progressé, c’est indéniable. Même s’il perd une place il a été avec Froome dans la montagne en permanence. Il a attaqué plusieurs fois. » Outre le contre-la-montre, la question est de savoir si le Français a encore une marge de progression dans d’autres domaines.

«  On ne néglige pas les aspects diététiques et matériels. On fait beaucoup d’études car il faut être novateur pour obtenir ces gains marginaux dont le Team Sky profite. »

Vincent Lavenu

Sauvé par Oliver Naesen sur le seul coup de bordure du Tour vers Romans sur-Isère, pas toujours tranchant dans ses accélérations, Romain Bardet a encore quelques domaines à renforcer. Mais il faudra aussi que l’encadrement suive, à l’heure où le cyclisme se rapproche plus que jamais de la Fromule 1, et où l’innovation est devenue un enjeu névralgique. Vincent Lavenu le sait, et ce travail a déjà commencé : « On ne néglige pas les aspects diététiques et matériels. On fait beaucoup d’études car il faut être novateur pour obtenir ces gains marginaux dont le Team Sky profite. » La course à l’armement est lancée et l’équipe française est loin d’être la plus en retard.

L’ambition

L’ambition est certainement le point clé pour gagner. Romain Bardet est monté sur le podium en 2016, il a confirmé son nouveau statut en 2017, il s’agit désormais de gravir la plus haute des marches. « A son âge, ce n’est jamais évident de confirmer une deuxième place sur le Tour, il avait une énorme pression », commence Stéphane Goubert, « mais il a été grandiose car il a attaqué, il ne s’est pas contenté de jouer le podium, il a voulu aller chercher cette victoire. C’est cette mentalité qui est à retenir. » Aux antipodes d’un Rigoberto Uran sur la défensive, Romain Bardet a essayé, s’est livré. C’est un excellent point qui prouve qu’il pense vraiment pouvoir dominer ses rivaux. Le bémol réside dans l’attitude dégagée autour de lui. Chez AG2R on se satisfait clairement de la troisième place et le projet ne se borne pas à la conquête du trône : « On va essayer de reprendre la deuxième place et de grappiller des secondes pour aller titiller la première », projetait Stephane Goubert. Vincent Lavenu explique un peu cette tempérance : « Il manque à Romain une victoire de prestige dans une grande course. Il a terminé deuxième du Dauphiné, du Tour, il n’est pas loin du compte mais il lui en manque une. »

« On va essayer de reprendre la deuxième place et de grappiller des secondes pour aller titiller la première »

Stéphane Goubert

Le manager est néanmoins très optimiste : « Je peux vous dire qu’il en gagnera et ça peut être le déclic. Gagner ça ne s’inscrit pas seulement dans le palmarès, ça reste aussi dans la tête. » La victoire appelle la victoire. Romain Bardet a besoin de ce succès qui le ferait entrer dans la dimension des patrons incontournables du peloton. « Son tempérament est extraordinaire, on croit en l’avenir, en son avenir. Tous les ans il passe un palier », nous promet Vincent Lavenu. C’est certainement le cap le plus dur à franchir mais qui le rapprochera définitivement du maillot jaune. L’année prochaine, plus que jamais, il sera attendu au tournant, pour devenir le successeur tant attendu de Bernard Hinault. Lui refuse qu’on lui rebatte les oreilles avec de vieilles épopées nationales qu’il n’a pas l’âge d’avoir connues, mais la pression sur ses épaules est de plus en plus forte. Romain Bardet commence à être accoutumé à cette effervescence : « Chaque année, j’essaye de m’habituer à la pression, et la plupart du temps, elle me porte. C’est toujours un apprentissage, ce n’est jamais gagné. » Apprendre, chaque jour, chaque année, pour atteindre les sommets. Bradley Wiggins avait prédit en 2014 que Romain Bardet remporterait le Tour en 2020, il reste trois ans au Français. Il en est déjà si proche…

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