L’année dernière, une chute sur le Tour du Pays-Basque l’avait empêché de disputer ses classiques préférées. Cette année, il y a remporté les deux premières étapes. La roue semble donc avoir tourné pour Julian Alaphilippe. Deux ans après son dernier affrontement avec Alejandro Valverde, le puncheur français revient le couteau entre les dents. Le podium, il y a déjà goûté, deux fois sur la Flèche Wallonne, une fois sur Liège-Bastogne-Liège, alors cette semaine l’objectif est clair : gagner. Pour la Chronique du Vélo, à quelques jours de l’Amstel Gold Race, où il a terminé septième ce dimanche, il a accepté de se confier. Entretien.

Il y a trois ans, le grand public vous découvrait avec ces deux 2e places sur la Flèche Wallonne et Liège-Bastogne-Liège. Quels souvenirs vous gardez de ces moments ?

C’était ma première participation donc forcément, j’étais super content d’être au départ de ces courses qui, sur le papier, me correspondaient bien. J’avais un rôle de coéquipier sans pression, juste pour découvrir. J’étais là pour Michal Kwiatkowski qui était notre leader. Bien sûr, j’étais motivé à bloc, sans stress, pressé de découvrir tout ça et finalement, je finis sur le podium de ces deux courses.

Vous avez 25 ans, vous évoluez dans une des meilleures formations du monde, êtes-vous toujours en apprentissage ?

Oui, bien sûr. C’est un métier tellement difficile qu’on apprend énormément tout le temps. J’essaie de tirer toujours quelque chose de mes expériences, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Après vu mon âge et vu ce que j’ai démontré, je suis dans la continuité de ma progression et j’en suis très content. Je pense que je travaille dans le bon sens. Par rapport à 2015, j’ai un statut différent, je suis leader. J’ai fait des résultats, je les ai confirmés donc il faut continuer dans cette voie.

Sur le contre-la-montre de Saint-Etienne, lors de Paris-Nice, Alaphilippe avait terminé 3e – Photo ASO

Existe-t-il une différence entre le Julian Alaphilippe sur un vélo et celui dans la vie de tous les jours ?

Je ne pense pas. Dans la vie, je pense être quelqu’un de simple, quelqu’un qui aime profiter. Je déborde d’énergie donc j’essaie de la canaliser avec le vélo, de faire les choses bien. Mais je n’ai pas l’impression d’être différent de la personne que je suis sur le vélo.

Craigniez-vous le fait d’être exposé, de prendre la grosse tête ?

La question ne se pose même parce que je n’ai jamais cherché à être quelqu’un d’autre. J’essaie de prendre tout de manière naturelle et comme ça vient. C’est sûr qu’il y a des choses auxquelles je dois faire attention par rapport aux médias et à toutes les sollicitations. Les regards sont souvent posés sur nous et tout ce qu’on peut faire peut être interprété d’une manière un peu différente. J’essaie de faire un peu attention. Mais, dans ma manière de vivre et de faire les choses, je ne joue pas de rôle.

Faire du vélo votre métier vous a-t-il rendu moins passionné ?

C’est tellement difficile qu’il faut encore l’avoir, la passion. Il faut vraiment aimer ce que l’on fait. Je n’ai pas envie de faire du vélo juste parce que c’est mon métier. Il faut aimer se faire mal, il faut aimer s’entraîner, avoir envie de gagner. C’est un métier qui demande beaucoup de sacrifices, parce que j’y consacre toute ma vie depuis que je suis passé pro. Tu peux penser à autre chose mais tu ne peux pas faire tout et n’importe quoi. C’est indispensable d’être toujours à 100 % dedans.

Est-ce qu’il vous arrive de penser à ce que vous avez pu rater dans votre vie personnelle à cause du vélo ?

Pas spécialement. Je suis conscient que c’est un choix de vie, une carrière. Je suis en plein dedans. Forcément, la vie de famille n’est pas celle de tout le monde, on est souvent partis. Entre les stages, les courses, les moments où on doit s’économiser le plus possible, c’est un mode de vie spécial. Mais je ne me dis pas que je loupe des choses parce que j’en vis des belles aussi à côté. Ça donne encore plus de valeur aux moments qu’on passe avec nos proches ou nos amis. Ce sont des moments rares donc je les apprécie encore davantage.

« Je sais que la pression est là mais j’essaie de m’en détacher. Je sais ce que j’ai à faire, je suis prêt. J’ai souvent des responsabilités, c’est un rôle que j’aime et dont j’ai besoin. »

Julian Alaphilippe

Vous sortez d’un Tour du Pays Basque qu’on pourrait qualifier de contrasté avec ces deux victoires inaugurales et une fin de course plus difficile, c’est votre constat également ?

Non, pas vraiment. J’y suis allé sans aucune ambition au classement général. J’ai confirmé ma bonne forme, j’ai bien assimilé tout le travail réalisé en amont des classiques. J’ai quand même gagné deux fois d’affilée, c’est la première fois que ça m’arrive en World Tour. J’ai fait aussi un très bon chrono qui, à la base, n’était pas du tout pour moi donc je suis très content. Sur la fin, c’était un peu plus difficile mais ce n’est pas du tout une déception.

C’est une des courses les plus dures du calendrier, qu’est-ce que vous avez travaillé là-bas ?

C’est une course très difficile par son profil mais, surtout, par son intensité. Il y a des pentes très raides avec de forts pourcentages. Quand la course se fait, il ne reste plus beaucoup de coureurs. C’est une épreuve importante avant les classiques, elle m’a fait beaucoup de bien. J’ai pu me tester, prendre des automatismes de placement. Mon plan n’était pas du tout de jouer le général. C’est vrai qu’en ayant gagné les deux premières étapes, j’aurais pu avoir l’idée d’en changer mais je n’étais pas capable de conserver le maillot jaune jusqu’au bout.

L’année dernière, vous n’étiez pas sur les ardennaises à cause d’une blessure au genou, est-ce qu’il y a un petit esprit de revanche ?

Peut-être pas une revanche parce que, tout bêtement, je n’avais pas d’autre choix que de déclarer forfait. Je ne viens pas pour prendre une revanche, je veux me faire plaisir et claquer le meilleur résultat possible sur ces courses qui me plaisent beaucoup. Je suis très content de prendre le départ, j’ai tout fait pour être à 100 %. J’ai hâte d’y être.

« Valverde, c’est le favori n°1 (pour la Flèche). Maintenant, ça ne veut pas dire que je vais calquer ma course sur lui. Être bon dans ce mur, c’est une question de timing, de fraîcheur. Tout le monde est déjà à bloc au pied. »

Julian Alaphilippe

La Flèche Wallonne se résume presque toujours à une course de côte dans le mur de Huy. Quels ingrédients faut-il réunir pour être parmi les meilleurs ?

J’ai entendu dire qu’il y avait un petit changement de parcours mais je ne sais pas si ça va avoir un gros impact sur la course. Même s’il y a cette nouveauté, la Flèche se joue toujours sur la dernière montée. Dans le mur de Huy, il faut arriver très bien placé, être le plus frais possible et produire son effort au bon moment.

Est-ce que le départ de Dan Martin, qui avait des ambitions sur ces courses, peut vous libérer ?

Non, je ne pense pas. J’étais déjà protégé avant, je le serai encore cette semaine. On a le luxe d’avoir plusieurs cartes à jouer. Sur la Flèche Wallonne, je sais que c’est moi qui suis prévu pour faire l’arrivée. Je sais que la pression est là mais j’essaie de m’en détacher. Je sais ce que j’ai à faire, je suis prêt. J’ai souvent des responsabilités, c’est un rôle que j’aime et dont j’ai besoin. Ce sera à moi d’aller chercher le meilleur résultat possible.

Encore une fois, Alejandro Valverde sera le grand favori. Il connaît par cœur le mur de Huy. Est-ce que vous avez étudié ses démarrages ?

C’est sûr qu’il sera là, pour moi c’est le favori n°1. Je sais que j’ai progressé mais il a prouvé depuis le début de saison qu’il pouvait gagner presque toutes les courses auxquelles il participe. Maintenant, ça ne veut pas dire que je vais calquer ma course sur lui. Être bon dans ce mur, c’est une question de timing, de fraîcheur. Tout le monde est déjà à bloc au pied. Il y a plusieurs échelons au niveau de l’effort. Si j’arrive dans de bonnes conditions, il y aura de bonnes chances que je sois avec les meilleurs donc avec Valverde.

Alaphilippe revient sur la Flèche Wallonne, deux ans après son dernier podium, derrière Valverde – Photo ASO

Il y a une course que vous n’avez jamais faite et qui pourrait vous convenir avec ses monts et ses pourcentages, c’est le Tour des Flandres. Est-ce que ça peut vous intéresser un jour ?

C’est clairement dans un coin de ma tête. J’en ai déjà parlé avec l’équipe. Normalement, je devrais la découvrir bientôt. Je ne sais pas si sera dès l’année prochaine ou plus tard mais c’est un souhait. Si je réussis une bonne campagne ardennaise, je peux essayer de me fixer d’autres objectifs pour l’année prochaine. Le changement fait du bien, ça casse un peu la routine. Je pense que mon programme en 2019 pourrait bien évoluer. C’est une course qui me fait vraiment envie.

Un petit mot sur les Mondiaux. Vous faites partie de la pré-liste communiquée par Cyrille Guimard la semaine dernière. Est-ce déjà dans un coin de votre tête ?

Oui, dans le sens où maintenant je sais que je fais partie des potentiels sélectionnables, donc j’ai une chance d’y aller. Mais là, je suis vraiment concentré sur les classiques, je ne pense pas du tout encore aux championnats du monde. Je vais prendre objectif par objectif. Après cette semaine, je vais penser à la préparation pour le Tour de France. Une fois après, il sera temps d’y penser vraiment. Au vu du parcours, il y a vraiment quelque chose à faire en construisant une équipe de grimpeurs et d’attaquants. Une chose est sûre, c’est que pour l’instant, il n’est pas prévu que je fasse la Vuelta pour les préparer.

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