Pour beaucoup, c’était le meilleur. Longtemps, Alexandre Pasteur a fait le bonheur de ces puristes, attachés au traitement du cyclisme sur Eurosport. Après 22 ans sur le câble, il a débarqué sur le service public pour devenir la voix du vélo sur France Télévisions. Presqu’un an après son arrivée, celui qui a remplacé Thierry Adam au commentaire a accepté, pour la Chronique du Vélo, de dresser avec franchise un premier bilan de son aventure, à quelques semaines d’accueillir un petit nouveau sur la moto, Thomas Voeckler.

Vingt ans à Eurosport, changer de rédaction après tout ce temps, c’est un défi. Avec quel état d’esprit êtes-vous arrivé à France Télévisions ?

Sur la pointe des pieds. Parce qu’on est venu me chercher mais en même temps, tout le monde n’était pas forcément heureux que j’arrive. Certaines personnes n’ont pas compris pourquoi une personne extérieure arrivait, surtout pour commenter une discipline aussi sensible que le cyclisme. J’ai essayé d’imposer ma personnalité, sans faire de bruit. De toute façon, je ne suis pas une grande gueule, ni un leader d’opinion. Je suis arrivé avec mes 22 ans à Eurosport, mon vécu. Je devais prouver rapidement des choses mais j’étais conscient aussi qu’on était venu me chercher donc que j’avais les qualités pour ce poste. Ça n’a pas été simple au début mais je me suis fait ma petite place. Les gens ont vu que je n’étais pas le diable, que je bossais. Le Tour de France m’a fait beaucoup de bien. Passer trois semaines en immersion avec les équipes techniques, la production, les journalistes, ils ont pu voir qui j’étais et que c’était possible de bien bosser et de se marrer aussi. J’ai le sentiment maintenant d’être bien intégré.

Sur quels points votre expérience à Eurosport vous a-t-elle aidé ?

Là-bas, je ne faisais que du commentaire. Entre 400 et 450 heures de direct dans l’année, ce qui est énorme. J’avais l’habitude de faire des gros volumes donc ça m’a aidé, notamment sur le Tour où pour la première fois, toutes les étapes étaient diffusées en intégralité. Quotidiennement, on se retrouvait avec des temps d’antenne de cinq, six, parfois sept heures. Il faut tenir l’antenne et l’avoir fait à Eurosport m’a beaucoup servi.

Quelle est la recette pour tenir trois semaines à ce rythme ?

« Gérer l’ego de Thomas Voeckler, ça me va très bien. Je veux des gens qui ont de la personnalité. Sinon, il ne se passe rien. (…) Dans le peloton, il n’a pas que des amis mais c’est très bien. On a besoin d’avis tranchés sur les gens, on n’a pas besoin d’un robinet d’eau tiède sur la moto. »

Alexandre Pasteur

Très simplement, il ne faut pas faire le con la veille (rires). Sur le Tour, les tentations sont parfois nombreuses. Cet emploi du temps nécessite de débrancher un peu le soir, mais pas trop. Donc pas de folie, il faut bien dormir. J’avais aussi la chance d’être bien épaulé avec Marion (Rousse), Franck (Ferrand), Laurent (Jalabert) et les deux motos. Ces différentes sources permettaient aussi de respirer et de faire tourner l’antenne. Mon rôle c’est d’être un peu le chef d’orchestre donc il faut bien être en forme. Physiquement, c’était un vrai défi. Sachant que ça a été un succès d’audience, la diffusion intégrale va être reconduite, même si je ne suis pas sûr que pour les téléspectateurs ce soit toujours très intéressant.

À France Télévisions, vous faites maintenant beaucoup de reportages, souvent longs, à côté des commentaires. C’est aussi un sacré changement…

Je commente beaucoup moins par rapport à Eurosport. Je me ressource, ça me fait du bien de moins en faire. Je fais davantage de sujets, c’est beaucoup plus varié. C’est un équilibre qui me convient très bien. Je retrouve une identité de terrain qui me manquait. Là, par exemple, je sors d’un grand format sur le skieur français Alexis Pinturault, je suis allé le voir quatre fois sur une période de trois mois. À Eurosport, en 22 ans, j’ai dû sortir cinq ou six fois avec un cameraman. Là, en huit mois, je l’ai fait trois fois plus. Je ne peux pas dire que je suis ultra performant sur ces sujets. Raconter des histoires, c’est quand même la base de notre travail. Aujourd’hui, je me sens un peu plus journaliste. J’ai encore beaucoup à apprendre mais ça me plait beaucoup, c’est valorisant. Bref, je m’éclate.

Si vous deviez retenir un seul moment de la saison passée ?

Bergen, sans hésiter. C’est Julian Alaphilippe qui n’arrive pas en tête dans la dernière ligne droite. On perd l’image à cinq kilomètres de l’arrivée alors qu’il vient de lâcher Gianni Moscon. Gros moment de solitude. Pendant cinq minutes, on n’a plus rien, ça m’a semblé une éternité. C’est très dur à gérer parce que je n’ai pas d’infos. Je dois avouer que j’ai un peu survendu le truc en prenant le parti qu’Alaphilippe allait sûrement gagner. Je me suis planté. Tous les gens devant la télé rêvaient de la même chose que nous et que lui. Avec son panache, son courage, quelque part ça aurait été “moral” qu’il gagne ce mondial. Ce plan fixe sur la flamme rouge, c’était insupportable. C’était un gros moment de suspense et un grand moment de télévision.

Aux commentaires des étapes du Tour, l’été dernier, Alexandre Pasteur était accompagné de Laurent Jalabert et Marion Rousse – Photo France Télévisions

Vous accueillez un petit nouveau bientôt, qu’est ce que vous inspire l’arrivée de Thomas Voeckler ?

Déjà, je regrette beaucoup l’arrêt de Cédric Vasseur. Je trouvais qu’il était idéal pour ce poste, sa voix portait, voire même nous réveillait parfois. Chaque fois que je lui passais la main, il se passait quelque chose. C’était quelqu’un sur qui on pouvait s’appuyer à n’importe quel moment. C’était hyper agréable de dialoguer avec lui. Je regrette son départ. Maintenant, Thomas c’était évidemment la personne à prendre pour la suite. C’est quelqu’un qui est très populaire. À mon avis, il est fait pour ce poste, surtout qu’il vient d’arrêter. Ça lui donnera encore l’impression d’être dans la course. Je sais que pour un sportif de haut niveau, arrêter, c’est une petite mort. Je pense qu’être sur la moto lui permettra de digérer son arrêt et de rester un peu au cœur de son sport. Je suis sûr qu’il fera ça bien.

C’est également un gros caractère, un gros ego pas toujours apprécié de tout le peloton, comment appréhender tout ça quand on fait de la télé en direct ?

Gérer l’ego de Thomas Voeckler, ça me va très bien. Je veux des gens qui ont de la personnalité. Sinon, il ne se passe rien. J’ai déjà eu à le faire à Eurosport, même si c’était dans la bonne humeur et la rigolade. Dans le peloton, il n’a pas que des amis mais c’est très bien. On a besoin d’avis tranchés sur les gens, on n’a pas besoin d’un robinet d’eau tiède sur la moto. Il faut quelqu’un qui soit clair, qui prenne position parfois. Et lui est légitime parce qu’il a été au cœur du peloton pendant 20 ans. J’ai travaillé avec beaucoup de consultants à Eurosport donc j’en ai vu défiler. Il faut savoir les écouter, faire émerger des débats et avec Thomas, je pense qu’on ne prend pas beaucoup de risques.

Sur quelles courses sera t-il présent ?

Il fera le week-end final de Paris-Nice, Paris-Roubaix, le week-end final du Dauphiné et le Tour de France. C’est le contrat qu’il a signé avec France Télévisions. Il aura exactement le même programme que Cédric Vasseur.

Est-ce qu’il y a un consultant idéal ?

Je ne sais pas s’il existe un idéal mais j’aime bien lorsqu’on peut compter sur lui n’importe quand. Le cyclisme est sûrement le sport le plus bavard au niveau du commentaire. Comparé à un match de tennis ou à du patinage artisitique, le temps de parole est beaucoup plus important. D’où la nécessité déjà d’avoir un consultant en permanence avec soi. S’en passer, c’est impossible. J’ai beaucoup aimé travaillé avec Jacky Durand. Il a les connaissances, la décontraction, le vocabulaire. Quand il ne se passe pas grand chose, il faut savoir amener des débats, faire des digressions, amener de l’humour… Avec Laurent Jalabert, je retrouve tout ça, l’humour en moins. C’est une analyse qui est beaucoup plus corsetée, un peu moins “fun” mais la pertinence est toujours au rendez-vous. S’il voit que je commence un peu à piquer du nez, je sais qu’il sera là pour reprendre la main. Et ça, c’est vraiment appréciable. Donc idéalement, il faudrait un mix Durand-Jalabert.

Pour cette saison, qu’est ce qui va attiser votre curiosité ?

« Si j’ai à commenter des courses de Froome, il y aura un malaise et même si on fera tout pour que ça ne se ressente pas, il y aura les gens au bord des routes. Il y aura des choses qu’on ne pourra pas passer sous silence. »

Alexandre Pasteur

J’aimerais bien qu’on mette un peu plus l’accent sur les classiques flandriennes. Pour le grand public, le Tour des Flandres est encore une course trop méconnue à mon goût alors que c’est une course géniale. Ce sera la première fois que je vais le commenter en plus, j’attends ça avec beaucoup d’impatience. Paris-Roubaix et les Flandres, ce sont les deux courses les plus modernes du calendrier. C’est paradoxal par rapport à leur date de création d’ailleurs. Mais il s’y passe toujours quelque chose. C’est ça le cyclisme. Il y a du mouvement, des rebondissements, des chutes, des retournements de situation… Le Tour de France est une belle épreuve mais elle est beaucoup plus classique dans son déroulement. Même si ASO s’efforce chaque année de trouver des nouveautés, au final, la course en elle-même est toujours un peu la même. Les Mondiaux à Innsbruck seront aussi un gros rendez-vous. C’est un parcours atypique, pour les grimpeurs. Ils ont une chance toutes les 15 ans d’être champion du monde donc forcément ça va attirer du monde. Avec 5000 mètres de dénivelé, je ne crois pas trop à Sagan. Il faudrait qu’il maigrisse.

Il y aura un feuilleton qui risque de traîner en longueur, c’est le cas Christopher Froome. Comment allez-vous le gérer ?

Très concrètement, j’attends d’en parler en rédaction avec les journalistes et les chefs. Je vais aussi me renseigner auprès de mes collègues qui ont dû gérer ce genre de nouvelles et les Tours un peu sombres. Personnellement, je suis assez légaliste. Une procédure est en cours, tant qu’il est autorisé à courir, il sera là. Je n’aimerais pas qu’il prenne le départ du Tour sans que son cas ne soit tranché. Ce serait vraiment très dérangeant et je crois que c’est la grande peur de Christian Prudhomme aussi. Christopher Froome au départ avec cette procédure, déjà pour lui ce sera un enfer. Il s’est déjà pris des bols d’urine sur la tête alors que rien n’était encore engagé contre lui. S’il est là et que la procédure n’est pas terminée, ça va être terrible. Je me demande déjà comment il a pu vivre avec ça pendant deux mois, se présenter aux Mondiaux de Bergen et à la présentation du Tour en sachant pertinemment qu’il avait cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Si j’ai à commenter des courses de Froome, il y aura un malaise et même si on fera tout pour que ça ne se ressente pas, il y aura les gens au bord des routes. Il y aura des choses qu’on ne pourra pas passer sous silence. On ne va pas prendre les gens pour des cons.

Tom Dumoulin au Giro, Christopher Froome qui double (pour le moment) Giro-Tour, est-ce que ce n’est pas l’année ou jamais pour Romain Bardet ?

L’expression “l’année ou jamais” me paraît un peu exagéré. Il n’a que 27 ans, ses meilleures années sont à venir. J’avais tendance à penser que tant que Froome était dans le peloton, ce serait difficile pour lui de gagner le Tour. Cette année, oui, les conditions sont différentes. S’il est au départ du Tour, on ne sait pas dans quel état psychologique et physique sera Froome. Bien sûr que Bardet aura une grosse carte à jouer. Après, comme cette année, il y a un contre-la-montre la veille de l’arrivée, un contre-la-montre par équipes où il devrait perdre un peu de temps malgré le très bon recrutement de cet hiver, des étapes piégeuses, des pavés.. C’est difficile de prévoir où il sera après ne serait-ce qu’après une semaine de course. Sur le papier, les deux semaines suivantes lui conviennent.

Un pronostic pour cette saison ?

Bon, s’il faut se mouiller… Je vois bien Julian Alaphilippe remporter Milan-Sanremo ou Liège-Bastogne-Liège. J’aimerais bien que Sagan gagne à Roubaix car, malgré tout, son palmarès ne compte qu’un seul monument et ce n’est pas cohérent avec son talent. C’est une course qui lui va très bien. Et puis pour le Tour, je vais prendre un petit risque avec Nibali. Peut-être qu’il a perdu un peu de ses qualités de montagnard, mais c’est quelqu’un qui peut mettre pas mal de bazar sur beaucoup d’étapes. Tactiquement, c’est toujours très fort. Je pense qu’il s’est mis en tête de regagner le Tour de France donc attention.

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