Et si, cette saison, les trois grands tours se réunissaient pour ne former qu’une seule et même course de trois semaines à travers l’Europe ? Si l’idée semble utopique, voire même loufoque, elle a pourtant été soulevée par les cyclistes eux-mêmes. Récent vainqueur d’étape sur Paris-Nice, c’est Ivan Garcia Cortina qui, au sortir de la course au soleil, était le premier à mettre la proposition sur la table. Quelques jours plus tard, c’est l’ancien champion d’Europe en personne, Matteo Trentin, qui s’emparait du sujet. Le coureur de l’équipe CCC s’amusait même à imaginer son format : 21 étapes, comme un grand tour, divisées à égalité entre l’Italie, la France et l’Espagne.
Deux éditions dans les années 50
Pour trouver trace d’une pareille originalité, il faut ouvrir la boite à archives : à deux reprises, un peloton s’est aventuré à traverser les frontières européennes à bicyclette. C’était en 1954 et 1956. La dernière édition s’élançait de Zagreb, en Yougoslavie à l’époque, pour rallier Namur en Belgique, tout en faisant escale à Udine, Innsbruck, Stuttgart ou encore Nancy. Longue de 1 740 kilomètres, la course se divisait en dix étapes et prenait place au mois d’août. Roger Rivière s’imposa cette année-là, lui qui termina quatrième du Tour en 1959 pour sa première participation et dont la carrière se brisa subitement l’année suivante, après une terrible chute dans la descente du col de Perjuret, alors qu’il pointait à la deuxième place du classement général.
En 2020, l’histoire est diamétralement différente : il s’agit de sauver les meubles d’une saison qui s’annonce tronquée, voire quasi-vierge. Terre des plus grandes compétitions cyclistes, l’Europe traverse une profonde crise sanitaire, ses peuples sont confinés et ses hôpitaux débordés. A l’heure où ces lignes sont écrites, le sport est sans importance. Toutefois, quand nos vies reprendront leur rythme habituel, il s’agira alors de faire vivre le cyclisme pour quelques semaines ou quelques mois, avant que l’hiver ne vienne reprendre ses droits. Si, dans les faits, l’organisation d’un Tour d’Europe parait impossible, des avantages certains se dégagent : le calendrier serait de facto allégé de 42 jours de course et ce serait l’occasion de réunir, sans exceptions, les meilleurs coureurs cyclistes actuels sur les plus belles routes italiennes, françaises et espagnoles. Bref, un beau programme.
Notre parcours
Peu importe ce qu’il adviendra, la Chronique du Vélo s’est au prise au jeu. Nous avons étudié avec attention les parcours annoncés des trois grands tours de la saison pour imaginer ce qui pourrait devenir la troisième édition du Tour d’Europe, 64 ans après la victoire de Roger Rivière.
Les règles sont relativement simples :
– comme un grand tour, la course se compose de 21 étapes
– chaque pays accueille sept étapes, soit un tiers chacun
– deux jours de repos sont au programme, au moment de passer d’un pays à un autre
– toutes les étapes qui constituent la course sont issues des parcours des courses de la saison 2020
– le Giro et la Vuelta étant respectivement les premier et dernier Grands Tours de la saison cycliste, le départ est donné depuis l’Italie alors que l’Espagne accueille la dernière étape
Surtout, le parcours se veut réaliste. Pour ce faire, nous avons tâché de maintenir un équilibre entre les différents profils d’étapes possibles pour que tous les coureurs, quelles que soient leurs qualités, puissent briller. Nous avons également veillé à conserver une distance raisonnable entre la ville d’arrivée de l’étape du jour et la ville de départ de celle prenant place le lendemain.
Etape 1 (CLM Individuel) : Cernusco sul Naviglio – Milano / 16,5km
C’est par un contre-la-montre dans les rues en faux plat descendant de Milan qu’est donné le grand départ de ce Tour d’Europe. Un terrain de jeu propice aux spécialistes de l’effort en solitaire.
Etape 2 (Accidentée) : Cesenatico – Cesenatico / 205 km
Cap au sud pour cette deuxième étape dessinée en hommage au pirate Marco Pantani, qui passa son enfance dans cette station balnéaire de la côte adriatique. Cette journée vallonnée verra les coureurs gravir neuf ascensions, dont cinq sont répertoriées pour le classement de la montagne.
Etape 3 (Accidentée) : Cervia – Monselice / 190 km
Après une journée passée en plaine, le peloton se frottera à son arrivée en Vénétie à deux bosses courtes mais pentues. Le Muro di Calaone, dont le sommet sera franchi à moins de vingt kilomètres de la ligne d’arrivée, présente des pourcentages de près de 18 % à certains endroits.
Etape 4 (Montagne) : Bassano del Grappa – Madonna di Campiglio / 202 km
La première étape de montagne de ce Tour d’Europe : 5 000 mètres de dénivelé positif, quatre ascensions et une arrivée à la Madonna di Campiglio où Mikel Landa s’était imposé en 2015.
Etape 5 (Montagne) : Pinzolo – Laghi di Cancano / 209 km
Nouvelle étape de montagne, sans doute plus dure encore que la veille : au programme 5 400 mètres de dénivelé et un passage à plus de 2 000 mètres au sommet du mythique Stelvio. L’arrivée est prévue aux lacs de Cancano dont les 3,5 derniers kilomètres sont rythmés par 17 lacets.
Etape 6 (Plaine) : Morbegno – Asti / 251 km
C’est la plus longue étape de ce Tour d’Europe et certainement la meilleure chance de briller pour les sprinteurs depuis le départ donné de Milan. Les premiers kilomètres seront l’occasion de profiter de paysages exceptionnels puisqu’ils suivront la rive ouest du lac de Côme.
Etape 7 (Montagne) : Alba – Sestriere / 200 km
5 000 mètres de dénivelé pour la troisième fois en quatre jours, un passage d’environ 70 kilomètres en France et, surtout, un clin d’œil appuyé à l’étape mythique du Tour d’Italie 1949 entre Cuneo et Pinerolo. A l’époque, Fausto Coppi y devança de plus de onze minutes son rival de l’époque Gino Bartali au terme d’une échappée solitaire de 192 kilomètres.
Après sept jours de course en Italie, les coureurs profiteront d’un premier jour de repos avant de rallier la France où ils entameront la deuxième semaine de compétition. Particulièrement montagneuse, cette semaine italienne aura à coup sûr fait le ménage parmi les forces en présence. Les difficultés répétées ainsi que la longueur des étapes devraient également marquer les organismes.
Etape 8 (Plaine) : Nice Moyen Pays – Nice / 156 km
Initialement choisi pour accueillir le grand départ du Tour de France, Nice sera à l’honneur au cours d’une étape relativement plate qui verra les coureurs arriver sur la Promenade des Anglais.
Etape 9 (Plaine) : Nice – Sisteron / 198 km
Avant un nouveau probable sprint dans les rues de Sisteron, le peloton empruntera entre autres la Route Napoléon (N85) comme le fit l’Empereur français à son retour de l’île d’Elbe.
Etape 10 (Accidentée) : Sisteron – Orcières Merlette / 157 km
Lors des deux premières ascensions d’Orcières Merlette, en 1971 et 1972, Luis Ocaña et Lucien Van Impe s’y sont imposés. La montée finale sera à n’en pas douter explosive.
Etape 11 (Montagne) : Grenoble – Méribel Col de la Loze / 168 km
Goudronnée à l’été 2019, la route du col de la Loze a été empruntée pour la première fois en compétition sur le Tour de l’Avenir en août dernier. Le vainqueur du jour, le Norvégien Tobias Foss, s’était à l’époque livré à DirectVélo : « Cette nouvelle montée finale est la plus dure des Alpes ! En tout cas, c’est la plus dure de celles que j’ai eu à grimper. » Les six derniers kilomètres de l’ascension, une succession de plats et de murs dont certains passages frôlent les 20 %, favoriseront les profils explosifs.
Etape 12 (Montagne) : La Tour du Pin – Villard de Lans / 164 km
Etape 100% iséroise qui, d’après Christian Prudhomme, présente « toutes les caractéristiques de l’étape-piège ». Après une journée passée à franchir les cols, il faudra en garder sous la pédale pour affronter la montée finale vers Villard de Lans (2,2 km à 6,9 %).
Etape 13 (Accidentée) : Le Teil – Mont Aigoual / 191 km
Nouvelle arrivée au sommet sur les routes françaises, la quatrième en quatre jours. Si le col de la Luzette parait redoutable, les faibles pentes offertes par le Mont Aigoual ne devraient pas chambouler le classement général.
Etape 14 (Plaine) : Millau – Lavaur / 168 km
Une étape qui semble promise aux sprinteurs, à moins que le vent ou les trois côtes de troisième et quatrième catégories présentes dans les cent premiers kilomètres ne viennent bousculer leurs plans.
A la suite de ce septième jour de course en France, le peloton profitera d’une seconde journée de repos. Au général, les quatre nouvelles arrivées au sommet auront normalement permis d’y voir plus clair. Quant aux sprinteurs, plusieurs étapes relativement plates auront commencé à assouvir leur soif de victoire.
Etape 15 (Accidentée) : Pamplona – Lekunberri / 151 km
Un col de première catégorie suivi d’une descende rapide : un scénario inédit sur les routes de ce Tour d’Europe que l’on retrouvera d’ailleurs dès le lendemain. En 2014, l’ascension de l’Alto de San Miguel de Aralar avait sacrée Fabio Aru. L’Italien y avait devancé Alejandro Valverde de six petites secondes.
Etape 16 (Accidentée) : Vitoria Gasteiz – Villanueva de Valdegovia / 160 km
Le Puerto de Orduna est un classique du Tour d’Espagne. Escaladé à treize reprises, c’est notamment dans ce col que Felice Gimondi a construit son succès final en 1968.
Etape 17 (Plaine) : B.M. Cid Campeador. Castrillo del Val – Aguilar de Campoo / 164 km
Une véritable étape de transition avant de rejoindre la côte Cantabrique et les Asturies. 164 kilomètres totalement plats pour un final qui devrait convenir aux plus grosses cuisses du peloton.
Etape 18 (Plaine) : Castro Urdiales – Suances / 187 km
Un parcours en bord de mer, donc exposé au vent. Les équipes de sprinteurs auront du mal à contrôler la course dans le final puisqu’une bosse de moins de deux kilomètres à 5 % de moyenne devrait profiter aux puncheurs. En 2008, c’est Paolo Bettini qui s’était imposé devant ses compatriotes Davide Rebellin et Damiano Cunego.
Etape 19 (Montagne) : La Pola Llaviana – Alto de l’Angliru / 109 km
Le feu d’artifice final de ce Tour d’Europe. La simple prononciation de son nom suffit à hérisser les (rares) poils des fans de cyclisme. Les terribles pentes de l’Angliru ne pardonneront pas : celui qui ne sera pas dans un bon jour sera automatiquement condamné.
Etape 20 (CLM Individuel) : Muros – Mirador de Ezaro Dumbria / 33,5 km
Un contre la montre en bord de mer, totalement plat jusqu’à l’ascension du Mirador de Ezaro : 1 800 mètres à plus de 14 % de moyenne. Le dernier effort pour les leaders au classement général et l’occasion pour les meilleurs rouleurs de rattraper l’éventuel retard accumulé en montagne.
Etape 21 (Plaine) : Hipodromo de la Zarzuela – Madrid / 125 km
Une ultime étape de plaine pour sceller officiellement le sort de ce Tour d’Europe. Le très probable sprint dans les rues de Madrid devrait également être décisif dans la lutte pour le classement par points.
Une épreuve montagneuse
Montagneux, c’est probablement l’adjectif qui sied le mieux aux caractéristiques de ce parcours. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Les trois pays traversés regorgent de cols mythiques et la contrainte géographique est un merveilleux prétexte pour favoriser les profils d’étapes escarpés. Malgré tout, cette course de trois semaines demeure équilibrée. Deux chronos individuels viendront ouvrir et refermer cette compétition inédite. Le contre-la-montre final sera d’ailleurs perçu comme une menace par les leaders les moins habiles dans cet exercice, les incitant ainsi à prendre des risques dès les premiers jours de course. Si huit arrivées au sommet sont recensées, les sprinteurs ne seront pas pour autant dépaysés : au moins six étapes doivent leur permettre d’exprimer leurs qualités.
Chaque pays parcouru évoque également des spécificités évidentes : la haute montagne et les successions de cols en Italie, des profils plus variés en France qui devraient voir plusieurs échappées aller au bout et, enfin, un parcours plus piégeux en Espagne avec notamment deux arrivées en descente. Finalement, il faudra être un coureur complet pour triompher sur ce Tour d’Europe puisque les écarts pourront se créer chaque jour ou presque.
Quelques chiffres sur ce Tour d’Europe :
– 50 kilomètres de contre-la-montre
– 7 étapes de plaine, 6 étapes accidentées et 6 de montagne
– 8 arrivées au sommet et 5 cols dépassant les 2 000 mètres d’altitude
– 3 405 kilomètres au total
Séduisant mais le Tour de France est trop important pour les sponsors pour le remplacer par autre chose. Ou alors on fait ce tour d’Europe mais il faut finir à Paris avec un maillot jaune et on l’appelle Tour de France.
Et au niveau des classements (barêmes, couleurs des maillots), on ferait comment ?
Un détail secondaire,problème des 2 équipes invitées, Total etant qualifié d’office par le reglement uci, une equipe italienne et une espagnole? Arkea et b@b à la maison?
A course exceptionnelle, règlement exceptionnel : on peut imaginer plus d’équipes au départ tout en réduisant le nombre de coureurs par formation.
Mais la question est légitime, ce serait vraisemblablement aux organisateurs (RCS et ASO) de trancher.
Il a existé aussi dans les années 80 un tour de la communauté européenne couru en septembre je crois.c’était en fait le tour de l’avenir devenu open qui s’était élargi, il y eut de beaux vainqueurs comme Fignon et indurain mais ça n’a pas pris, il faut dire que ce n’était pas le même contexte et après 3 grands tours,ça faisait un peu trop. Néanmoins il en était resté quelque chose puisque l’idée d’une grande course à étape dans la deuxième partie de la saison a finalement été reprise par la vuelta, autrefois courue avril mai, ce qui a rééquilibre intelligemment la saison à mon avis.
je pense que pour le Tour ce serai une tres mauvaise chose. ASO préferera annuler le tour
que de faire cette fusion avec Giro et Vuelta et cela pour ne pas diluer son image et son prestige
Déjà que les coureurs se plaignent parfois des transferts, alors là… personnellement, ça ne m’emballe pas. Sept étapes par pays, ça veut dire qu’on ne peut pas visiter d’autres endroits.
Entre le nord de l’Italie, le sud de la France et le nord de l’Espagne, les transferts ne devraient pas si insurmontables que ça ! Ensuite, on pourrait se dire qu’à année exceptionnelle, parcours exceptionnel. L’idée est de faire ce grand Tour seulement cette année, puis de repartir sur une année “normale” l’an prochain. Car, pour reporter le Giro, ça semble très mal parti. Pour le Tour, avec le déconfinement, d’une part en France, et d’autre part, dans les autres pays de l’Europe, puis du reste du monde, on ne sait pas encore combien de temps ça va durer… Surtout que tout le monde ne sera pas à la même enseigne à la reprise des courses : certains peuvent encore rouler à l’extérieur (j’ai lu qu’en Suisse, il y avait encore la possibilité de rouler), d’autres non… On risque donc, à mes yeux, d’avoir un Tour assez tronqué s’il a lieu. Donc, cette idée originale, 3 en 1, permettrait plutôt d’avoir un vainqueur inédit pour une course inédite (et unique). A mon avis, c’est bien mieux que d’avoir un potentiel vainqueur du Tour “au rabais”. Ensuite, il reste les problèmes annexes (financiers et logistiques), qui pour moi, passionné de vélo,… Lire la suite »