Innsbruck et Mendrisio. Autriche et Suisse. A neuf ans d’intervalle, les championnats du monde ont l’accent alpin, avec leur promesse de courses endiablées et de vainqueurs de haut vol. Si celui de 2018 reste encore à découvrir, le vainqueur de 2009, l’Australien Cadel Evans, ne fait pas injure à la glorieuse histoire des Mondiaux. Retour sur une édition qui vit un perdant éternel enfin triompher.

Eternel Loser

Ca y est, il la tient enfin. A 32 ans, Cadel Evans décroche enfin un succès majeur. Et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit de l’un des plus prestigieux, de l’un des plus prisés : le Mondial. Derrière lui, la réputation d’un coureur talentueux mais souvent accroché aux roues de ses adversaires. Balayée, l’idée de ce vététiste brillamment converti à la route mais manquant toujours de ce petit plus faisant les champions. Envolées, les secondes places frustrantes, les podiums amers. A seulement quelques kilomètres de son pied à terre européen, l’Australien de Katherine se pare d’irisé. Au terme d’un effort solitaire de haute volée, au nez et à la barbe des favoris espagnols ou italiens. La joie et le bonheur, mêlés à un parfum de revanche : « C’est une réponse à toutes les critiques que j’ai dû encaisser ces derniers temps, dira Evans. J’avais quasiment tout le monde contre moi. Des médailles, j’en avais sept chez moi, mais aucune en or. » Chiara, son épouse italienne peut elle aussi exulter. Elle sait ce que l’homme qui partage sa vie a enduré jusqu’à ce 27 septembre doré.

On connaît tous l’histoire de Cadel Evans. Ce coureur issu du VTT, ce gars qui deviendra en 2011 le premier australien vainqueur de la Grande Boucle, et fort d’un immense capital sympathie à la fin de sa carrière en 2015. Mais ça c’était après. Avant, ce fut une autre mélodie. Beaucoup moins agréable aux oreilles de l’intéressé qui sifflèrent sûrement plus que de raison. Jusqu’à cette date charnière du 27 septembre 2009, le palmarès est particulier : avec pour seuls succès majeurs le Tour de Romandie en 2006 et la 13e étape du Tour en 2007, Evans accumule les places d’honneurs. Sur le Tour, sur la Vuelta, sur les ardennaises, sur les grandes courses par étapes d’une semaine. Placé, mais rarement gagnant. A côté de ça, le bonhomme détonne dans un milieu où le dopage est tout sauf un souvenir. Après des débuts au sein d’une Telekom / T-Mobile plus que sulfureuse, il passe au sein de la structure Lotto. Dans un Tour de France 2007 gangrené au possible par les affaires, il échoue à la deuxième place. On lui reproche son manque d’initiatives. Mais a-t-il seulement les moyens de faire mieux ?

De l’Or en Suisse

Son côté soliste agace aussi. Au moment d’élaborer la sélection australienne pour ces Mondiaux suisses, Neil Stephens place Simon Gerrans en leader. Un puncheur plutôt qu’un grimpeur en leader, cela se tient. Le circuit de Mendrisio est difficile : 13,8 kilomètres à parcourir 19 fois, deux belles bosses avec du 10 % au compteur. Bref, plus de 260 kilomètres et pratiquement 5000 mètres de dénivelé. Mais la répétition des efforts peut avantager les dits-puncheurs : les faits seront là pour le démontrer puisque dans le top 10 figureront pèle-mêle Kolobnev, Cancellera, Gilbert ou encore Valverde. Evans lui, a carte blanche. Pas leader, mais autorisé à prendre des initiatives. Il lui faudra tout de même ronger son frein un long moment, la course est longue. Son coéquipier Michael Rogers ferraille à l’avant, les Aussies n’ont plus qu’à faire de la patinette. Les tours s’enchaînent jusqu’à l’avant dernier. C’est alors que Spartacus envoie le premier coup de glaive.

A domicile, nanti du titre sur le contre-la-montre, le Bernois met à profit la descente entre les deux bosses du parcours pour forcer la décision. Mais les favoris ne le lâchent pas. Quand Kolobnev met en route pour aller chercher un Vinokourov tentant son va-tout, c’est encore le Suisse qui bouge. Rien n’y fait : bien que puissant, celui-ci n’arrive pas à se dépêtrer du petit groupe qui l’accompagne, avec notamment Sanchez et Valverde, sangsues à la sauce ibérique. Après quelques instants de flottement, Kolobnev, Rodriguez et Evans s’en vont : ces trois-là composeront le podium. Soudainement, l’Australien lâche ses compagnons d’échappée. La route pour la gloire s’ouvre. Il lui reste la bosse de Torrazza di Novazzano à avaler. Seul, en tête. A se rappeler les efforts solitaires du VTT. A essayer de faire les critiques dans ses coups de pédales puissants et endiablés. A ouvrir en grand le livre de la légende du cyclisme australien, en écrivant le chapitre du « premier champion du Monde ».

Tout en retenue, Evans franchit la ligne vainqueur, en envoyant un baiser à son épouse. Qui ne cessait de lui répéter depuis des lustres : « Un jour, ton honnêteté et tes efforts seront payants. » Cadel Evans ne sera plus jamais le même coureur. Lui, l’angoissé, avec sa tendance à se réveiller les nuits précédant les courses, à échafauder des plans. La nuit suivant son sacre, il se réveillera une fois de plus : « Je pensais que j’avais une course à faire. J’ai pensé à la fatigue que cela allait engendrer. Il m’a fallu un moment pour me dire : ‘C’est vrai, j’ai déjà fait la course.’ J’ai réalisé que ça avait déjà été couru et gagné. Avec ce maillot arc en ciel accroché au mur… »

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