Le mois de mars, c’est le début des choses sérieuses. Le retour en Europe, le premier monument, des classiques et des courses d’une semaine réputées. Enfin ça, c’est en temps normal. Cette année, à cause du coronavirus et des risques d’épidémie, le calendrier se retrouve chamboulé. Et avec, c’est la saison de dizaines de coureurs qui se voit remise en question.

Le cauchemar à Abu Dabi

La nouvelle est tombée dans la soirée du 27 février, quelques heures à peine après la victoire d’étape de Tadej Pogacar à Jebel Hafeetá : l’UAE Tour est amputé de ses deux dernières étapes. Le classement ne bougera plus, Adam Yates est déclaré vainqueur. Cette décision, brutale, est motivée par la découverte de deux cas de coronavirus. Les personnes testées positives sont deux italiens, membres du staff de l’équipe UAE Emirates. Pour éviter une propagation du virus à travers le peloton et dans le pays hôte, le ministère de la santé local entame une série de tests sur l’ensemble des acteurs de la course, qu’ils soient coureurs, membres du staff et de l’organisation ou journalistes. Dans la nuit du 27 au 28 février, les coureurs sont testés jusqu’à 5 heures du matin. Interrogé par Ouest-France, l’attaché de presse de l’équipe Cofidis raconte : « On nous a pris notre température, puis on nous a placé une sorte de tuyau dans le nez, afin de récupérer de la morve, sans doute. Les tests ont duré 30 secondes par personne. C’était impressionnant : les gens qui effectuaient les tests avaient tous des masques, on avait interdiction de prendre des photos. »

Une drôle d’ambiance s’installe en attendant les résultats. Confinés dans leur hôtel, les coureurs peuvent tout de même sortir de leur chambre et profiter des équipements de leur établissement de résidence. C’est à partir du 29 février que la situation prend un autre tournant : l’organisation annonce que 167 tests se sont révélés négatifs, ce qui permet à la majorité des équipes de plier bagage dès le 1er mars. Mais trois formations, Groupama-FDJ, Cofidis et Gazprom, se voient toutefois priées de rester sur place en raison de la suspicion de plusieurs cas à leur étage (le fameux quatrième étage). L’équipe initialement touchée, UAE Emirates, choisit également de rester confinée alors qu’elle avait pourtant reçu le feu vert des organisateurs pour repartir. Parmi les coureurs concernés par ces mesures, on retrouve notamment Arnaud Démare, David Gaudu, Jésus Herrada et Stéphane Rossetto. Thierry Vittu, le président de l’équipe Cofidis, décrit alors avec lassitude sa situation : « On vient de sonner à ma porte, cela doit être le petit déjeuner déposé au pied de la porte, c’est comme ça qu’on nous apporte nos repas. Quand on croise quelqu’un de l’hôtel dans le couloir, il s’enfuit en courant… […] Nos chambres n’ont pas été faites depuis que nous sommes arrivés il y a 5 jours : il faut se rendre devant l’ascenseur, il y a un chariot et on se sert en draps, savons, serviettes… »

Mais tout ça n’est que le début. Quelques jours plus tard, le 4 mars, six nouveaux cas de coronavirus sont confirmés, dont le Colombien Fernando Gaviria. Les équipes du quatrième étage entrent alors officiellement en phase de quarantaine. Maintenant fixés, les coureurs réorganisent leur quotidien. Du côté de Groupama-FDJ, Arnaud Démare et son compagnon de chambre Ramon Sinkeldam redoublent d’inventivité pour tenter de garder la forme et le moral. Les stories Instagram du sprinteur français montrent ainsi le Hollandais enchaîner une série de squats avec une table sur le dos dès leur premier jour de confinement. La bonne humeur reste également de mise malgré leur enfermement et c’est Sinkeldam qui manie le fer à repasser en peignoir sous le regard amusé de son leader. Ce n’est qu’au sixième jour que les coureurs de la formation française retrouveront leur vélo. Ils enchaînent alors les kilomètres dans leur chambre d’hôtel pour essayer de préparer tant bien que mal les prochaines échéances de leurs saisons respectives.

Le calendrier italien entre parenthèses

Du côté de Cofidis, Nathan Haas et Attilio Viviani montrent l’exemple dans une vidéo postée par leur équipe sur les réseaux sociaux : on y voit l’Australien soulever une valise en position de développé-couché, procéder à des squats avec son camarade italien sur les épaules ou encore réaliser quelques sprints dans les couloirs de l’hôtel. Malgré toute la bonne volonté des coureurs, le doute n’est pas loin. Frédéric Grappe, le directeur de la performance de l’équipe Groupama-FDJ, livrait à ce propos à Eurosport : « Ils sont dans un aquarium aujourd’hui. […] Ils n’ont jamais vécu ça, on ne connaît pas les réponses. Est-ce qu’ils vont prendre du poids ? Ils ne bougent pas beaucoup, ils se dépensent peu, leur métabolisme va être modifié. Nous n’avons aucun recul là-dessus. On le saura quand ils reviendront. On verra leur réponse pendant les phases d’entraînement. »

Dans le même temps, la propagation du virus s’intensifie en Europe, mettant en suspens la suite du calendrier du mois de mars, principalement en Italie et en France. Inquiètes, de nombreuses équipes prennent alors les devants en annonçant leurs retraits provisoires. Si Ineos fait figure d’exception avec la tragique disparition de son directeur sportif Nicolas Portal, les motifs avancés par les formations sont doubles : les risques de contamination pointés par leurs staffs médicaux et la surcharge des hôpitaux locaux en cas de chutes sérieuses de leurs coureurs. Alors que le gouvernement italien prend régulièrement de nouvelles mesures fortes pour stopper l’épidémie sur son territoire, les courses italiennes ne résistent pas longtemps. RCS annonce les annulations des Strade Bianche, de Tirreno-Adriatico et du premier monument de la saison, Milan-Sanremo. Sur Paris-Nice, ce ne sont pas moins de sept équipes World Tour (Jumbo-Vismo, Astana, Movistar, Ineos, CCC, UAE Emirates et Michelton-Scott) qui choisissent de ne pas prendre le départ, obligeant les organisateurs à convier huit coureurs par formation (au lieu de sept initialement) et à inviter deux nouvelles équipes au dernier moment, B&B Hotels-Vital Concept et Circus-Wanty Gobert.

Ces incertitudes sur la suite de la saison provoquent forcément des réactions de la part des protagonistes du monde du vélo. Confiné dans sa chambre d’hôtel à Abou Dabi, Stéphane Rossetto avait livré son énervement au Parisien devant cette situation inédite : « On vient courir leur course pourrie et voilà dans quoi on se retrouve. » Plus de mesure du côté de Wout van Aert, dont la position résume la pensée (officielle) de la majorité des coureurs voyant leur programme de courses complètement bouleversé. « Le fait que notre équipe ait pris la décision de ne pas participer (à Paris-Nice) est un nouveau sacrifice. En tant que coureur, vous avez un plan dans la tête et vous voulez faire autant de courses que possible. Ce ne sont donc pas les meilleurs jours. Mais je comprends la décision de l’équipe. Il y avait la crainte d’être mis en quarantaine et d’être quelque part en isolement, ce qui mortifierait encore plus notre programme. »

L’inquiétude permanente

Dans les équipes alignées sur Paris-Nice, c’est l’adaptabilité qui prévaut pour le moment : initialement prévus sur Tirreno, Romain Bardet, Elia Viviani ou Peter Sagan ont finalement fait le choix de parfaire leur condition en France. S’ils permettent aux coureurs majeurs d’engranger des jours de compétition, ces changements de dernière minute pénalisent déjà de nombreux coéquipiers à l’image de Rémi Cavagna et Thomas Boudat, dont les équipes respectives ont préféré donner la priorité à d’autres sur Paris-Nice, alors que leur calendrier cochait il y a encore quelques jours l’épreuve remportée par Egan Bernal la saison dernière. Du côté des organisateurs, RCS s’attèle déjà à reprogrammer ses courses plus tard dans la saison. Les mois de juin et d’octobre sont évoqués mais un tel cas de figure paraît d’ores et déjà utopique pour Tirreno-Adriatico vu la densité du calendrier cycliste.

La suite, c’est encore Vincent Lavenu, directeur général de l’équipe AG2R La Mondiale, qui en parle le mieux : « Le problème, c’est de savoir combien de temps ça va durer. Aujourd’hui, c’est l’Italie qui est surtout touchée. Mais pour la suite ? » Alors que les courses prévues en Espagne et en Belgique approchent, qu’en sera-t-il ? Pour le moment, personne n’est en capacité d’affirmer le maintien ou l’annulation des Tours de Catalogne et du Pays-Basque ou des classiques flandriennes. A l’heure où ces lignes sont écrites, une seule chose est sûre : le virus ne cesse de se propager à travers le globe et le nombre de cas de coronavirus en Espagne et en Belgique a connu une augmentation significative ces derniers jours. De la même manière, la question est en droit d’être posée pour Paris-Roubaix dont le départ est donné depuis le département de l’Oise, une région fortement touchée par l’épidémie.

En attendant d’en savoir plus et de pouvoir véritablement mesurer les conséquences sur la saison 2020 de celui qu’on appelle à présent Covid-19, le sport a repris ses droits ce dimanche avec la victoire de l’Allemand Maximilian Schachmann sur la première étape de Paris-Nice. Quelques heures avant le départ de la course au soleil, une autre bonne nouvelle nous est parvenue puisque trois des quatre équipes encore retenues en quarantaine à Abou Dabi ont pu rentrer à la maison – Gazprom est encore sur place. En arrivant à Paris, Arnaud Démare et David Gaudu ont même eu la surprise de voir l’inimitable Marc Madiot les accueillir avec des crêpes. Un dessert bien mérité avant de retrouver le plaisir de l’entraînement en extérieur et de préparer leurs échéances printanières ou estivales, selon l’évolution de la situation sanitaire en Europe.

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