Le Mur de Huy. 1,3 kilomètre, 9,6 % de moyenne, des passages à 19 %. L’effort est brutal, et il ne se destine qu’à quelques hommes : les purs puncheurs. Alejandro Valverde en est le maître incontesté, et ses challengers ne sont pas nombreux : deux ou trois, tout au plus, dont Julian Alaphilippe. Mais alors, quels sont les critères pour espérer s’imposer au sommet de ce mythe ?

La morphologie

Connaître le poids des coureurs est quasiment impossible. Tout est donc estimation, à quelques kilos près. Mais la barre symbolique des 60 kilos revient régulièrement : c’est autour de ce poids que tournaient les derniers vainqueurs de la Flèche, successivement Joaquim Rodriguez, Dani Moreno et Alejandro Valverde. « Le poids reste de toute façon celui d’un grimpeur, souligne Jean-Baptiste Quiclet, directeur de la performance chez AG2R La Mondiale. Il faut sans doute être en dessous de 65, 66 kilos. Parce que bien sûr, dans une côté à 10 % de moyenne, le poids fait son effet. » Philippe Gilbert est l’un des rares vainqueurs qui ne respectait pas ce précepte, ou alors de justesse. Mais à l’époque, en 2011, il pouvait compter sur d’autres aptitudes qui lui ont permis en compenser. « Il faut être léger, mais il faut aussi faire partie des grimpeurs qui vont vite au sprint », ajoute Quiclet. Parce que le poids, en fait, est loin d’être l’élément le plus déterminant.

La résistance

C’est le point le plus crucial, et celui sur lequel les coureurs ont le moins de prise. Il faut « tamponner l’acidose », comme le dit Jean-Baptiste Quiclet. En d’autres termes, être capable de tenir quand l’acide lactique remonte dans les jambes. « La résistance lactique, c’est une aptitude qui est au-dessus de la VO2 max *, éclaire l’entraîneur. Et c’est d’abord génétique, on naît plus ou moins résistant à l’acidose. » L’entraînement peut ensuite permettre de travailler cette résistance, mais c’est aussi cette part de talent inné qui rend la Flèche Wallonne si particulière. « On ne peut pas tricher, complète Quiclet. Durant toute la montée d’environ trois minutes trente, on voit le peloton, on a l’impression que ça n’a pas accéléré, mais ils sont déjà quasiment à leur VO2 max. Et ceux qui arrivent à faire la différence, c’est ceux qui sont capables d’accélérer au-delà de cette VO2 max dans la dernière minute ou les dernières 45 secondes. »

La delta de puissance entre la phase de VO2 max et celle de résistance lactique est faible. Mais c’est là que se fait toute la différence. « C’est là qu’on voit que certains coureurs maîtrisent très bien cet aspect, confirme Jean-Baptiste Quiclet. A la flamme rouge, quand il y a encore 25 ou 30 coureurs, un garçon comme Valverde, à mon sens, n’est pas encore à sa VO2 max, il est juste en dessous. » Au contraire, beaucoup de ceux qui sont encore autour de lui à ce moment là sont au-dessus, et c’est pour ça qu’ils ne peuvent répondre à son attaque ensuite. « C’est l’équivalent du 800 mètres en athlétisme, compare l’entraîneur d’AG2R. C’est très, très spécifique. Si tu n’as pas les capacités de résistante, tu ne peux pas y arriver. »

Le placement

Les habitations et la végétation font qu’à Huy, du pied quasiment jusqu’au sommet, il n’y a pas de vent. « Il y a très peu de phénomène d’aspiration, pour moi il ne faut pas hésiter à être tout devant dès le bas, note Quiclet. Dans l’approche du mur, il y a quand même pas mal du boulot de fait si tu es dans les deux premières lignes à la flamme rouge. » En revanche, être plus loin devient dangereux. « Comme c’est étroit, il n’y a que deux ou trois coureurs par ligne, détaille-t-il. Donc quand l’accélération se fait, on croit qu’ils sont tous roue dans roue, mais il y a déjà une différence notable entre le premier et le vingtième du peloton. »

Pour ne serait-ce que remonter de la vingtième à la première place, un coureur doit fournir un effort considérable. Être dans les dix premiers dès le pied apparaît donc comme indispensable. Et après, il ne faut se concentrer que sur soit. « Ca ne sert à rien de se préoccuper de la concurrence, assure Jean-Baptiste Quiclet , parce que dès que tu coupes ton accélération pour réfléchir aux autres, tu perds tellement de vitesse que c’est très compliqué de ré-accélérer. »

Le mental

Le dernier point essentiel d’une montée réussie se joue dans la tronche. Résister à l’acide lactique qui paralyse les jambes, ce n’est pas qu’une question de qualités intrinsèques et d’entraînement. « C’est une sensations très inconfortable, la résistance, reconnaît l’entraîneur français. Si tu es habitué à le travailler à l’entraînement, déjà, tu apprivoises mieux ce sentiment de douleur. Après, il faut un niveau de fraîcheur important, parce que si tu es un peu usé dans la tête, tu ne vas pas au-delà de ce que tu peux faire. » Viennent ensuite la manière de gérer l’évènement, le sang-froid, qui se développent avec l’expérience et expliquent en partie les quatre victoires consécutives d’Alejandro Valverde. Mais Quiclet reste formel : le mental, s’il joue un rôle, ne peut pas tout chambouler. « Ca se joue toujours entre les trois voire les cinq meilleurs. » Pour les autres, c’est peine perdue. Le Mur de Huy ne fait pas de cadeau.

* La VO2 max correspond à la quantité d’oxygène maximale que le corps peut consommer lors d’un effort intense.

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